Veiller Pascal, Luc Mercure



Le narrateur, professeur à la retraite, fréquente chaque jour un site gay de discussion. À force de clavarder (j’adore ce terme !) avec Pascal, il finit, en dépit de leurs nombreuses différences, par s’éprendre du jeune trentenaire.
Il y avait bien assez de différences entre deux êtres humains fussent-ils du même sexe pour alimenter la quête insatiable de la différence. [..] Le genre ne constituait pas nécessairement la ressemblance ou la différence la plus fondamentale entre deux êtres et par conséquent l’attirance pour une personne de son sexe n’était pas toujours un désir narcissique plus ou moins déformé.

Mais leur relation naissante n’est pas des plus faciles : Pascal, psychologiquement fragile, se retrouve à l’hôpital suite à une tentative de suicide. Lui rendant visite chaque jour, le narrateur apprend à connaitre cet homme qui peut se montrer subitement aussi désagréable et capricieux qu’il peut être délicieux et charmeur.
Tiraillé entre la perspective d’une ultime relation amoureuse et l'éventualité d’avoir affaire à un manipulateur, le narrateur ne sait quelle attitude adopter ni quelle suite donner à cette histoire...



C’est en me fiant à la 4e de couv que j’ai décidé de lire ce roman dont l’auteur, québécois, m’était jusqu’alors inconnu. « Luc Mercure signe avec ce nouveau roman un suspense psychologique qui nous entraîne dans la psyché d’un homme raisonnable et tourmenté, en quête de sens et d’amour. »
Une fois le livre refermé, je suis allé recueillir sur le net les avis sur ce roman en particulier, et sur son auteur en général. Luc Mercure semble jouir d’une bonne réputation et ses romans rencontrer un certain succès. Il semblerait donc que je n’ai rien compris à ce qui m’était donné de lire, que je sois passé totalement à côté (pour ne pas dire à des années-lumière) de ce qu’il aurait fallu que j’y trouve.
Car je n’ai pas souvenir d’une lecture aussi embarrassante, d’un roman qui m’ait mis aussi mal à l’aise du début à la fin. My Absolute Darling et Débâcle pourraient faire figure de promenade de santé à côté.

On ne peut pas dire que cette relation entre un homme vieillissant et un homme plus jeune ait de quoi me scandaliser, on ne trouvera aucune scène scabreuse, aucun vocabulaire choquant à signaler. Pourtant, je n’ai jamais pu me défaire d’un réel malaise, entre dégoût et colère.
Non seulement, je n’ai rien décelé dans ce roman se rapprochant, même de loin, d’un thriller, mais surtout j’ai trouvé les personnages abominables. Pascal n’est qu’un enfant gâté, capricieux, qui n’a toujours pas réussi à se prendre en mains.

Quant au narrateur, il est puant à vomir. Littéralement.
Imbu de lui-même, de son bagage intellectuel, de sa condition sociale, bourré de préjugés de classe, bouffi de suffisance  :
J’ai cliqué sur le bouton d’envoi avant de penser à ce que j’allais lui écrire.
— Bonsoir.
— Yo.
Son interjection m’a persuadé que nous n’aurions pas assez d’affinités pour poursuivre notre échange au-delà d’une courtoisie minimale d’ailleurs assez peu en usage sur ce site. Je lui ai quand même posé quelques questions banales pour me convaincre que je ne l’avais pas jugé trop rapidement en fonction de critères superficiels.

N’avait-il pas commis pendant nos échanges énormément de fautes pour un homme dont les référents littéraires recoupaient les miens ? Je me suis aussitôt reproché mon incapacité à faire taire le professeur en moi alors que j’avais également omis de corriger plusieurs de mes coquilles pour ne pas ralentir le rythme de notre conversation qui avait contribué en grande partie à cette impression de communion entre deux solitudes.

