Récap janvier 2018



Nathan Hill - Les fantômes du Passé (Gallimard, 2017)
En près de 700 pages, Nathan Hill invite son lecteur à parcourir 50 ans d’histoire de la société américaine, du mouvement hippie à Occupy Wall Street. Le coup de génie de Hill, c’est d’avoir préféré le roman au manifeste politique, la vie à la thèse, l'intime à l'Histoire.
Alors que les médias diffusent en boucle les images d’une sexagénaire lançant du gravier sur un gouverneur conservateur probable candidat à la présidentielle jusqu’à en faire une affaire de sécurité nationale, Samuel Anderson, modeste professeur de littérature à l'université, découvre que la femme désignée comme "terroriste"  n’est autre que sa mère qui, une vingtaine d’années auparavant, les avait abandonnés, son père et lui, pour ne plus jamais donner signe de vie.
Pour comprendre les motivations qui ont conduit Faye à ce geste de protestation qui risque de lui coûter cher, Samuel va devoir fouiller dans la passé de sa mère et, du même coup, découvrir les raisons pour lesquelles elle a laissé derrière elle son mari et son fils de onze ans.
Les allers-retours entre l’histoire de Faye au début des années 1970 et les recherches de Samuel dans le Chicago des années 2010 donnent l’occasion à Nathan Hill de dépeindre l’évolution des États-Unis, depuis les différents mouvements antiracistes, de libération sexuelle, pour les droits des femmes… aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, au tout-sécuritaire de l’après 9/11, à l’addiction aux jeux vidéo en ligne et à la prédominance des médias sociaux.
J’ai dévoré ce pavé comme si de rien n’était, sans m’ennuyer un seul moment tant c’est prenant, intelligent et caustique.
Extraits


Enki Bilal - Bug Livre 1 (Casterman, 2017)
Un premier opus très prometteur mais frustrant. Maintenant que les protagonistes sont mis en place, l’attente jusqu’au prochain volume s’annonce longue…
Billet complet


Alex Gino - George (Scholastic, 2017)
Les personnages transgenres ne courent pas les rues en littérature jeunesse (en littérature tout court, d’ailleurs). Raison de plus pour découvrir une belle histoire et un beau personnage…  et au passage de se sensibiliser à la question.
Billet complet


Sébastien Ministru - Apprendre à lire (Grasset, 2018)
Que dire de plus que je n’ai déjà dit ici ou sur Facebook ?
Un beau hasard de librairie comme je les aime.
Extraits 1 - Extraits 2

George Saunders - Lincoln in the Bardo (Random House, 2017)
Je suis un être faible. Les éloges unanimes de la presse outre-Atlantique et l'attribution du Booker Prize ont suffi pour que je décide à lire Lincoln in the Bardo. Enfin, pas seulement : j’avais déjà lu beaucoup de bien de Dix décembre, le précédent recueil de nouvelles de l’auteur, et le pitch du roman, à partir d’un fait historique, me tentait : alors que le pays est engagé depuis un an dans la guerre de sécession, Abraham Lincoln est dévasté par la mort de son jeune fils de 11 ans, à tel point que des rumeurs disent qu’il se rend régulièrement à la crypte où repose Willie pour le serrer dans ses bras.
Sans en savoir plus, je me suis lancé dans ma lecture et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir en lieu et place de narration une succession de monologues entrecoupés de citations de documents historiques (certains authentiques, d’autres inventés comme prévient l’auteur en début de roman). Et ce qui ne facilitait pas ma lecture (ou plus exactement ma compréhension du récit), c’est que l’identité du narrateur ou de la source documentaire n’est indiquée qu’en fin de citation (plutôt qu’au début, comme dans une pièce de théâtre par exemple). Certains noms de narrateurs revenaient plus souvent que d’autres, comme Hans Vollman ou Roger Bevins III. Pour autant, il ne m’a pas été facile avant longtemps de faire le lien entre les uns et les autres, et surtout de comprendre qui ils étaient et où ils évoluaient.
Les choses sont tout de suite plus claires quand on sait en attaquant le roman qu’on se trouve dans le Bardo (d’où le titre, crétin que je suis), équivalent pour les bouddhistes tibétains de notre purgatoire, une zone intermédiaire où les âmes se préparent à rejoindre l’au-delà. Ainsi, les 166 narrateurs qui vont se succéder au fil des 108 chapitres ne sont autres que des spectres attendant de passer dans l’autre monde, la plupart refusant d’admettre qu’ils sont morts.
Et le rapport avec Lincoln dans tout ça ? Les enfants, supposément innocents, contrairement aux adultes, ne restent jamais très longtemps dans le Bardo. Or, à cause des visites répétées de Lincoln à la crypte, le jeune Willie refuse de partir, pour continuer à voir son père et à se blottir dans ses bras.
J’ai retrouvé dans cette lecture l’esprit, le ton, la langue d’Humphry Clinker, de Tobias Smollet, un roman picaresque jubilatoire du XVIII siècle, classique de la littérature britannique. C’est divertissant, drôle souvent, foisonnant, inventif, mais de là à crier au chef d’œuvre… Sans doute ai-je été désarçonné par la forme peu conventionnelle du roman, tant dans sa narration que dans sa structure, que j’imaginais fresque historique conventionnelle. Sûrement aussi ai-je été agacé par la vision traditionaliste des « pauvres pêcheurs » (alcooliques, escrocs, bandits, maris infidèles, prostituées et invertis…)…
Extraits

