La Rouille, Éric Richer



Perdue au milieu de nulle part, une casse automobile.
Sur un immense terrain vague bouillasseux, à l'orée d'une forêt, des montagnes de carcasses broyées comme seul relief à l’horizon, qui percent çà et là un ciel bas et lourd.
Tout l’univers de Nói, 14 ans bientôt, se résume à ce paysage de ruines où règnent les hommes de sa famille, ferrailleurs de père en fils. Entre son père Terje, taiseux, complètement largué depuis le départ de sa femme, et son grand-père Zelj, chef de clan tyrannique, qu’il hait de toutes ses forces depuis qu’il a achevé sous ses yeux son unique compagnon, son chien Lupus, Nói n’a qu’une obsession : partir d’ici, à la recherche de sa mère, qui les a quittés alors qu’il était nourrisson.
Le seul auprès duquel il peut trouver du réconfort, c’est son oncle, Otto. À lui, il peut se confier sans crainte sur ses relations difficiles avec son père, évoquer sa mère et recueillir au passage quelque détail inédit, partager leur passion mutuelle pour les groupes de hard métal et les combats de free fight.

Avant de pouvoir partir sur les traces de sa mère, Nói fuit cette ambiance de misère et de désolation le temps de quelques échappées sauvages sur son quad. Mais son billet pour l’ailleurs, c’est dans la défonce qu’il le trouve. À l’abri dans son repaire, une vieille Saab qui trône en haut d’un des colonnes de carcasses, il décolle à peine a-t-il sniffé son vieux chiffon imbibé de trichlo ou tout autre solvant qui lui tombe sous la main. Dans ces moments-là, lui apparaît Black Shark, un requin noir hallucinatoire qui flotte dans les airs, tel un ballon à l’hélium retenu par son fil.
Mais ces derniers temps, une menace supplémentaire pèse sur Nói : le Kännöst, rite initiatique obscur et inquiétant imposé par sa communauté aux garçons et filles au jour de leur quatorzième anniversaire. Tout comme il abhorre le monde dans lequel il vit, le garçon refuse de se plier aux règles de ce monde d'adultes qu'il rejette, et encore moins de devoir  subir la torture du Kännöst.

Une plante sauvage et chétive, qui s’escrime à vouloir pousser sur une paroi rocheuse hostile, quitte pour cela à défier les lois de la nature et de la pesanteur afin de trouver de quoi survivre et poursuivre sa trajectoire accidentée. Voilà à quoi m’a fait penser le jeune Nói.
Un gamin paumé qui a grandi tout seul, ne pouvant compter que sur lui-même, et qui, au moment de passer à l’âge adulte, refuse de rejoindre le monde frustre et pathétique qui l'attend, où être un mec se mesure à l’aune de sa tchatche, de sa résistance à l’alcool, de sa virtuosité à manier les armes et sa bécane, où le parangon de la virilité sera celui qui prétendra avoir la plus grosse et qui pissera plus loin que les autres.
Mais dans cet univers sombre et déliquescent, sursaturé de désœuvrement et de désolation, Nói ne renonce jamais à l’espoir, que ce soit dans la perspective de retrouver sa mère, ou dans l’affection grandissante qui le rapproche de la discrète Minttu.





Malgré le retard pris dans la rédaction de mes billets, il n’était pas question que je fasse l’impasse sur ce (premier) roman qui a été un de mes coups de cœur de la rentrée d’automne 2018, et dont on a trop peu entendu parler à mon goût. (4 avis laissés sur Babelio !! Non, mais,les gars, sérieux ??!!?? Si c'est pas abuser...)
Dans un décor post-apocalyptique, à la Mad Max, Éric Richer donne vie à des personnages mémorables, dans une atmosphère à la fois sombre et lumineuse, impressionnante de noirceur et de beauté. Sous leur aspect bourrin, tous laissent apparaitre par leurs failles une humanité qui les rend attachants malgré leurs tares.
Le flou géographique et temporel sciemment cultivé apporte au récit une dimension universelle : la consonance des prénoms des personnages suggère les pays nordiques mais des éléments de décor rappelant les ex-provinces de l’ère soviétique, des fragments d’information situent l’histoire dans les années 80 tandis que d’autres la place dans les années 2010... Le même voile d’incertitude recouvre la disparition de la mère de Nói dont on ignore ce qu’elle est devenue, ni même si elle est toujours en vie.
En permanence sous tension, la langue, à la poésie râpeuse, possède un grand pouvoir de suggestion ; les dialogues sonnent juste. Avec le sens du découpage et du rythme dont fait preuve Éric Richer, je ne serais pas étonné de voir un réalisateur s’emparer de La Rouille.
D’ici là, je ne peux que vous encourager à lire ce magnifique roman ; la qualité du texte est à l’image du soin apporté au livre lui-même qui est non seulement beau à l’œil mais très confortable à la lecture. (si jamais ça vous avait effleuré l’esprit, je précise que je ne suis pas sponsorisé par les éditions de l’Ogre)

La Rouille - Extraits


Éric Richer a présenté son roman à l'occasion du Livre sur la Place à Nancy (Mollat)

Éric Richer - La Rouille (L'Ogre, 2018)

Commentaires

  1. Vendu ! Tu m'as persuadée de le lire. Maintenant, il faut que je le trouve.

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    1. Tu ne devrais pas voir de mal à le trouver dans toutes les bonnes librairies :-D

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  2. Convaincue aussi, je vais voir si je vise l'option bibliothèque ou livre d'occasion ! ;-)

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    1. Tout dépend si tu te sens pressée ou pas de le lire car à moins d'avoir une super bouquinerie sous la main, en occaze il va falloir patienter plus longtemps qu'en bibli, il me semble.

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  3. Je crois que je l'avais noté, sur un de ces sempiternels petits papiers qui colonisent mes poches ou mes sacs, et sans doute égaré... Merci pour le rappel, j'ai l'impression qu'il a tout pour me plaire..

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    1. Comment ça, tu n'as pas troqué les papiers volants pour te créer une liste numérique sur ton smartphone ? (cette remarque est hautement ironique pour qui sait l'usage que je fais du téléphone portable!)
      Je suis persuadé que ce roman a de quoi plaire à un très grand nombre, notamment les accros à la littérature américaine contemporaine, avec laquelle il partage quelques traits forts (tout en conservant une vraie particularité).

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    2. Figure-toi que je n'ai PAS de Smartphone, et je m'en réjouis chaque jour un peu plus... ce que tu ajoutes sur ce titre en réponse à mon commentaire me fait encore plus envie. Une virée en librairie s'impose urgemment !

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    3. Il faudra que je te présente à mes collègues de bureau qui n'arrêtent pas de me charrier parce que je n'ai pas de smartphone, je me sentirai moins seul !! :D

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  4. Je l'avais commencé mais ça n'était pas le bon moment, du coup je l'ai laissé en plan après 100 pages. Il faudrait que je le reprenne dans de meilleures conditions car je suis certain qu'il va me plaire ce premier roman.

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    1. Franchement, je serais grandement étonné que tu n'accroches pas. L'ambiance générale, le traitement de l'histoire... c'est typiquement le genre de roman que j'aurais choisi si j'en avais un à t'offrir... Peut-être en effet n'était-ce pas le bon moment... ou je me goure complètement sur tes goûts littéraires !!!

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