« C’est mon frère, et c’est un artiste. »



C’est sur l’impulsion du Picabo River Book Club qui en a fait une lecture commune de novembre/décembre que je me suis (enfin) décidé à plonger dans La rivière du sixième jour, classique de la littérature américaine, qui figurait jusque-là (aux côtés de nombreux autres) sur la (trop) longue liste des lacunes de ma culture générale. D'autant que je n’ai même pas vu Et au milieu coule une rivière, son adaptation au cinéma par Robert Redford, culte elle aussi… c’est dire !

Mais il me faut reconnaître que si je me suis laissé séduire aussi facilement par l’idée d’ouvrir le roman de Norman Mclean (avec un « l » minuscule, « C’est affreux d’écrire notre nom avec un L majuscule. Les gens vont croire que nous venons des Basses-Terres d’Écosse, et pas des Îles »), c’est que ces dernières années les éditions Gallmeister sont passées par-là et ont fait mon éducation en matière de nature writing. J’ai appris que ce genre ne se limite pas aux contemplations bucoliques (que je ne goûte guère), mais que la nature environnante fait office de miroir, de caisse de résonance et/ou de révélateur pour le monde intérieur des protagonistes. Et en littérature, à l’action ou au suspense, j’ai toujours préféré l’intime. Force est de reconnaître que ce que j’ai aimé dans La rivière du sixième jour, bien plus que les sessions de pêche à la mouche dans les décors somptueux du Montana et les eaux rugissantes de la Blackfoot River, c’est tout ce qui touche à la relation fraternelle, aux non-dits, à la pudeur des sentiments, aux maladresses, à la difficulté de communiquer et de se comprendre, même (surtout ?) entre membres d’une même famille.

« Dans notre famille, nous ne faisions pas clairement la distinction entre la religion et la pêche à la mouche. »
Fils de pasteur presbytérien, le narrateur se souvient avec nostalgie de mémorables parties de pêche, parenthèses enchantées dans leur relation compliquée, moments bénis de communion, de complicité partagée avec son cadet, sans qu’il leur soit besoin de prononcer un mot. Il s’agit d’une magnifique déclaration d’amour d’un homme au soir de sa vie à son frère Paul, figure insaisissable et disparue, qui maniait la canne à pêche comme le vacher son lasso, avec une grâce et une adresse sans pareilles. « C’est mon frère, et c’est un artiste. »
De ce roman refermé depuis plusieurs jours déjà, me restent en mémoire des passages qui me frappent par leur puissance évocatrice et leur manifeste dichotomie : chaleur écrasante du soleil incitant à l’immobilité / fraîcheur et mouvement des eaux de la rivière ; sérénité des parties de pêche / caractère tourmenté de Paul ; luminosité du paysage / face sombre du bad boy, porté sur la bouteille et les jeux d’argent.

Pour autant, ce grand bonheur de lecture a été gêné à maintes reprises par des lourdeurs de style et/ou de traduction. Quelques exemples : dès le début, à quelques pages d’intervalle, il est répété que la canne ne pèse « pas plus de cent vingt-cinq grammes » ; puis plus loin dans le texte, à 4 autres occurrences, qu’elle pèse « un peu moins de cent trente grammes » (mais toujours « four and a half ounces », après vérification dans la V.O.). Dans un texte aussi court, était-il indispensable de reprendre six fois cette information ?
Champion du monde toutes catégories de la répétition et de la lourdeur (même si je devine bien l’intention de l’auteur derrière) : « L’idée », a-t-il dit, « c’est de repérer un truc qui te permet de voir un truc que tu n’avais pas remarqué jusque-là et qui, lui, te permet de repérer un truc qui n’est même pas visible », traduction de :  “All there is to thinking,” he said, “is seeing something noticeable which makes you see something you weren't noticing which makes you see something that isn't even visible.” Sauf que si la langue anglaise s’accommode sans problème des répétitions, le français, lui, est moins tolérant en la matière.
Je finirai par un défaut manifeste de traduction : « Je pense qu'il s'efforçait de me mettre un peu de baume dans le cœur. » qui m’a piqué les yeux.

Extraits
Norman Mclean - La rivière du sixième jour (Points-1993)

Commentaires

  1. "la nature environnante fait office de miroir, de caisse de résonance et/ou de révélateur pour le monde intérieur des protagonistes" voilà qui est bien dit, et correspond bien à l'idée du nature writing tel que je l'aime (mais je n'aurais pas su le dire aussi bien !) Bref, je lirai plutôt ce roman s'il est retraduit !

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    1. Je te comprends... et en même temps, c'est aussi dommage de se priver d'une belle histoire à cause d'une traduction par moments bancale et vieillie.
      D’autant que je n'ai pas l'impression qu'une nouvelle traduction soit au programme chez Rivages qui vient tout juste de ressortir ce roman sous une nouvelle couverture (https://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/86/99/88/8952198/1507-1/tsp20171002152708/Et-au-milieu-coule-une-riviere.jpg)... qui n'est pas sans rappeler la nouvelle maquette des Totem de Gallmeister (https://www.actualitte.com/images/actualites/images/editeurs/totem%20nouveaux%20graphismes.jpg) ;-)

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