Récap mars 2018


Jim Lynch - Face au vent (Gallmeister, 2018)
Trad. de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch
Chez les Johannssen, la voile est une affaire de famille. Dans leur chantier naval de la baie de Seattle, l’aïeul Grumps dessine les voiliers, tandis que le père les construit et le cadet des fils, Josh, les répare. La mère, scientifique de formation, utilise les lois de la physique pour améliorer les performances de la fille, Ruby, au don quasi-magique pour la navigation.
Alors que Ruby et Bernard, le fil aîné, rebelle et contestataire, ont déserté depuis plusieurs années le foyer familial, tous les membres de la famille vont se retrouver à l’occasion de la Swiftsure, célèbre régate de la côte ouest, à laquelle les trois générations vont participer pour la dernière fois à bord d’un ancien voilier Johannssen restauré sous la supervision de Josh.
Si la voile y est un personnage à part entière, Face au vent est avant tout un roman sur les rapports familiaux, la difficulté d’y affirmer sa personnalité et de gérer les attentes des uns et des autres. C’est l’histoire d’une famille qui va à vau-l’eau et se délite, malgré les efforts de Josh, le narrateur, pour maintenir la cohésion familiale et entretenir des liens qui se distendent avec son frère et sa sœur. 
Les personnages sont tous émouvants à leur façon : la rudesse du père, la folie douce de la mère, la bonhommie du grand-père, l’éclat de Ruby, la révolte de Bernard et l’empathie de Josh.
Un roman d’une profonde humanité qui aurait pu être un coup de cœur si je n’avais pas trouvé le destin de Ruby trop  mélo à mon goût.
Extraits

Richard Wagamese - Les étoiles s'éteignent à l'aube (Zoe, 2016)
Trad. de l'anglais (États-Unis) par Christine Raguet
De liens familiaux, il est également question dans ce roman. Après la belle découverte de Cheval indien, je n’ai pas attendu longtemps pour retrouver Wagamese tant les membres du Picaboo River Book Club étaient unanimes pour m’inciter à lire au plus vite son premier roman, Les étoiles s’éteignent à l’aube. Et effectivement, cette histoire m’a bouleversé.
À la demande de son père alcoolique qu’il n’a quasiment pas connu, un jeune indien de 16 ans accepte de l’accompagner pour qu’il meure en guerrier dans les montagnes de leurs ancêtres. Au fil du voyage, les deux hommes vont apprendre à se connaître, le père apportant enfin à son fils les réponses aux zones d’ombre qui émaillent son histoire personnelle.
D’une histoire de filiation, de transmission, de pardon et de rédemption qui a tous les ingrédients pour être sinistre, Wagamese fait un récit lumineux d’humanité, où la nature est omniprésente. Son texte, tout en sobriété, riche de silences et de non-dits, sait aussi se faire poétique par moment.
Un superbe bouquin.
Extraits

Catherine Cusset - Vie de David Hockney (Gallimard, 2018)
Il me faut avouer que des a priori sur le réel intérêt que pouvait présenter un roman sur un artiste vivant ne m’incitaient pas à m’intéresser à cette Vie de David Hockney. Mais plusieurs facteurs ont fait que la curiosité l’a emporté sur la raison : j’avais beaucoup un flot d’éloges au sujet de L’autre qu’on adorait et je n’avais encore jamais lu Catherine Cusset. De plus j’avais beaucoup aimé la rétrospective que Beaubourg a consacré à Hockney l’an dernier.
Mes craintes se sont malheureusement révélées fondées : en ouverture, l’auteur précise bien qu’il ne s’agissait pas pour elle d’écrire une biographie, mais ce qui est annoncé en couverture comme un roman n’en est pas vraiment un.
Le texte, court, basé sur un gros travail de documentation (ça se sent, ce qui en accentue l’aspect scolaire) est d’une platitude factuelle, sans approche critique. Pour ce qui est du « roman », on devra se contenter de quelques réflexions sans grande portée imputées au peintre, là où j’attendais un vrai travail fictionnel basé sur l’introspection (pas facile, je l’admets, quand l’artiste est toujours en vie, mais ce n’est pas moi qui ait choisi d’écrire un roman). Quelques passages valent tout de même la peine par leur mise en perspective de certaines œuvres.
Enfin, comme à chaque fois qu’un texte se rapporte à l’art, j’ai regretté de ne pas trouver de reproduction des œuvres citées (même si je m’y attendais, puisque le roman est paru à la Blanche chez Gallimard).
Extraits