Isabelle Carré - Les rêveurs (Grasset, 2018)
La famille, ses dysfonctionnements, ses espoirs, déçus ou pas, ses non-dits… sujet inépuisable s’il en est. Isabelle Carré a grandi dans un environnement « pop-post-soixante-huitard-zen » qui, vu de l’extérieur, m’aurait semblé propice à l’autonomie, la créativité, la confiance en soi…
Or, il n’est pas facile de trouver sa place lorsqu’on est enfant entre une mère dépressive chronique, physiquement présente mais pourtant toujours absente, et un père fantasque, qui va peu à peu décider d’assumer une homosexualité jusque-là refoulée. L’adolescence ne fait qu’ajouter au malaise, à la difficulté de vivre et de se cogner à la réalité. Tentative de suicide et internement psychiatrique, les blessures de l’âme vont peu à peu cicatriser quand Isabelle découvre le théâtre.
« Discrète et lumineuse », « actrice connue, que personne ne connaît », Isabelle Carré ouvre les carnets dans lesquels elle a consigné une grande partie de sa vie pour nous faire partager des souvenirs, des sentiments, des impressions qui, sous couvert de roman, sont grandement autobiographiques. Laure m’avait rassuré en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une énième « actrice qui sort un bouquin plus ou moins autobiographique et l’appelle roman, tout est dit en interview et tournée promo ». Effectivement, Isabelle Carré a une jolie plume, touchante, qui sait transmettre l’émotion.Un beau texte dont le sujet parlera à tous, et plus encore à ceux des générations 60/70 qui sauront décoder les allusions aux pubs et chansons de l’époque.
Isabelle Carré « écri[t] pour qu’on [la] rencontre ». Pour moi, ce fût une belle rencontre.
Extraits

Commentaires

  1. ça fait pas mal de pages lues tout ça, dit celle qui lit à la vitesse d'un escargot en ce moment par manque de temps...

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    1. Il ne faut pas compter en nombre de pages mais en bons moments passés :-) Ce mois-ci a été particulièrement agréable, en termes de lectures.
      Il m'arrive aussi parfois de ne pas avoir suffisamment de temps de cerveau disponible pour lire autant que je le souhaiterais, et ce sont des périodes que je n'aime vraiment pas. Dans ces moments-là, le principal est de bien choisir ses lectures, histoire de ne pas gâcher les rares moments où on peut se faire plaisir.

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  2. J'ai vraiment aimé "Les fantômes du vieux pays", j'ai aimé les parallèles entre les époques et l'évolution des protagonistes. Les parties sur le joueur complètement addict m'ont un peu plus laissée de marbre, cet univers complètement virtuel me dépasse vraiment.

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    1. Comme toi, je me suis senti moins concerné par tout ce qui touche aux jeux en ligne, mais je ne me suis pas ennuyé pour autant lors de ces passages-là. J'ai lu par la suite que l'auteur avait mis une dizaine d'année avant de boucler ce premier roman... pas vraiment étonnant. Pour les lecteurs que nous sommes, le jeu en valait assurément la chandelle.

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  3. Le Nathan Hill, repéré depuis longtemps, va arriver à la bibli, voilà. pas encore les rêveurs, mais ça peut se suggérer; tu auras compris que j'ai une fantabuleuse bibli, et ne traîne plus trop en librairie (trop dangereux)

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    1. Si le Nathan Hill ne va pas tarder à arriver, patiente donc encore un peu pour le roman d'Isabelle Carré qui vient juste de sortir. Je serais bien étonné que ta bibli ne le fasse pas rentrer...

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  4. Oula, le Isabelle Carré n'a pas eu du tout le même effet sur moi... Pas le même ressenti (vous retrouverez le mien mercredi sur mon blog !)

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    1. Je suis d'autant plus curieux de savoir ce qui t'as déplu que les billets que j'ai pu lire jusqu'à maintenant sur ce livre sont globalement positifs. Je ne sais pas si Isabelle Carré a l'intention de poursuivre dans la fiction (et là, je veux dire 100 % fiction), mais si un jour elle publie un nouveau roman, ça ne fait pas de doute que je le lirai.

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