« S'habituer à soi-même, c'est la tâche de toute une vie »

Paul Gauguin - Autoportrait (Les Misérables), 1888


« Il me semble, à moi, que la beauté est un voile que la nature a mis sur le monde pour le rendre tolérable. »

« "Faire" n'est pas important, je crois. L'important, c'est “d'être", dans sa vie, dans son corps. Il faut habiter. Observer, respirer. Regarder. De là, peut-être un jour, produire quelque chose. »

« Je ne cherche pas à avancer dans la vie. Seulement à comprendre qui je suis, ce que je veux et où je vais, ce qui devrait être la tâche non seulement de tout artiste mais de tout homme, il me semble. Le reste n'est qu'arrangements. »

« Mais j'ai été surprise d'apprendre que tu ne faisais jamais d'autoportrait. C’est un exercice formateur et commode (on a toujours le modèle sous la main). Avec ton appareil photographique, il me semble que ce serait facile. Je ne crois pas qu'il faille s'intéresser spécialement à soi-même, comme tu le dis. Nul besoin de se trouver beau. La simple bienveillance suffit : il faut se tolérer, rien de plus. Mais peut-être n'en es-tu pas encore là ? Tout le monde n'est pas capable de s'accepter au point d'oser jouer avec sa propre image comme l'ont fait Dürer, Rembrandt ou Courbet, et maintenant ton Gauguin. C'est peut-être une question d'habitude, simplement, plus que d'amour-propre. Il faut s'habituer à soi-même. »

« Si je comprends ton raisonnement, il n'est pas nécessaire de s'aimer soi-même pour réussir un autoportrait: il suffirait de se tolérer. Mais s'habituer à soi-même, c'est la tâche de toute une vie, il me semble. Je trouve étonnant que certains hommes en soient capables très jeunes, et je demeure convaincu que c'est l'égotisme qui leur tient lieu de sagesse. »

« L'art ne donne pas de petites satisfactions d'amour-propre. L'art justifie d'être venu au monde ou nous rend supportable le monde. »

« Allons, je crois bien avoir perdu l’habitude de t’écrire : voilà que je ne trouve plus rien à dire. Quad tu es là, ce n’est pas pareil, le silence est empli de mille millions de pensées. À l’écrit, le silence fait des blancs. Je n’aime pas trop ça. »

« Si Dieu est devenu froid et silencieux, alors autant choisir sa foi, tu as raison : bâtissons-nous les églises que nous voulons. »

« Vois-tu, il est absolument nécessaire et vital à certains de savoir qu’il existe une personne capable de les comprendre – cette personne fut-elle absente, éloignée, ou morte, cela ne change rien. Appelons ça une foi, et passons là-dessus. »

« D’ailleurs la liberté ne s’apprend pas, certains sont taillés pour et d’autres non.
Quand donc comprendra-t-on qu’on doit aller dans les écoles pour apprendre des techniques, et que tout le reste du travail est de s’en affranchir ? La technique est très importante, c’est vrai, mais il n’y a pas que ça, bref, il faut les deux : la main qui fait, et le cœur qui bat. »

« J’ai le sentiment très peu bruyant. Je suis comme ça. Tout est à l’intérieur, je prends, je cape, j’absorbe et je restitue si peu […].
De plus, je ne sais jamais vraiment très bien ce que je veux, vers quoi je vais ni à quoi je tiens : je l’apprends en cours de route et souvent quand il est trop tard. »

« Il a raison, ton Gauguin : il faut s’habituer à l’idée de n’être pas aimé. C’est la deuxième tâche la plus difficile d’un artiste, la première étant d’être absolument soi-même. Supporter la moquerie, la raillerie, le refus de tout ce que l’on est, de tout ce en quoi l’on tient, se voir imposer le silence et ne pas pouvoir riposter : voilà la grande, l’insupportable, la nécessaire mission d’une vie. Je ne parle pas seulement de la vie d’artiste. Voilà pourquoi l’amour et l’amitié sont des miracles : parce qu’il ne faut jamais s’y attendre ni croire qu’on les mérite. Seuls les morts méritent quelque chose. Ils ont l’immunité, eux. Ils sont de l’autre côté, ils ont gagné. »

« L’art est dans l’œil de celui qui fait l’image, et non dans l’instrument. »

« Les vrais défis n'ont pas besoin d'admirateur. »

« C'est poétique. Un peu comme cette tour de 300 mètres que l’ingénieur Eiffel fait construire pour l’Exposition ! Du métal et des boulons, et ça doit ne servir à rien : n’est-ce pas tout à fait charmant ? Depuis nos fenêtres, on voit le deuxième étage, qui vient d’être posé. Il se peut qu’on en reste là, car les ouvriers sont en grève : ils viennent de se rendre compte qu’ils faisaient un métier dangereux, les braves gens ! Voilà qu’ils réclament une prime à la hauteur, apprend-on dans la presse. L’ingénieur cédera-t-il ? Moi j’aimerais bien qu’elle monte, pour voir la tête que ça aura. »

« Dans les journaux belges, les cases du « village nègre » de l’Exposition font de la concurrence aux images du vrai Congo… À tel point qu’on se demande s’il était bien nécessaire d’aller évangéliser en Afrique, et embêter tous ces braves gens qui n'avaient pas demandé à voir un roi belge régner sur eux, quand il suffisait d'importer une poignée d'Africains décoratifs ! Les Français ne sont pas si bêtes. »

Anne Percin - Les singuliers (Le Rouergue-2014)

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