Mon festival America à moi...


Nombre d'entre vous avez passé le week-end (en partie ou entièrement) au Festival America de Vincennes, avez rencontré, écouté, bavardé avec des stars de la littérature américaine.
J'en profite donc pour publier une chronique restée en souffrance, dans laquelle je parlais de la suite, mais pas fin, de mes "rencontres" avec certains des plus grands écrivains nord-américains contemporains. J'ai trouvé ces découvertes toujours aussi passionnantes et parfois surprenantes.

Par exemple, j'ai été séduit par Laura Kasischke, alors même que je n'avais pas aimé le seul roman que j'ai lu d'elle, La Vie devant ses yeux. Aussi, il est fort probable que je me frotte à l'un de ses autres romans un de ces jours.
J'ai aussi aimé aussi ce que j'ai pu saisir des personnalités, certes différentes, de Richard Ford et T.C. Boyle, même si je ne suis pas certain de lire Boyle pour autant.

À l'inverse, j'ai trouvé l'entretien avec Margaret Atwood plutôt décevant. Je n'y ai pas retrouvé la femme engagée que j'ai pu entrevoir dans d'autres interviews. De même, j'ai trouvé Siri Hustvedt très auto-centrée et finalement peu intéressante (ni réellement sympathique). 

J'ai donc épuisé la série des dix entretiens disponibles en version e-pub. Il ne me reste plus qu'à lire les 26 restants tranquillement à la maison... ce qui risque de me prendre plus de temps.
En attendant, voici quelques morceaux choisis :

*   *   *   *   *   *   *

Laura Kasischke
C’est cela qui m’intéresse en écriture, les conflits dissimulés. J’aime gratter la surface pour voir ce qui se passe derrière.

Dans un roman, on vous pardonnera une mauvaise phrase, un mauvais paragraphe, et même de mauvaises pages si votre histoire est prenante. Dans une nouvelle, et plus encore dans un poème, c’est naturellement impossible. Tout doit être parfait.

Mais je crois en fait n’avoir jamais entendu un avis radical qui m’ait étonnée. Ce qui cloche est toujours, vous savez, un point dont vous avez déjà conscience. Votre lecteur relève une chose que vous questionniez déjà, dont vous doutiez déjà. Vous espériez peut-être vous en tirer, mais en général, ça ne passe pas !

J’aime les livres de mort. J’aime les grands thèmes et les sombres dénouements. La tragédie grecque, ça, c’est de la littérature. Je peux lire toutes sortes de livres, mais j’ai tendance à ne considérer vraiment comme de la littérature que les livres sombres. Noirs. Durs.



Richard Ford
Je n’ai pas été jeté dans le monde, j’y ai été délicatement livré par ma mère et mes grands-parents. Le besoin de découvrir qui l’on est en dehors du regard de votre famille a certainement fait partie de mes sentiments. Mais c’est le cas de beaucoup d’enfants, en Amérique particulièrement. S’enfuir de la maison. Quitter les siens. Partir. C’est l’histoire des années 60 et des années 50. Si c’est autobiographique, cela déborde largement mon cas, et cela permet au livre d’irradier dans la vie d’autres gens : celle des lecteurs.

J’ai commencé à lire. Durement. À étudier. Ça a complètement changé ma vie. Peu à peu, je suis devenu meilleur lecteur. J’ai commencé à lire Faulkner, Hemingway, Fitzgerald, T. S. Eliot, de la grande littérature. À ma propre surprise, j’ai aimé ça. Oui, je devais me débattre un peu, mais je la comprenais et je l’appréciais. J’aimais la façon dont la littérature vous renvoyait à la vie. La littérature réaffirme la vie. J’avais besoin qu’on me le dise… Et puis j’aimais la langue. Quand vous lisez lentement, vous la percevez mieux.


[...] L’idée d’enseigner l’écriture existait, mais pas de manière aussi endémique qu’aujourd’hui. C’était un cours de lecture où le professeur nous faisait faire des petits exercices parce qu’il s’ennuyait, je crois.
En France, ce n’est pas encore arrivé.
Ça viendra. Il y a déjà un programme à Rennes-II. Dès que les universités réaliseront combien d’argent elles peuvent se faire sur le dos de ces idiots…
Que pensez-vous de la généralisation de ces cours ?
C’est un crime sans victime. Comme la prostitution.

