Ce n’est pas n’importe quel rien, ce rien-là.

Marie Desplechin et Thierry Thieû Niang, répétitions de "Au Bois dormant", conservatoire de danse de Martigues, 10 décembre 2008 (©Anne-Christine Poujoulat-AFP)


Marie Desplechin

Ils recevaient ses gestes comme autant de d’hommages inquiets à la toute-puissance de leur malheur. (p. 8)

J’ai pensé que la danse était peut-être l’ambassade la plus intelligente pour établir des passerelles entre les mondes, entre le monde des enfants, de Mathieu et d’Arnaud par exemple, et le nôtre, celui de Thierry et le mien par exemple. (p. 9)

Tu entres dans la salle de répétition, Mathieu.
Je peux te voir, je peux te parler, je peux te toucher et je sais que rien n’arrivera de moi jusqu’à toi. Rien du bruit.
Ce n’est pas n’importe quel rien, ce rien-là.
C’est le « rien » qui précède le presque qui annonce le peu qui devance le petit. C’est le possible, le peut-être, le va savoir.
C’est le « rien »qui nous garde de l’espoir, comme du désespoir.
Le « rien » tout blanc où se construisent les rêves.
(p.  23)

Je me souviens que je voulais le prendre dans mes bras et m’allonger contre lui, l’envelopper, le protéger et lui faire un rempart de mon corps.
Je voulais en partant lui laisser mes mains pour qu’elles le protègent, mes yeux pour qu’ils le veillent, ma voix pour qu’elle le berce.
Je voulais qu’il ne soit pas tout seul dans sa solitude, une fois que je serais partie.
(p. 27)

Quand il tournoie et que Victor tournoie autour de lui, Victor qui ne consent jamais un geste et qui tournoie maintenant autour de lui comme un elfe en riant, je voudrais être son corps.
Je voudrai être lui quand il abolit la frontière entre le monde dehors et le monde dedans.
(p. 29)



Thierry Thieû Niang

Faire danser un autiste – en dansant avec lui donc en le dansant – c’est chercher à le pousser au-dehors, lui qui est muré dedans. (p. 38)

C’est par le corps que tout passe, quelquefois dans un silence épais et actif. Et le moindre geste devient une parole pour rendre compte de la vie. (p. 47)

Il cherche ses chaussures, son gilet et vient contre moi comme pour me dire au-revoir. Il reste contre moi dans mes bras et souffle dans mon cou. Je ferme les yeux.
Son cœur bat fort contre le mien comme un balancier d’horloge qui file, un crissement de toupie qui s’éteint.
Il est comme un sourcier qui arrive à faire jaillir des sources insoupçonnées, des bras de rivières dans des endroits où elles avaient disparu.
Il a trouvé quelque chose qu’on croyait perdu et qui par lui remonte à la surface.
Car ce qu’il met de lui dans l’autre et dans tout l’espace est infiniment plus vaste que ce que je crois lui donner.
(p. 58)

Aimer ce n’est pas être ensemble mais devenir ensemble. (p. 62)

Aujourd’hui Arnaud enlève seul ses chaussettes pour danser.
Il vient me serrer dans ses bras et se balance comme on berce.
Ses gestes répétés et ses sauts avortés composent toujours un mouvement nouveau, une poésie nouvelle.
Je crois l’entendre chanter. Il touche mon visage. Je ferme les yeux.
Sa soudaine gravité et son silence me bouleversent.
Un jour + un jour + un autre jour
. (p. 72)

Tu racontes que si on fait tourner rapidement les anciens vases qui datent de l’âge de bronze, on peut entendre les coups de marteau du potier. À l’intérieur de la matière sont contenus leurs voix et leurs chants. (p. 76)


  Marie Desplechin & Thierry Thieû Niang - Au bois dormant (Les Busclats, 2018)

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