"Y a dû aller faire le fanfaron devant les nazis pour faire rire ses chums"

Canadiens-Français, Enrôlez-Vous! Affiche de recrutement 1914-1918 source


« T’es un enfant de la guerre, Marcel. Ton père m’a fait un deuxième enfant, même si j’en voulais pas, pis laisse-moi te dire que je voulais pas un autre enfant de ce fou-là, parce qu’y avait peur de la guerre qui s’en venait. Est-tait pas encore déclarée qu’y prenait déjà les moyens pour pas être obligé d’y aller. Y a toujours été lâche. On disait que les pères de famille seraient exemptés au commencement de la guerre, qu’y seraient pas obligés d’y aller juste quand ça irait bien mal… Pis, va donc comprendre une chose pareille, y a été un des premiers à se porter volontaire ! Y t’avait faite pour pas être obligé d’y aller pis y a sauté dedans à pieds joints aussitôt qu’y a pu ! Avant même que tu viennes au monde, avant même de te voir la face ! Un coup de tête, une idée de soûlon, une gageure de taverne ? On l’a jamais su. Y est parti en fanfaron avec un des premiers contingents – tout le monde y disait qu’il était beau dans son uniforme, moi je le trouvais ridicule -, y a dû aller faire le fanfaron devant les nazis pour faire rire ses chums comme si c’étaient des chums de taverne… pis y est mort en héros. Comprends-tu ça, toi ? L’homme le plus lâche que la terre ait jamais connu est mort en héros sous les balles ennemies. Alors que ce qui a dû vraiment se passer, c’est qu’il est allé faire des simagrées devant les nazis en s’imaginant que c’était des méchants de cinéma… Y était bien assez imbécile pour ça, tu sais… Avec une bière dans le nez. J’étais ben contente de toucher ma pension de veuve de guerre, mais j’étais aussi certaine qu’y méritait pas la médaille que le gouvernement m’avait envoyée, il l’avait pas méritée, qu’y avait trompé son monde jusqu’au bout ! Ses fanfaronnades y avaient coûté la vie et mérité une médaille de guerre, imagine ! Si ta grand-mère pis ta tante Nana avaient pas été là, j’aurais accouché tu-seule comme une gipsy ! On t’a toujours dit que t’étais tout maigre, tout fripé, quand t’es venu au monde, mais t’étais pire que ça. T’vais pas l’air d’un bébé, t’avais l’air… je sais pas… d’un petit animal pas fini. On t’a sauvé, surtout ta tante pis ta grand-mère, parce que ça aurait pas été chrétien de pas le faire, mais si ça avait été juste de moi… Un petit paquet de troubles, mais un paquet de troubles pareil, c’est ça que t’étais. Pis que tu es resté. » (pp. 122-123)

Michel Tremblay - Le peintre d'aquarelles (Actes Sud, 2018)

Commentaires

  1. Je suis toujours curieuse... Tu n'as aucune difficulté à tout comprendre, côté style?

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    1. Le Joual, avec un peu de connaissances en anglais et autant en patois régionaux français, ça se comprend "fingers in the nose", comme on dit par chez nous :-D
      Plus sérieusement, je viens d'un milieu modeste et paysan où quand j'étais petit, les gens utilisaient encore des expressions et des tournures de phrases typiquement locales. Ce n'est qu'à l'entrée au collège que je me suis aperçu d'un certain "décalage" avec certains de mes congénères...
      Pour reprendre l'extrait ci-dessus, les tournures comme "Y t’avait faite pour pas être obligé d’y aller pis y a sauté dedans", "Comprends-tu ça, toi ?"... me ramènent en enfance.
      Et grâce à l'anglais, "comme une gipsy" ou "Un petit paquet de troubles" prennent tout leur sens.
      Ça se complique parfois quand les mots sont "typiquement" québécois. Mais avec l'expérience, je commence à maîtriser les "chum", "char", "criss", "tabarnac" et autres "gosses" !
      En revanche, si l'écrit ne me pose pas de problème, à l'oral, je suis certain que je n'en comprendrait pas un dixième !!

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  2. L'extrait me va droit au coeur pour des raisons personnelles (mon arrivée au monde ne fut pas des plus glorieuses ...) je note et puis j'aime énormément cette langue. Si je ne comprends pas un mot par-ci, par-là, je pense comprendre l'ensemble de la phrase, grâce au contexte.

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    1. Oui, je pense que tu ne devrais pas trop peiner à comprendre. Tremblay reste accessible...

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  3. Comme toi, pour la façon de parler, l'impression d'une plongée dans les campagnes d'antan, je comprends bien. j'ai plus de mal avec la BD Paul par exemple, trop de québecois pour que je suive avec plaisir (et, oui, je me devrais bien de lire Tremblay, un seul, qui m'avait plu, il y a 20 ans!)

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    1. C'est amusant parce que Galéa a fait le même rapprochement avec le parler rural de l'Ouest de la France d'il y a quelques décennies :-)
      J'ai lu quelques "Paul" mais je n'ai pas le souvenir que le vocabulaire purement québécois y soit si présent... En revanche, pour l'album "Paul au parc", je me souviens qu'il a fallu que je m'informe un peu sur la crise d'octobre 70 pour que j'apprécie les références aux événements.

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  4. Pour ma fille qui part au Canada pour un an ...

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    1. Quelle chance elle a ! (et toi aussi, par ricochet, car j'imagine que tu vas profiter de l'occasion pour aller lui rendre visite, non ?). Je ne voudrais pas t'alarmer pour rien, mais plusieurs de mes collègues sont partis en mission d'un an là-bas... et ont choisi d'y rester tellement ils s'y sentaient bien ;-D

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