Ce à quoi on peut rajouter : autocentré et égoïste (même sous des dehors parfois altruistes quand il visite Pascal à l’hôpital, par exemple) :
Non seulement il n’a émis aucun commentaire mais on aurait dit que balader ses yeux autour de lui constituait une perte de temps. Je me suis demandé si je n’aurais pas préféré des remarques acerbes plutôt que ce désintérêt total. Ne pas porter attention à l’endroit où vit quelqu’un c’est lui signifier qu’on ne veut pas le connaître. Ma maison n’a vraiment rien à voir avec les intérieurs des magazines branchés mais j’aurais apprécié une remarque polie semblable à celles que je formule lorsque j’entre chez quelqu’un pour la première fois même si la décoration ne me plaît pas. Pascal devait trouver que ce genre de compliment relevait d’une attitude bienséante qui ne correspondait nullement à sa personnalité.
J’étais vraiment un bourgeois.


Et quand il se retrouve au Vietnam, c’est presque pire (si jamais c’était possible) : image vivante de l’occidental à l’étranger, avec son complexe de supériorité, condescendant vis-à-vis des locaux, multipliant les poncifs :
En voyant les enfants qui couraient pieds nus et de vieilles femmes édentées qui papotaient devant leurs cabanes je me suis dit que la vraie vie était là devant moi. J’idéalisais leur situation évidemment. Ils auraient tout fait pour se trouver à ma place et je n’aurais jamais pris la leur même si rien ne me retenait vraiment à Montréal.

Je me suis senti heureux pendant quelques secondes. Je n’étais pas triste de voir ce jeune garçon s’en aller pas triste à l’idée que nous ne nous connaîtrions jamais davantage pas triste de penser qu’il resterait dans sa misère et moi dans ma richesse. Pas triste que nous n’ayons pu nous dire qu’un seul mot. C’étaient nos prénoms quand même. Peut-être qu’après tout le bonheur résidait dans le détachement. Je n’y croyais pas mais l’idée que me rendre aux antipodes avait pu inverser ma conception de la condition humaine me séduisait.

Ce qui est pervers, de la part de l'auteur, on le voit dans les différents extraits, c'est que le narrateur à chaque fois qu'il (ré)agit en gros prétentieux répugnant, contrebalance systématiquement ce qu'il dit/pense par ce qui pourrait passer pour une autocritique mais qui n'est que la confirmation de sa suffisance : "je sais qu'on n'a pas d'affinités mais je lui pose quand même des questions pour m'assurer que je ne me suis pas trompé (et non pas pour me détromper); il écrit avec ses pieds mais moi aussi j'ai fait des coquilles en tapant trop vite (je ne fais pas des fautes, moi, attention !) ; il n'a même pas fait de commentaire sur mon bon goût pour la déco, mais ho la la, quel bourgeois je suis", etc etc.
Combien j'aurais aimer le baffer ce prof à la retraite et voir s'évanouir de son visage cet air satisfait et dédaigneux !!!! À tel point, qu’à un moment, je me suis demandé si l’auteur ne jouait pas avec mes nerfs, que son but n’était pas justement de faire réagir son lecteur.
Malheureusement, je n’ai trouvé dans la suite du texte quelque détail que ce soit qui puisse valider cette interprétation. Au contraire, rien que le titre du roman, pour peu qu'on y regarde d'un peu plus près, est pour moi symptomatique de cette infatuation. L'homophonie de Veiller Pascal renvoie à la veillée pascale qui, la nuit du samedi Saint au dimanche de Pâques, célèbre la résurrection du Christ, sa victoire sur la mort et le passage des ténèbres à la lumière. Un retour à la vie, comme pourrait l'être Pascal pour le narrateur. (Hé ouais, on a des lettres ou on n'en a pas !)