J’arrange des choses inégales. Et si elles commencent à vivre et qu’elles apportent un contexte quand je les tape sur la page, je m’y intéresse. Ça se forme peu à peu dans mon esprit. Je me dis des choses comme : il pourrait se passer ceci, ce personnage pourrait avoir envie d’aller là… La trajectoire narrative de l’histoire émerge. Certaines histoires sont construites comme des collages. D’autres arrivent plutôt sous la forme de « et si ».
Vous pouvez être surpris par votre fiction ?
Je ne dirais pas surpris car c’est tout de même moi qui l’écris. Mais parfois je me dis : « Je croyais que ça donnerait ça, mais j’ai orienté les choses autrement. » Rien n’arrive sans moi. L’histoire ne s’écrit pas toute seule bien que des tas d’auteurs racontent des conneries à ce propos. Mais ce sont des conneries. (Il rit.) Vous le faites ou rien ne se produit.


Russell Banks
J’en suis venu à voir mon écriture, à la fois en tant que profession et qu’identité, comme capable de transcender les frontières des pays et des cultures tout autant qu’elle transcende la frontière des genres ou des races. Je ne me perçois plus strictement comme un écrivain américain. Je suis citoyen américain, là aucun doute, et j’ai certaines responsabilités vis-à-vis de l’État et de la ville dans lesquels je réside, qui vont avec cette allégeance. Mais je ne me sens pas nationaliste, en aucune façon. J’ai le sentiment de faire partie d’une tribu dépassant les barrières nationales

D’autres livres m’ont transformé… Comment ne pas être affecté par la lecture de Kafka dans votre compréhension de la société ? En tant que lecteur, j’ai changé, et je suppose donc que mes livres peuvent produire le même effet, individuellement, sur un lecteur. Mais c’est un lecteur à la fois.

[...] si vous, en tant qu’écrivain, ne pouvez voir, littéralement voir, ce que vous représentez, et entendre ce que disent les gens, alors ne vous attendez pas à ce que d’autres y parviennent. Vous devez y parvenir d’abord. Si vous écrivez des dialogues, il faut réellement les entendre. En gros, la fiction, c’est une série d’hallucinations que l’auteur provoque en lui-même. Si elles sont brumeuses et étouffées, il y a quelque chose qui cloche. Il faut y revenir et réécrire jusqu’à ce que vous voyiez et entendiez. Quand je lis, je peux dire quand un auteur ne voit pas ce qu’il écrit ou n’entend pas ses personnages. Il aligne des mots, mais il ne goûte ni ne sent. Or les sens doivent être engagés. L’écriture peut être belle mais si elle n’intervient pas à ce niveau fondamentalement sensitif, alors ce n’est pas de la vraie fiction.
[...]
J’aime pourtant la belle prose autant qu’un autre, mais pas si elle se met en travers du chemin de nos sensations. Je crois que c’est la première chose qu’on expérimente quand on lit de la fiction : on entre dans un autre univers, on n’est plus présent au monde qui nous entoure. Tout ce qui se met donc en travers de ce procédé et qui détourne l’attention du lecteur est à bannir, comme la brillance d’un langage ou la musique des mots — quand c’est trop fort, on n’entend plus. D’une certaine façon, ça retire l’invitation à entrer dans ce monde de fiction



T.C. Boyle
Quoi qu’il en soit cette nouvelle n’a pas encore été publiée, mais tous mes fans la dissèquent déjà car une de mes performances a été enregistrée et on peut la trouver sur Internet ! Je l’ai lue à l’université de Pennsylvanie il y a un mois. C’est une bizarre prépublication. Ce n’est pas encore sur une page, mais c’est déjà dans les têtes.

Nous sommes des créatures dans une nature aux ressources limitées. Qu’est-ce que cela implique ? Les coyotes, par exemple, vont là où se trouvent les ressources. Comme tous les animaux. Et nous sommes des animaux. Cela pose la question de la valeur d’une frontière, quand elle sera franchie quoi qu’il arrive. Il y a aussi la nature commune de toute l’humanité : nous appartenons tous à la même espèce, quelle que soit notre tribu.

