« La vie c'est pas un truc pour tout le monde »

Vernon Merritt III - Interracial friendship, New York City, 1969 (For LIFE Magazine)



Gros coup de cœur pour Momo, sa gouaille, sa tendresse, son innocence...
Au point où j'aurais fini par reproduire ici l'intégralité du roman de Gary/Ajar, tant les citations se sont accumulées au fil de ma lecture.
Pour plus de lisibilité, je les ai triées thématiquement plutôt que chronologiquement.


La vie
Les gens tiennent à la vie plus qu'à n'importe quoi, c'est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu'il y a dans le monde.

Madame Rosa dit que la vie peut être très belle mais qu'on ne l'a pas encore vraiment trouvée et qu'en attendant il faut bien vivre.

Elle m'avait souvent dit en rigolant que la vie ne se plaisait pas beaucoup chez elle, et maintenant ça se voyait. [...] Elle était tellement endommagée que même ses cheveux s'étaient arrêtés de tomber parce que la mécanique qui les faisait tomber s'était détériorée elle aussi.

Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux.

Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui font du bien dans le monde, mais ils font pas ça tout le temps et il faut tomber au bon moment. Il y a pas de miracle.




Le sens de la vie
Moi ce qui m'a toujours paru bizarre, c'est que les larmes ont été prévues au programme. Ça veut dire qu'on a été prévu pour pleurer. Il fallait y penser. Il y a pas un constructeur qui se respecte qui aurait fait ça.

Tout ce que je savais, c'est que j'avais surement un père et une mère, parce que là-dessus la Nature est intraitable.

On a dormi à côté du sommeil du juste. Moi j'ai beaucoup réfléchi là-dessus et je crois que Monsieur Hamil a tort quand il dit ça. Je crois que c'est les injustes qui dorment le mieux, parce qu'ils s'en foutent, alors que les justes ne peuvent pas fermer l'œil et se font du mauvais sang pour tout. Autrement ils seraient pas justes.

[...] il m'a expliqué en souriant que rien n'est blanc ou noir et que le blanc, c'est souvent le noir qui se cache et le noir, c'est parfois le blanc qui s'est fait avoir.

« Il ne faut pas avoir peur », c'est un truc débile. Monsieur Hamil dit toujours que la peur est notre plus sûre alliée et que sans elle Dieu sait ce qui nous arriverait, croyez-en ma vieille expérience. Monsieur Hamil est même allé à La Mecque, tellement il avait peur.

Ce n'est pas une maladie et croyez-en un vieux médecin, les choses les plus difficiles à guérir, ce ne sont pas les maladies.




Le bonheur
J'étais tellement heureux que je voulais mourir parce que le bonheur il faut le saisir pendant qu'il est là.

Le bonheur, je vais pas me lancer là-dedans avant d'avoir tout essayé pour m'en sortir.

Je voudrais aller très loin dans un endroit plein d'autre chose et je ne cherche même pas à l'imaginer, pour ne pas le gâcher.

Je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c'est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre.

Moi, l'héroïne, je crache dessus. Les mômes qui se piquent deviennent tous habitués au bonheur et ça ne pardonne pas, vu que le bonheur est connu pour ses états de manque.




L’enfance
Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la première fois. Avant, on n'a pas de mémoire et on vit dans l'ignorance. J'ai cessé d'ignorer à l'âge de trois ou quatre ans et parfois ça me manque.

[...] il n'y a rien de plus conformiste que les mômes [...]

La première chose que personne ne veut, quand on adopte un môme, c'est qu'il soit demeuré. Ça veut dire un môme qui a décidé de s'arrêter en route parce que ça lui dit rien qui chante.

Madame Rosa engueulait Banania mais celui-ci s'en foutait parce qu'il n'avait que trois ans et des sourires. Je pense que Madame Rosa aurait peut-être donné Banania à l'Assistance mais pas son sourire et comme on ne pouvait pas l'un sans l'autre, elle était obligée de les garder tous les deux.

Moi je vous dis que ce salaud-là n'était pas de ce monde, il avait déjà quatre ans et il était encore content.

Quand on est môme, pour être quelqu'un il faut être plusieurs.




La vieillesse
Je ne sais pas du tout de quoi Madame Rosa pouvait bien rêver en général. Je ne vois pas à quoi ça sert de rêver en arrière et à son âge elle ne pouvait plus rêver en avant. Peut-être qu'elle rêvait de sa jeunesse, quand elle était belle et n'avait pas encore de santé.

Malheureusement, Madame Rosa subissait des modifications, à cause des lois de la nature qui s’attaquaient à elle de tous les côtés, les jambes, les yeux, les organes connus tels que le cœur, le foie, les artères et tout ce qu’on peut trouver chez les personnes très usagées. Et comme elle n’avait pas d’ascenseur, il lui arrivait de tomber en panne entre les étages et on était tous obligés de descendre et de la pousser [...] 

Elle était si triste qu'on ne voyait même pas qu'elle était moche.

Elle était tellement maquillée qu'elle paraissait encore plus nue ailleurs [...]

[...] mais à poil, avec ses quatre-vingt-quinze kilos qui attendent le client et un cul qui n'a plus rien d'humain, c'était quelque chose qui exigeait des lois pour mettre fin à ses souffrances.

Les cauchemars, c'est ce que les rêves deviennent toujours en vieillissant.




L’amour
Je ne vais pas lui jeter des fleurs, mais j'ai jamais vu un Sénégalais qui aurait fait une meilleure mère de famille que Madame Lola, c'est vraiment dommage que la nature s'y est opposée. Il a été l'objet d'une injustice, et il y avait là des mômes heureux qui se perdaient. Elle n'avait même pas le droit d'en adopter car les travestites sont trop différentes et ça, on ne vous le pardonne jamais. Madame Lola en avait parfois gros sur la patate.

Je voyais bien qu'elle ne respirait plus mais ça m'était égal, je l'aimais même sans respirer.




Le racisme
Quand ils ont quatre ou cinq ans, les Noirs sont très bien tolérés.

Pendant longtemps je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris à l'école. Mais je ne me battais jamais, ça fait toujours mal quand on frappe quelqu'un.

Dès qu'on sait qui vous êtes on est sûr de vous le reprocher.

Madame Rosa disait que le docteur Katz était pour la médecine générale et c’est vrai qu’il y avait de tout chez lui, des Juifs, bien sûr, comme partout, des Nord-Africains pour ne pas dire des Arabes, des Noirs et toutes sortes de maladies. Il y avait sûrement beaucoup de maladies vénériennes chez lui, à cause des travailleurs immigrés qui attrapent ça avant de venir en France pour bénéficier de la sécurité sociale. Les maladies vénériennes ne sont pas contagieuses en public et le docteur Katz les acceptait mais on avait pas le droit d’amener la diphtérie, la fièvre scarlatine, la rougeole et d’autres saloperies qu’il faut garder chez soi. Seulement, les parents ne savaient toujours de quoi il se retournait et j’ai attrapé là une ou deux fois des grippes et une coqueluche qui ne m’étaient pas destinées. Je revenais quand même. J’aimais bien être assis dans une salle d’attente et attendre quelque chose, et quand la porte du cabinet s’ouvrait et le docteur Katz entrait, tout de blanc vêtu, et venait me caresser les cheveux, je me sentais mieux et c’est pour ça qu’il y a la médecine.

Commentaires