“Tout est déjà dans les livres”

Jean-Pierre Léaud (Antoine Doisnel ) dans Les 400 coups, de François Truffaut (1959)


Qu’est-ce qu’un bon livre ? Tout comme la psychothérapie, qui ressemble d’abord à une simple conversation en face à face, le bon livre finit par remodeler le cerveau du patient à petites touches de simples mots. Et sa lecture provoque bien des remous, bien des résonances entre les aires du langage et cette partie du lobe temporal qui régit les souvenirs et l’émotivité. L’imagerie par résonance magnétique d’un cerveau de lecteur montre bien ces résonances, comment lire nous fait chercher dans nos souvenirs ce qui résonne à l’unisson.
(page 102)

Les livres se sont donné pour tâche d’inventer d’autres images, des images toutes neuves celles-là, et vivantes de la vie du langage vivant. Quand on la découvre, cette image littéraire neuve, quand on la flaire, la lit, la sent ou la reçoit, aussitôt notre bonheur se manifeste gestuellement, comme si cette image était un cadeau d’amant ou de mère. Les mains se frottent, les genoux se décroisent, on change de position, les sourires naissent sur les visages des vrais goûteurs, les nez se froncent et enfin on respire.
Une demi-page suffit à tout chambouler.

(page 107)

On gravait sur les cadrans solaires Olmnes vulnerant, ultima necat, que l’on traduisait par « Toutes les heures blessent, la dernière tue ». La lecture aussi mesure le temps. Peut-être est-ce pour cela que les livres blessent à la relecture.
(page 116)

Si je lis, je commence un décompte. Combien de livres me restera-t-il à lire ? Je sais que je ne pourrai pas tout lire. Choisir est un courage. Avant d’écrire moi-même, je ne savais pas qu’on pouvait critiquer un livre, qu’on en avait le droit. Je lisais ce qui était écrit, c’est tout.  Et puis, je me forçais à lire jusqu’au bout, comme on oblige un enfant à finir son assiette. Je lisais comme j’avais mâché, des heures durant, de petits bouts de viande dont j’avais sucé tout le sang. Un jour, Borges écrivit : “Je suis un lecteur hédoniste”. Alors je me suis donné le droit de ne pas finir mon assiette, le droit de critiquer la saveur du plat. Peu à peu, j’ai corrigé. Peu à peu, j’ai protesté, j’ai relevé les coquilles au crayon de papier, j’ai traité in petto l’auteur de raciste, de sexiste, de sanglier. Avant, j’ignorai tout à fait cette rébellion contre la lecture.
(page 119)

Soigner, tel est l’objectif du médecin. Mais la vérité du médecin n’est pas toujours celle du patient. Soigner le corps souffrant n’est pas soigner la subjectivité du patient. […] Le livre, lui, soigne la subjectivité.
Pour l’écrivain Pierre Guyotat, le mot est un geste thérapeutique. Quels mots soignent les livres ? Ils sont innombrables : l’ignorance, la tristesse, l’isolement, le sentiment de l’absurde, le désespoir, le besoin de sens, parmi quelques autres. C’est que l’écriture est aussi un scalpel, un outil de compréhension de soi-même et du monde, d’accouchement de la pensée même qui s’élabore dans le texte.il faut déchiffrer. Critiquer. Juger. Interroger la langue.


Quels sont les livres qui agissent ? Les bons livres sont ceux qui déterminent dans la conscience du lecteur un changement profond, qui aiguisent à tel point sa sensibilité qu’il jette un regard neuf sur les objets les plus familiers comme s’il les observait pour la première fois. Des livres qui galvanisent, qui électrisent, en un mot qui raniment.
(pages 123-124)

Ne jamais laisser dire que la lecture est immobile, paresseuse. Toucher la page, sentir le papier, respirer les voix, écouter un livre avec tous les pores de sa peau fait partie du lien qui fait partie du soin. La lecture est un soin, certes, mais il ne faut pas la laisser se médicaliser.
(page 138)
Régine Detambel - Les livres prennent soin de nous 
Pour une bibliothérapie créative (Actes Sud-2015)

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