La vérité et la bouche des enfants


— J'aime ça ce que ça sent, les vieux livres. Ça sent le vieux papier…
— … pis la poussière.
— Oui, c'est vrai, ça sent la poussière.
— J'ai éternué deux fois en traversant la maison…
— Moi, ça me fait pas éternuer. Même, des fois, j'me colle le nez dessus. C’t'un livre qui vient de la bibliothèque municipale. C'est ta cousine Jeannine qui me l'a rapporté. Quand on pense à tout le monde qui l'ont lu… R'garde, y est tout usé. Y est tout décousu. Y faut faire attention quand on tourne les pages…
— Pis vous aimez ça.
— Ben oui. Des fois, y les réparent, à la bibliothèque, pis ça me désappointe.
— Pourquoi ?
— Parce que ça paraît. Y a de la colle dans la craque des pages, du papier collant brun, c'est ben laid… Y essayent de faire du neuf avec du vieux, pis ça a juste l'air du vieux raboudiné… Quand y les remplacent par des nouveaux, c'est correct. Ça sent pas pareil, y sont neufs, y sentent encore l'encre d'imprimerie, y craquent quand on les ouvre, mais quand y se mêlent de les réparer…
— Ma tante Bartine, a’ dit qu'on peut attraper des maladies avec ces vieux livres là. A’ veut même pas y toucher.
— Ta tante Bartine, a'I’ inventerait n'importe quoi pour pas lire.

Un livre sans images (p. 27)

— […] Écoute. Si on se demande pas comment ça se fait, c'est simple. Y a le Père, le Fils, pis le Saint-Esprit. C'est la Sainte Trinité. À eux autres trois, y paraît qu'y forment le Bon Dieu. Un Dieu en trois personnes. Faut pas se creuser les méninges, c'est comme ça.
C'est ça qu'y te disent à l'école, pis c'est ça qu'y m'ont dit à moi aussi. Demande-moi-z'en pas plus, j'en sais pas plus.
— Pis tu crois ça.
— Faut ben.
— Le Père pis le Saint-Esprit ont eu un enfant ensemble…
— Ça a l'air. Même si ça a l'air fou.
— Le Saint-Esprit, c'est une femme ?
— C’t'un esprit. J'suppose qu'un esprit…
— Pourtant, c'est lui, ou ben elle, qui a faite le petit Jésus aussi, non ?
— J'te suis pas, là…
— Ben y disent que la Sainte Vierge a eu l'Enfant Jésus par l'opération du Saint-Esprit. Que c'est pas saint Joseph le vrai père de Jésus. Le Saint-Esprit a opéré le Père, ça a donné le Fils, donc c'était une femme. Ensuite y a opéré la Sainte Vierge, pis ça a donné le petit Jésus, donc c'était un homme… Quel genre de famille que c'est, donc ? Ça veut dire que le Saint-Esprit a trompé le Père avec la Sainte Vierge en changeant de sexe ? J'comprends pas… Pis le Fils, là, Jésus, c'est pas supposé être le même ? Y a fait le même enfant au Père pis à la Sainte Vierge ?
— J'te l'ai dit, c’t'un esprit…
— Mettons. Un esprit, donc, c'est un homme pis une femme, pis ça a le droit de tromper son mari… pis sa femme? C'est ça?
— Michel ! Y nous disent de pas se poser de questions! C'est pas du vrai monde, c'est des esprits, ça se passe dans le ciel, c'est sûr qu'on peut pas tout comprendre !
— La Sainte Vierge était pas dans le ciel… A’ s'est fait opérer sur la terre… Quand le Saint-Esprit est descendu sur la terre, je suppose que saint Joseph avait le dos tourné…

… et du Saint-Esprit (p. 47)

«T'es pas content?
— Ben…
— Ben quoi ? Un beau garage comme ça ! Pis des belles autos en plastique avec des vraies roues qui tournent, pis toute. Un élévateur pour les faire monter. Une glissade pour les faire descendre. C'est quand même mieux que les vieux jeux de blocs de tes frères pour construire des maisons. Tu m'as dit que t'étais tanné de jouer avec ça, que la peinture était toute partie, qu'on voyait juste le bois, j'ai voulu… j'ai voulu te donner quequ'chose de nouveau, de flambant neuf! Tu le trouves pas beau, le garage ?
— Ben… oui.
— T'as pas l'air sûr…
— J'trouve ça ben beau… mais je saurai pas quoi faire avec.
— Michel ! C’t'un garage ! Les autos arrivent, y se font réparer par les petits bonhommes qui venaient avec, pis y repartent! Tu les montes à l'étage avec l'élévateur pour se faire réparer, les petits bonhommes les réparent, tu les mets sur la glissade quand c'est fini…
— Pis je recommence…
— Tu recommences, tu recommences… Tu passes des heures avec tes poupées à découper, à les habiller pis à les déshabiller, c'est la même chose, non? Quand c'est fini, tu recommences pis tu te plains pas !
— Non, c'est pas la même chose ! J'les ai découpées moi-même, mes poupées à découper! Je choisis comment je les habille ! C'est jamais pareil pareil ! Pis j'ai du fun à faire ça, maman !

Le garage (p. 77)

 — Ouan. Pis y a peut-être des gars qui lisent les Brigitte, tant qu'à ça…
— Ça me surprend que t'aimes pas ça, d'ailleurs…
— Pourquoi ?
— Tu jouais encore aux poupées à découper avec ma sœur pis moi, y a pas longtemps…
— Ça a rien à voir…
— Pourquoi pas ?
— Ben… Je sais pas…
— Tu sais pas quoi répondre, hein ?
— Que c'est que tu veux que je te dise ! Avec les poupées à découper, c'est le fun, tu les habilles, tu les déshabilles, t'essayes de trouver des nouvelles combinaisons pour leur linge, tu fais quequ'chose… Mais un livre plate… Y a rien à faire avec un livre plate, tu peux juste t'ennuyer en le lisant…
— Pis tu t'ennuies pas en lisant les descriptions sans fin de machines, de bateaux, pis de bibittes marines !
— Ben non.
— Ben coudonc, tu dois être un vrai gars, après toute…
— J'y tiens pas, hein…
— Oui, j'sais, on en a déjà parlé…
— J'peux même t'avouer quequ'chose…
— Quoi, donc ?
— Des fois, je m'ennuie des poupées à découper…
— T'es trop vieux, Michel. Même nous autres, Louise pis moi, on commence à être tannées…
— J'sais ben qu'y faut passer à autre chose…
— C'est vrai que c'est tout un saut que t'as faite là! Passer des poupées à découper à Jules Verne.
— Une chance que j'aime ça.
— Aimes-tu vraiment ça ou ben si tu te sens obligé ?
— Ça va peut-être te surprendre, mais oui, j'aime vraiment ça… J'viens d'en commencer un autre. Les enfants du capitaine Grant, pis c'est tellement bon ! Ça se passe en Patagonie.
 Berthe Bernage vs Jules Verne (p. 82)

 Michel Tremblay - Conversations avec un enfant curieux, Instantanés (Léméac/Actes Sud-2017)

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