La chose la plus dure quand on écrit un roman, c’est le milieu. Vous avez commencé avec une explosion d’énergie et maintenant vous devez déterminer ce que vous faites, pourquoi vous le faites, vers où vous vous dirigez… C’est toujours très difficile.

[...] nous n’avons plus de critiques. Qui voudrait faire la critique d’un livre ? On est payé une misère. Je n’écris plus de critique, c’est trop dur et ça prend trop de temps. S’ils payaient correctement, s’ils donnaient 500 dollars par critique, ils auraient des gens intelligents qui savent ce qu’ils font. Mais là, c’est le marasme. Alors qu’importe ! Parfois, c’est tellement loin de ce que, selon moi, le travail signifie, que c’est ahurissant. Le meilleur genre de critiques — et j’en ai eu, de la part de critiques français qui semblent creuser un peu plus loin que le critique lambda américain — sont des critiques interprétatives, qui sont capables de mettre en évidence les liens entre les différents ouvrages. Ça peut être vraiment grisant d’avoir l’impression de discuter d’âme à âme avec un lecteur. Mais c’est très rare. Les critiques ne servent donc qu’à attirer l’attention du public sur un livre. C’est très louable, mais ce n’est pas pour éduquer qui que ce soit ni pour creuser en profondeur. On ne trouve cela que dans quelques revues. Le reste du temps, tout le monde s’en moque un peu. 


Pauline Guéna & Guillaume Binet - L'Amérique des écrivains (Robert Laffont, 2014)

Commentaires

  1. Ces entretiens ont l'air passionnants... et ceux du Festival l'étaient aussi, quand les questions posées n'étaient pas trop alambiquées... ;-)

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    1. J’attends d’avoir un peu de temps devant moi (la reprise de septembre se fait toujours sur les chapeaux de roues ;-) ) mais je compte bien visionner les vidéos des différentes conférences mises en ligne par le Festival.

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  2. Laura K au festival, il y avait la queue, elle avait l'air sympa (mais je ne vais pas voir les auteurs qui ne m'enthousiasment pas assez ^_^

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    1. En fait, même les auteurs que je lis avec plaisir, je ne me vois pas aller les voir ; pour leur dire quoi ? J’aime beaucoup ce que vous faites... ? Voilà un bel exemple des limites de ma maîtrise de la conversation ! Et pas question de faire la queue, aussi rapide que ce soit, pour une dédicace (et encore moins un selfie !). En fait, seules les conférences m’intéresseraient.
      En revanche, il m’est arrivé d’aller en écouter certains parler de leur métier, de leur processus de création.

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  3. J'ai regardé toutes ces photos et commentaires autour du festival avec envie même si je sais que je n'aime pas trop ce genre d'endroit en raison de la foule. Les conférences sont souvent intéressantes par contre.

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    1. C’est vrai qu’une telle manifestation, ça fait envie... dans l’absolu. Pour moi, l’idéal serait d’en limiter l’accès à une douzaine de personnes maxi pour éviter le bruit, la foule et la promiscuité !!! ;-D

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  4. Coucou,
    tu as fait le Festival America par internet en fait ? C'est bien aussi.
    Il y a parfois une distance entre les personnes et leurs états d'écrivains.
    Bises

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    1. En fait, le titre du billet était un petit clin d’œil envieux à tous les billets, posts et autres comptes rendus que j’ai pu lire ce dimanche soir au sujet du Festival. Ce type de manifestation est pour moi l’équivalent de l’enfer sur terre !

