« La pissetoche »

La Villa Arpel (Mon oncle - Jacques Tati, 1958)

« Samedi 19 juin dans l’après-midi : inauguration de la piscine. Quinze mètres de long sur dix de large. Une splendeur. Du côté du plongeoir, le bassin fait trois mètres de profondeur, à l’autre extrémité, on a pied. Ça a de l’allure. Au bord de la piscine on a dressé une longue table nappée de blanc recouverte de pyramides de petits-fours au pâté et aux œufs de lump, la maman dit « les canapés », plus une énorme pièce montée de choux farcis à la crème. Plantées à son sommet, comme pour un mariage, deux figurines représentent un bonhomme et une bonne femme, tous deux en maillot de bain. Des carafes pleines d’oranges pressées, des seaux à glace où refroidissent les bouteilles de champagne pour les parents et les sodas pour les enfants. On a embauché deux extras en gants blancs pour servir, on a bien fait les choses. La maman est habillée en Grace Kelly (chemisier blanc sans manches à col relevé, jupe verte à godets, ballerines rouges), le papa en sport (polo de tennis, pantalon de lin, mocassins en daim). Tous ces habits sont neufs. C’est un cocktail gracieux.
« C’est une garden-party », dit la maman qui, plus que jamais, parle l’anglais comme une vache polonaise qu’elle est. Les invités minaudent autour du buffet une coupe de champagne à la main, font comme si tout était gai ce jour-là, même le fait qu’un orage menace, tassant de gros nuages noirs au-dessus de nos têtes. « Il fait lourd », dit la maman. Mais par-dessous les coups de tonnerre j’entends bien que les invités grincent de jalousie. Il est question à voix basse de m’as-tu-vu et de parvenus. »
 

(La piscine)
Gérard Lefort - Les amygdales (L’Olivier-2015)

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