Bref, je serais bien en mal de vous conseiller. Spontanément, j’aurais tendance à vous dire de prendre vos jambes à votre cou et de préférer un texte qui vaille la peine. Mais j’ai tellement l’impression d’avoir été aveugle quant à l’intention de l’auteur et la qualité du roman que je m’en voudrais de vous en priver.
Et puis, plus vous serez nombreux à le lire, plus vous serez en mesure de m'ouvrir les yeux et de me montrer ce que je n'ai pas su voir.
On peut faire un film d’auteur sans nécessairement répéter cent fois des phrases de trois mots en les entrecoupant de silences interminables pour leur donner l’illusion de la profondeur. Ça s’appelle respecter le spectateur.

Luc Mercure - Veiller Pascal (Québec Amérique, 2016)

Commentaires

  1. J'ai eu aussi en 2016 une lecture qui m'a passablement énervé, le héros était égocentrique et très misogyne - l'auteur n'était pas du tout d'accord avec ma perception mais les autres lecteurs partageaient mon point de vue. J'ai cru aussi que c'était peut être volontaire de la part de l'auteur, de m'énerver à ce point, mais non , il n'en avait pas conscience... en attendant, je passe mon chemin pour cet ouvrage !

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    1. Cette incertitude qui touche à a véritable intention de l'auteur est très frustrante...

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  2. Heu. Au moins ton billet est longtemps, il y a des passages cités, tu argumentes. Tant qu'à lire du canadien, autant choisir Tremblay, alors? ^_^

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  3. Aie, je ne suis vraiment pas tentée, même pour essayer d'y découvrir un sens caché :-)

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  4. Oh bah je ne le tenterai même pas, tu as suffisamment argumenté, exemples à l'appui, pour me convaincre que ce livre ne me plairait absolument pas.

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    1. Des gens imbuvables et bouffis d'orgueil, on en fréquente suffisamment contre son gré dans le monde du travail sans avoir besoin de s'en infliger davantage dans les livres !

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  5. J'ai bien aimé ce que j'ai lu de l'auteur (il est assez peu connu, quand même, à part dans un cercle hyper restreint) et bizarrement, les extraits ne me choquent pas tant que ça. Certes, arrogant et égocentré... très désagréable. J'ai le roman, je vais le lire... et voir si mon ressenti rejoint le tien! Je suis beaucoup plus tolérante avec les personnages détestables dans les romans que dans la vie.

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    1. C'est intéressant ce que tu me dis... Peut-être étais-je moins disposé à la tolérance que d'ordinaire quand j'ai lu ce roman... Ce qui m'a hérissé, je pense, c'est que j'ai retrouvé dans ce personnage (j'ose espérer que le fossé est grand entre l'auteur et son narrateur) beaucoup de traits qui me dégoûtent chez pas mal de mes contemporains. Je serais vraiment curieux de connaître ton ressenti.

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  6. Veux-tu bien me dire comment tu as fait pour mettre la main sur ce roman? J'ignorais qu'il était disponible par chez toi. Et comment en avais-tu entendu parler?

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    1. Oui, m'dame ! Peut-être le sais-tu déjà, mais il existe chez nous, un truc qui s'appelle Internet, grâce auquel on a accès à à peu près tout ce que l'on cherche partout dans le monde. Et c'est bien pratique, je t'assure ! :-D ...même si dans ces cas-là, il faut souvent passer pas l’intermédiaire du grand méchant loup Amzn.

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    2. Voilà que tout s'explique... ou presque!
      Mais comment as-tu entendu parlé de cet auteur, alors qu'ici, ce roman est quasi passé inaperçu?

