City on Fire, ou la promotion par les chiffres

City on Fire, ou la promotion par les chiffres (je me faisais la remarque pas plus tard que la semaine dernière). Sur ActuaLitté, Antoine Oury évoque également les doutes du monde de l’édition sur ce soit-disant jackpot et le difficile retour sur investissement qui se profile.

Les enchères ont donc littéralement flambé autour du titre, finalement acquis par l'éditeur Knopf à l'automne 2013, après deux jours d'offres et de surenchères. Depuis, l'éditeur s'efforce de garantir une parution réussie pour son titre : au cours d'un congrès de libraires, il a fait monter l'attente autour du pavé de 900 pages en ne distribuant que 300 exemplaires du roman en avant-première, alors que le nombre d'ouvrages pour la librairie se compte généralement en milliers.
Publié en octobre 2015 aux États-Unis après deux années de hype, City on Fire a rencontré un accueil en demie teinte, certains saluant l'ambition de ce premier roman, et d'autres, comme le New Yorker ou le New York Post, qui assurent que toute cette histoire n'en vaut pas vraiment la chandelle. Le pari était risqué pour l'éditeur, avec pratiquement 2 millions $, et certains journaux ne se privent pas de remarquer que le titre peine à gravir les classements d'Amazon.


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Sur BibliObs, dans son article “City On Fire”, le premier roman qui valait deux millions de dollars, David Caviglioli revient avec une certaine ironie sur le phénomène économique mais se fend d’une critique toute aussi acerbe sur le roman lui-même.

Garth Risk Hallberg en a assez qu’on lui parle de ses 2 millions de dollars. A la fin du mois de décembre, quelques semaines avant la sortie française de son premier roman, «City on Fire», on discute avec lui par téléphone. Il est chez lui, à New York. En novembre 2013, la presse américaine a transformé en événement ce livre qu’il n’avait pas encore fini d’écrire, à cause de la somme monumentale payée par son éditeur américain, Knopf, pour avoir le droit de le publier.
Même au pays des millions, on n’avait jamais vu un primo-romancier sorti de nulle part toucher ce qui s’apparente moins à un à-valoir éditorial qu’à une prime de basketteur. Le livre, blockbuster de 900 pages, est sorti en octobre, dans un grand fracas chiffré. L’argent a servi d’argument promotionnel. Sa réception a été ambivalente: son excellente facture a été reconnue, mais les millions ont collé un rictus sur les fines bouches des critiques.
Quand on demande à Hallberg, jusque-là amène, comment il a vécu cette richesse soudaine ainsi que le fait d’être traité comme un phénomène du Guinness des Records, il se raidit et congédie le journaliste économique qui sommeille en nous. «Je ne pense pas à l’argent, dit-il. Rien n’est plus éloigné de mes pensées.» Il est vrai que l'homme occidental pense globalement peu à l'argent.

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« City on Fire » lorgne ces territoires classiques, et tente de les revitaliser en insistant sur ce qu’ils ont de commun avec la narration télé: reconstitution historique appliquée, épaisseur politique, balayage socioculturel consciencieux. Tout tourne autour d’une jeune fille victime d’une tentative d’assassinat à Manhattan le soir du réveillon 1976, fait divers qui sert de jonction entre les différents mondes qui composent la ville: on passe d’une soirée entre moguls de Wall Street aux cryptes sordides de la scène punk, des premiers lofts d’artistes bohèmes à Brooklyn aux banlieues de classe moyenne.
Les archétypes culturels d’époque sont venus, ils sont tous là: le nouveau journaliste, l'aspirant grand romancier américain, le punk rocker, le magnat financier. La focalisation change d’un chapitre à l’autre, permettant aux points de vue de s’entrechoquer. L’intrigue principale progresse avec une régularité métronomique, soutenue par un réseau de backstories, comme disent les scénaristes, artistement entremêlées.
« City on Fire » a quelque chose d’un roman HBO: long comme une saison de série télé, conçu avec le souci visible de plaire sans racoler, d’étonner sans dérouter, de typer les personnages sans les stéréotyper, il donne l’impression que toutes les histoires, tous les mondes, toutes les époques peuvent se couler dans ce moule narratif chic et confortable, qui est à notre bout de siècle ce que la tragédie a pu être au siècle classique.

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