Père & fils... mode d'emploi


Antoine, la soixantaine, rend régulièrement visite à son père vieillissant, lui apporte ses courses, supervise la livraison de ses repas quotidiens et lui fait, à sa demande, la lecture des prospectus publicitaires qu'il a reçus entre deux visites.
L’octogénaire, immigré sarde analphabète, revêche et bougon, est sa seule famille. Mais entre les deux hommes les relations, faites de silences pudiques, de non-dits et d’incompréhension mutuelle, n’ont jamais été au beau fixe. L’absence de la mère, morte alors qu’Antoine était enfant, rend leur rapport plus inconfortable encore.
Quand son père lui demande un jour de lui apprendre à lire, Antoine s’exécute de mauvaise grâce devant ce qui lui apparaît comme une lubie. Et il a tôt fait de jeter l’éponge tant les leçons dégénèrent systématiquement en bisbilles entre les deux hommes. Il décide alors de confier son père aux soins d’une de ses rencontres d’un soir, futur professeur des écoles qui arrondit ses fins de mois d'étudiant en faisant quelques passes

Qu’est-ce qui peut bien pousser un homme au seuil de sa vie à vouloir apprendre à lire ?
Prendre, tant qu’il en est encore temps, une revanche sur la vie en maîtrisant enfin ce qui lui a été refusé quand il était enfant, en Sardaigne, et que son père l’envoyait garder les bêtes plutôt que sur les bancs de l’école ? Essayer d’entrevoir le monde de ce fils que rien ne prédestinait à diriger un grand groupe de presse et qu’il ne connait finalement pas ?
Si le père, lors de ces leçons, se rapproche insensiblement de son fils, Antoine, lui aussi, appréhende autrement ce père renfermé qui ne lui a jamais témoigné un signe d’affection ou même d’attention. Il va comprendre combien cet homme, ancien mineur, a souffert toute sa vie de son analphabétisme. 
Sur le chemin du pardon, il va se réconcilier avec son père mais aussi avec lui-même, son passé et ses origines.


« Maintenant, je dois assumer un patchwork de morceaux de ma vie dans une histoire qui ne m’est pas arrivée. »
Sébastien Ministru, "Mon père est fier d’être dans un livre”,
entretien avec Jean-Luc Cambier (Moustique, 24.01.2018) 


Tout au long de ma lecture, ces deux-là m’ont fait penser à deux vieux chiens errants qui, du matin au soir, se tournent autour, se jaugent, s’observent craintivement, montrent les dents de temps en temps histoire d’impressionner l’autre, qui n’est pas dupe. Tout ça pour finir pelotonnés l’un contre l’autre, histoire de se tenir chaud pour passer la nuit.
C’est une très belle histoire, tendre et mordante à la fois, où l’amour filial l’emporte sur la pudeur des sentiments. Dans ce premier roman, le belge Sébastien Ministru, homme de presse, de radio et de théâtre, a livré beaucoup de lui-même. C’est probablement pour cela que ses personnages sont si vrais, si attachants et si touchants.
Une vraie réussite. Un gros coup de cœur.

Extraits 1 - Extraits 2

Sébastien Ministru - Apprendre à lire (Grasset, 2018)

Commentaires

  1. " tendre et mordante ", une histoire qui prend au coeur de toute évidence. Je garde un souvenir traumatique de ma lecture d'"Illetré " de Cécile Ladjali ( bien que j'ai défendu ce livre ), un regard réaliste et cruel de la situation de jeunes laissés sur le côté par les mots. Alors celle-ci, rien qu'à te lire, elle me touche.

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    1. Ah, j'ai détesté "Illettré" qui m'a mis hors de moi pour cette espèce de condescendance de l'auteur pour son personnage que j'ai ressentie tout au long du livre. Ici, c'est tout l'inverse. Et autre différence encore : plus encore que l'illettrisme, ce sont les relations père/fils qui sont au centre du roman.

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  2. Un gros coup de coeur ?Et bien ! Il faudrait qu'il croise mon chemin celui-ci alors...

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    1. Oui, tu as raison de le souligner. Je ne suis pas du genre démonstratif et mes coups de cœur sont suffisamment rares pour être remarqués ;-)

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  3. à l'occasion d'une visite sur mon blog je viens de repérer votre blog et je tombe sur un coup de cœur qui me tente bien. D'où vient le nom de votre blog?

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    1. Merci de ton passage, Luocine.
      Il faut te laisser tenter (le tutoiement est de rigueur sur la blogo, non ?) ;-) , c’est un très beau roman qui réconcilie avec l’espèce humaine et fait chaud au cœur.

      Pour ce qui est du nom du blog, je trouvais savoureuse l’homophonie entre un chanteur de soul que j’admire (Otis Redding) et ma condition d’autiste passionné de lecture et de livres (Autist Reading).
      Et si tu souhaites en savoir davantage encore, rdv sur la page A propos (http://theautistreading.blogspot.fr/p/blog-page.html).

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  4. Je découvre ce titre, et ce que tu en dis me tentes beaucoup, merci !

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    1. Une découverte pour moi aussi, au détour d'une table de librairie. Je ne connaissais pas cet auteur qui semble être une figure populaire chez vous. Du coup, j'ai bien envie de découvrir ses pièces de théâtre...

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    2. Figure toi que je ne le connaissais pas, mais je découvre ses chroniques radios grâce à toi !

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    3. Comme quoi, nul n'est prophète en son pays ;-) !

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