Homme libre, fier nageur, il s’élançait vers un nouveau destin

Raymond Voinquel - Louis Jourdan, 1939


C’était, dans la nuit, comme si je me retrouvais confronté à mon propre reflet dans les profondeurs d’un immense et sombre miroir.

Pour le reste, j’étais presque autant un étranger à bord qu’il l’était lui-même, lui dis-je. Et à ce moment, je le sentais avec beaucoup d’acuité.

- Du moment que je sais que vous comprenez, murmura-t-il. Mais je n’en ai aucun doute. C’est une grande satisfaction d’avoir quelqu’un qui vous comprenne. On dirait que vous étiez là à dessein. » Et dans le même souffle, comme si, lorsque nous parlions, nous avions tous les deux des choses à nous dire que le monde ne devait pas entendre, il ajouta : « C’est vraiment merveilleux. »

Mais ce fut à peine si je pensai à mon autre moi-même, qui maintenant avait quitté le navire, pour être à jamais caché aux regards amis, pour être un fugitif et un vagabond sur cette terre, sans qu’une marque de malédiction ne soit gravée sur son honnête front pour arrêter une main assassine... trop fier pour expliquer.

[...]  j’arrivai à temps pour entrevoir fugitivement mon chapeau blanc qui était resté en arrière et marquait l’endroit où le compagnon secret de ma cabine et de mes pensées, tel un autre moi-même, s’était laissé glisser dans l’eau afin de subir son châtiment : homme libre, fier nageur, il s’élançait vers un nouveau destin.


Joseph Conrad - Le compagnon secret (Mille et Une Nuits-1997)

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