Jacqueline Woodson - Another Brooklyn (HarperCollins, 2016)
C’est l’enterrement de son père qui conduit August, jeune afro-américaine de trente-cinq ans, à retrouver le Brooklyn de sa prime jeunesse. Avec nostalgie, lui reviennent alors en mémoire, tous les souvenirs d’une époque difficile (absence de la mère, deuil, pauvreté, condition de la femme noire, religion…) vécue alors avec l’insouciance de l’enfance. Par petites touches sans réelle chronologie, Jacqueline Woodson dépeint le Brooklyn des années 70 où elle a grandi.
Alors qu’elle a 8 ans, à l'été 1973, August quitte le Tennessee de sa naissance pour venir s’installer à Brooklyn avec son père et son petit frère. Leur nouveau quartier intimide les deux enfants par son effervescence constante. En leur interdisant de sortir, leur père pense les préserver du danger qui rôde : gangs, violence, drogue, prostitution, viols. C’est donc de derrière la fenêtre qu’ils observent l’animation de la rue et les gens qui passent, comme sur un écran de télé. L’attention d’August est accaparée par un groupe de trois filles de son âge qui semblent inséparables et qu’elle rêverait de rejoindre. Elle finira par se lier d'amitié avec elles. August, Gigi, Angela et Sylvia vont tout partager : leurs rêves, leurs malheurs, leurs amours…
Complices, elles se voyaient amies pour toujours, mais la réalité de la vie va les rattraper et le danger se rapprocher à mesure qu’elles grandissent et que leurs formes se révèlent.
Extraits

J. Bradford Hipps - The adventurist (St. Martin's Press, 2016)
La vie en entreprise en période de crise : management tyrannique, course aux résultats, coups bas de collègues effrayés de se faire virer, horaires interminables aux dépends de la vie privée…
Mauvais endroit pour une rencontre. Les paysages et l’ambiance du Laos ne se prêtaient pas du tout au cynisme de ce roman. Après une trentaine de pages, j’ai fini par jeter l’éponge ; Bye bye, Henry Hurt ! Je n’avais aucune envie de gâcher une sérénité à peine retrouvée en revivant des situations connues et vécues (même de loin) au quotidien.

Dominique Ané - Y revenir (Stock, 2012)
Contrairement à ce qui est communément relayé dans les médias, le chanteur Dominique A n’est pas nantais d’origine. Il est né à Provins, où il a vécu jusqu’au début de son adolescence avant que son père soit muté. Il entretient une relation ambiguë avec cette ville, théâtre d’une enfance morose cloitrée entre les remparts médiévaux. Une ville assoupie où il ne peut s’empêcher de se sentir seul et différent, où rien ne se passe alors que lui rêve déjà d’autre chose.
Dans ce court récit autobiographique et nostalgique, dans lequel on retrouve avec plaisir la délicatesse et la poésie de sa plume, le chanteur revient sans complaisance sur sa jeunesse et les prémices de son parcours d’artiste.
Un récit très personnel qui a pourtant trouvé de nombreux échos en moi et parlera à tout un chacun.
Extraits
   