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    3. Honnêtement, je serais bien en mal de te dire aujourd'hui où exactement sur le net, j'ai repéré ce titre...
      Je passe énormément de temps chaque jour à naviguer d'un site à un autre, soit parce que l'article que je lis renvoie vers un autre article, soit, le plus souvent, parce que, à la lecture de l'article, se créent des associations d'idées qui me redirigent vers un autre sujet (parfois même plusieurs d'un coup!), qui parfois n'a plus rien à voir avec le sujet de départ. Et ainsi de suite...
      C'est ce que les psys appellent la pensée arborescente (notamment liée à l'Asperger). S'il est très chronophage (et parfois épuisant physiquement), ce fonctionnement me permet de faire des "découvertes" intéressantes et d’enrichir ma culture générale ce qui ne peut pas faire de mal.
      Par exemple, en ce moment, je suis en train de lire une biographie d'O'Keeffe. C'est en m'intéressant il y a des années à l’œuvre d'Alfred Stieglitz que j'ai eu vent de l'existence de Georgia O'Keeffe. De là, j'ai eu envie d'aller voir ses tableaux. Et aujourd'hui, je me régale d'en savoir plus sur son parcours personnel et artistique. J’ai déjà appris que le couple Stieglitz/O'Keeffe était intime avec les Strand (Paul Strand étant lui aussi un de mes photographes préférés), je découvre les noms d'artistes qui étaient leurs contemporains...
      Pour en revenir à Luc Mercure, il est fort probable que j'aie fini par tomber sur son roman par un de ces chemins détournés. Un des nombreux sites/blogs littéraires et/ou gay que je parcours régulièrement m'aura probablement emmené jusqu'à lui... Peut-être même une simple recommandation du type "vous avez aimé..., vous pourriez aimer...". En matière de lecture, il m'arrive souvent, au moment de choisir un nouveau livre dans ma liseuse ou dans ma bibliothèque, d'en "découvrir" certains dont je ne me connais pas l'auteur, et dont je ne me souviens pas du sujet. À coup sûr, ceux-là sont arrivés jusqu'à moi des mois, voire des années auparavant par ce type de circonvolutions.
      J'espère que ma réponse te sera suffisamment satisfaisante car tu sembles particulièrement intriguée que j’aie eu accès à ce livre. Aurais-tu des accointances avec l’auteur ou son éditeur ? (ce qui n’est pas mon cas, je le précise au cas où...)

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    4. Merci pour cette réponse détaillée.
      Non, je n'ai aucune accointance avec l'éditeur ou l'auteur. J'étais juste curieuse de savoir comment on en vient à choisir un livre plutôt qu'un autre. Ces choix me fascinent toujours.

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    5. Hé bien, dans le genre tordu, tu as dû être servie :-D

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    6. Même pas! Je peux avoir, pour ma part, des tendances obsessionnelles! Et j'enfile les auteur(e)s, souvent de fil en aiguille: un auteur amenant à un autre... Tu vois le genre?

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  7. C'est sympa d'avoir testé pour nous ! J'ai suffisamment de bons titres qui m'attendent pour ne pas aller m'égarer de ce côté-là, les extraits me suffisent.

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    1. C'est quand même malgré moi que j'ai joué les "éclaireurs", hein ! :-D

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  8. Là, je ne vais t'aider. Et je vais faire le contraire en disant que je ne vois pas pourquoi tu serais passer à côté de ce livre, ton billet explique bien ce que tu as lu. Chaque lecteur est différent, ce livre là, ben, pour toi, il est raté, et donc l'auteur ne fait pas dans l'universel ;-)

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    1. Pour être à ce point aux antipodes de la majorité, je ne peux me résoudre à croire qu'il 'y a pas un sens, une intention que je n'aurais pas saisis. En même temps, ça ne va pas m'empêcher de dormir, mais ça ne me donne clairement pas envie d'approfondir l'oeuvre de l'auteur.

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  9. Je suis désolée mais je ne vais pas pouvoir t'aider. Ce que tu dis de ce livre et les quelques extraits ne me donnent pas du tout envie de me plonger dedans.

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    1. Tu n'es vraiment pas charitable :-D Je ne vais donc pouvoir compter que sur les lumières de Karine.

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  10. Moi qui n'arrive déjà pas à lire My absolute darling ! Je passe

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    1. C'es totalement différent et beaucoup moins "transgressif" que My Absolute Darling, si tu vois ce que je veux dire. Mais j'ai trouvé ce roman beaucoup plus difficile à supporter malgré tout.

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