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  5. Sympa ton Festival America, et tu t'es épargné pluie-vent :-p. J'y étais mais je n'ai pas vu-entendu autant d'auteurs américains que toi, j'ai fait expo, photos, littérature mexicaine et québécoise. Un peu d'haitienne aussi. Merci pour les extraits, j'appreciais déjà Richard Ford, là tu me donnes envie de le relire ( et lui de re-lire les auteurs qu'il cité )

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    1. Dimanche, sur la route du retour de vacances, balayée par les trombes d’eau et les rafales de vent, j’ai eu une pensée émue pour tous les festivaliers. Mais ce ne sont pas quelques caprices météorologiques qui allaient décourager les passionnés, pas vrai ?
      En tout cas, tu as su tirer un maximum e ta présence dans la capitale :)

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  6. Mais si, il faut lire Boyle, notamment Water Music et America, justement !! J'étais pour ma part dépitée de ne pouvoir me rendre au Festival, d'autant plus que j’étais sur Paris pour un déplacement pro l'avant-veille de son déroulement... mais bon, comme Saxaoul, je n'aime pas trop la foule, et je me rattraperai au salon Lire en poche d'octobre qui se déroule près de chez moi, où les conférences et les débats se déroulent presque en petit comité. Bon, c'est sûr, je n'y croiserai ni Boyle, ni Kasischke, mais il y aura tout de même Maylis de Kérangal, Deon Meyer, Jaenada, Gaëlle Nohant, William Boyle, Victor del Arbol, et plein d'autres !!

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    1. Bon, je ne promets pas de lire T.C. Boyle prochainement, mais au moins, je laisse la porte ouverte à une possible rencontre ;-)
      Par avance, je te souhaite un beau festival et de belles rencontres (tu sais quoi ? je n’ai jamais lu un seul des auteurs qui y seront présents !)

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  7. Sait-on jamais si tu décides de lire Laura Kasischke, "Les revenants" est, je trouve, son roman le plus abouti (mais pas nécessairement le favori de tous). Je n'ai pas lu ces entretiens, mais je lis régulièrement la revue "America" et l'interview de John Irving m'a un peu consolée de ne pas l'avoir vu en vrai ! :-)

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    1. Je note précieusement ton conseil même si je pense que L. Kasischke attendra encore un peu. Le flop de La vie devant ses yeux est encore trop vif dans ma mémoire.
      J’aime beaucoup la revue America mais j’ai accumulé énormément de retard dans ma lecture. Et comme je les lis dans l’ordre chronologique de parution (ne me demande pas pourquoi, car ils peuvent très bien s'apprécier dans n’importe quel ordre), je ne suis pas près de lire l’interview de John Irving parue dans le n°6, si je ne m’abuse.

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  8. Je n'aime pas du tout ce qu'écrit Laura Kasischke (et j'ai fait plusieurs essais) mais ça ne me dérangerait pas de l'écouter. J'avais justement vu et entendu Atwood une année au festival America. Je ne sais plus si je l'avais trouvée intéressante, je crois que j'étais surtout très contente d'être là, à l'écouter, quoiqu'elle dise.

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    1. Je suis certain que M. Atwood sait se montrer passionnante. Dans le cas présent, cette interview était centrée sur le processus créatif, mais elle a surtout parlé de son parcours professionnel et pas du tout de son travail, ni de ses thèmes de prédilection.
      Quant à L. Kasischke, comme le dit Didi plus haut, on peut apprécier une oeuvre sans aimer précisément l'auteur... et inversement.

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  9. Une autre manière de suivre le festival. Bonne idée.

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    1. C’était surtout une sorte de plaisanterie de ma part ;-)

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    2. Je déteste la foule, le bruit et la promiscuité .. mais j'y étais quand même, pas pu résister et je ne le regrette pas. J'ai pu assister à quelques débats malgré mon impatience devant les files d'attente. Cette année, j'ai surtout suivi Richard Powers dont j'ai aimé l'interview vendredi matin sur FC. J'ai pu discuter tranquillement également avec quelques auteurs le samedi matin où il n'y avait pas trop de monde encore. L'ambiance générale est sympa et décontractée à ce festival.

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    3. Avec ses faux airs de Stephen King, Powers est vraiment brillant.
      Si l'ambiance est bon enfant, ça aide à garder patience dans les queues ;-)

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  10. C'était vraiment super ! Et j'ai bien aimé les conférences, toutes passionnantes.

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    1. Les conférences sont mon seul vrai regret de ne pas pouvoir aller dans ce genre de manifestations.

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