Une main qui aime plus qu’on ne s’aime entre camarades

Gilles Leroy s'est inspiré de la relation entre Cary Grant et Randolph Scott


[...] souvent la caméra perce en nous ce qu’on croyait le mieux caché, le plus impénétrable, et ce qu’on ne veut pas lui donner, elle nous le soutire au premier regard un peu flottant, à la première hésitation de lèvre.

Il y avait sa haute taille bien sûr, ce corps monté sur échasses et qui dansait plus qu’il ne marchait ; il y avait ce côté sombre aussi, sa peau mate, ses cheveux noirs, épais, ses sourcils comme deux traits à l’encre de Chine. Mais surtout il y avait son regard. D’où venaient les abeilles dans ses yeux, des abeilles noir et or, insaisissables, qui virevoltaient sans fin et faisaient vibrer l’air autour ? Dans son regard, vous aviez le miel et l’instant d’après la morsure. Comme ça, pfft. Il souriait, il piquait.

Lockhart a eu vite fait de percer à jour la colonie.
Trois malheureuses collines qui se prennent pour des himalayas. Et sur ce caillou, disait-il, des types qui font passer le premier bout de verre pour un diamant à cent carats.

J’étais l’aîné, je l’aimais – et je l’ai aimé encore plus, alors, quand il osait appeler à l’aide. C’est cette nuit-là que le mot a été prononcé. Le mot d’amour. Cette nuit-là et plus jamais après. Plus une fois dans les sept années qu’il a duré, l’amour. Le jour où on l’a redit, c’était pour constater qu’il était mort. Ouais. »

C’est un lieu de nuit : il a en plein jour cet aspect fatigué, pas très net, des lieux surpris dans leur sommeil et que leur nudité dépouille

Les grands acteurs ne recherchent pas l’épanouissement, figurez-vous, ni les plaisirs. Le bonheur n’est pas le but. Ils cherchent le gant de crin plus que la caresse, le cilice plutôt que la soie, l’humiliation plus que les vivats. C’est pour ça qu’on les appelle monstres.

[...] cette main de Bob serrant l’épaule nue de Paul, un geste de rien du tout, pourrait-on dire, la simple accolade d’un camarade, si ce n’est que l’étreinte n’a rien de léger ni d’anodin, pourquoi, nul ne saurait le dire et pourtant nul ne peut se le cacher, cette main posée là sur l’épaule est une main qui aime plus qu’on ne s’aime entre camarades, qui touche autrement qu’on ne se touche entre copains, une main qui désire, une main qui caresse et continuera de caresser quand plus personne ne regardera, ni le photographe dans son œilleton ni le technicien dans sa chambre noire.

 Gilles Leroy - Dans les westerns (Mercure de France-2017)

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