Wolfgang Hermann - Adieu sans fin (Verdier, 2017)
Trad. de l'allemand (Autriche) par Olivier Le Lay
À 17 ans, Fabius vient de mourir dans son lit d’une « simple » fièvre. De l’hébétude à la prostration, de la douleur du désespoir à la colère, on suit son père dans son difficile travail de deuil et de reconstruction.
Un récit éprouvant, qui se vit plus qu’il ne se lit, et qui montre que, même après un tel drame, la vie peut reprendre son cours.
Extraits

Claire-Louise Bennett - Pond (Riverhead Books, 2016)
La pertinence d’une pancarte près de l’étang voisin qui annonce « Étang », le jardinage, le désherbage, la feuille d’un arbre qui atterrit dans l’eau du bain, les boutons de la vieille cuisinière qu’il faut changer, le passage d’un troupeau de vaches ou d’un promeneur, une vieille lettre d’amour retrouvée… Autant de sujets insignifiants qui traversent l’esprit de la narratrice et qu’elle nous livre, tels qu’ils lui viennent.
D’elle, on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle a quitté Londres pour venir s’installer dans un cottage rustique et isolé de la campagne irlandaise. On en ignore les raisons mais on devine que des déboires amoureux peuvent en être l’origine.
Étrange roman que celui-ci, suite de digressions (20 courts chapitres de quelques lignes à quelques pages), monologue intérieur sans aucune forme de logique ou de transition. Un livre déconcertant dans lequel il ne se passe rien, qui ne parle de rien, ou de si peu. Et pourtant j’ai eu envie de le lire jusqu’à la fin, à la fois horripilé par cette logorrhée obsessive (imaginez votre voisine de table monopoliser la parole pendant tout le repas en énonçant sans filtre toutes les banalités qui lui passent par la tête) et subjugué par les réflexions singulières de la narratrice sur les petits riens du quotidien. C’est à la fois d’une platitude extrême et d’une originalité savoureuse… et souvent drôle.
Ça passe ou ça casse.
Extrait

Commentaires

  1. J'aurai pu écrire ta première phrase pour le roman de Laurence Cusset. Et finalement, grâce à ton avis, je suis renseignée, ça m'évitera de tourner autour. En revanche, tu sais que tu me tentes avec Pond !

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    1. La chair est faible. Je savais par avance que j'aillais vers la déception avec cette "Vie de David Hockney" et pourtant, je n'ai pas pu résister... Mon sentiment est que l'auteur n'a pas su/voulu/pu trancher sur la forme à adopter pour son livre. Du coup, ça hésite, ça ballotte entre l'un et l'autre et au final, ce n'est ni l'un, ni l'autre.
      Je comprends que "Pond" t'intrigue :-D. C'est vraiment un bouquin bizarre et je n'arrive toujours pas à savoir si j'ai aimé ou pas. Il faudrait sans doute que je le relise, mais en français cette fois (il est paru en janvier dernier chez L'Olivier, si jamais tu l'ignorais).

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    2. J'ai débuté le roman de Catherine Cusset et j'ai arrêté. En effet, je confirme : le style scolaire et propret de la recherche bibliographique (sans âme et sans prise de risque) m'a moyen motivée pour la suite. Des bises sans glace (en souvenir de ton ancien pseudo)

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    1. Et moi, je n'ai lu aucun de ceux que tu as lus en mars ! ;-) ("La différence invisible", excepté)

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  3. Le Wagamese me tente beaucoup beaucoup!

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    1. Ne résiste pas plus longtemps et laisse-toi tenter. C'est une superbe histoire qui saura te toucher (et en plus, ça parle de chez toi) :D

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  4. effectivement on est en phase pour le David Hockney...dommage que l'auteure n'ait pas su se positionner vis-à-vis de cette histoire...pourquoi écrit-elle sur cet artiste? est-elle fan? s'intéresse-t-elle à une facette particulière de sa vie? (son petit nom c'est Catherine ^^)

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    1. Oooooops ! Merci de m'avoir signalé ma gaffe ; j'ai vite réparé mon erreur, ça fait un peu plus sérieux ;-D

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