Arcadie, Emmanuelle Bayamack-Tam
Nous avions peur et nos peurs étaient aussi multiples et insidieuses que les menaces elles-mêmes. Nous avions peur des nouvelles technologies, du réchauffement climatique, de l’électrosmog, des parabènes, des sulfates, du contrôle numérique, de la salade en sachet, de la concentration de mercure dans les océans, du gluten, des sels d’aluminium, de la pollution des nappes phréatiques, du glyphosate, de la déforestation, des produits laitiers, de la grippe aviaire, du diesel, des pesticides, du sucre raffiné, des perturbateurs endocriniens, des arbovirus, des compteurs Linky, et j’en passe. [...] J’endossais des hantises qui n’étaient pas les miennes mais qui frayaient sans peine avec mes propres terreurs enfantines. Sans Arcady, nous serions morts à plus ou moins brève échéance, parce que l’angoisse excédait notre capacité à l’éprouver. Il nous a offert une miraculeuse alternative à la maladie, à la folie, au suicide. Il nous a mis à l’abri. Il nous a dit : « N’ayez pas peur. »
Liberty House.
C’est ici, en pleine zone blanche à la frontière franco-italienne, alors que Farah, la narratrice, n’avait que six ans, que sont venus s’installer sa mère, créature évaporée électro-sensible (entre autres !), son père, toutou fade dépassé par les événements, et sa grand-mère, lesbienne excentrique.
À Liberty House, la vie s’articule autour de trois mots d’ordre : liberté, égalité... et nudité. Toutes les personnes « hors norme » y trouvent un havre sans diktat d’aucune sorte : ici on ne juge pas les gens selon leur beauté, leur âge, leur sexe ou leurs difformités. Tant que les deux parties sont d’accord, chacun peut bien coucher avec qui il souhaite... Peu nombreux sont ceux qui laissent passer les occasions !
Dans ce domaine, névrosés inadaptés au monde d’aujourd’hui et handicapés de la vie de toutes sortes forment une communauté tendance hippie, sous la férule d’Arcady, maître des lieux charismatique, sorte de gourou sectaire.
Au milieu de cette faune bigarrée, Farah a vécu une enfance protégée et atypique, petite sauvageonne dans une nature idyllique, où les rares enfants savent encore s’occuper sans passer par les écrans, connaissent les vertus de l’ennui et celles de la lecture. Grandir sans tabou parmi tous ces adultes, l’a dotée d’une certaine maturité et d’une vraie ouverture d’esprit, plutôt inhabituelles à son âge.
Aujourd’hui, Farah est en pleine puberté. Son corps se métamorphose, son désir sexuel s’éveille. Elle a décidé que le jour de ses 15 ans, date de sa majorité sexuelle, c’est Arcady, à qui elle voue une véritable adoration depuis toujours, qui la dépucellera.
Seulement, si l’adolescence est un bouleversement pour tout individu, cette période va se révéler particulièrement tourmentée pour la jeune fille. Physiquement d'abord, quand elle va apprendre que le Syndrome de Rokitanski empêche son corps de se transformer normalement. Spirituellement aussi, quand l’arrivée d’un migrant va remettre en cause tous les beaux préceptes de tolérance prêchés par la communauté et qu’elle prendra conscience qu'il peut être loin des paroles aux actes.
Quel régal ! Tout dans ce roman m’a enchanté.
La fable utopiste par laquelle l’auteur développe sa vision critique de la société d’aujourd’hui et de ses travers.
Les sujets, chers à l’auteur : les corps disgracieux, la vieillesse, le genre, la sexualité, la famille dysfonctionnelle... Et l’amour.
La langue, à la fois érudite et triviale, délicieuse comme un bonbon qu’on fait rouler sous sa langue.
Le ton, sarcastique mais bienveillant, ironique (voire cynique) mais tendre... C’est truculent et d’une drôlerie savoureuse.
Après mon agréable découverte de l’auteur l’an dernier avec Les garçons de l’été, mes retrouvailles avec Emmanuelle Bayamack-Tam ont dépassé mes attentes.
Les garçons de l’été avaient été un de mes coups de cœur 2017. (j’avais même voté pour ce titre au 1er Grand Prix des Blogueurs Littéraires)
Arcadie réitère l’exploit en cette rentrée de septembre 2018 ; en mieux même, puisque les quelques bémols que j’avais pu émettre quant à la tournure grand-guignolesque de la fin du roman n’ont pas lieu d’être. Une réussite sur toute la ligne dont je tenais à faire part ici, malgré le retard pris pour rédiger cette chronique et le nombre de billets qui lui ont déjà été consacrés par ailleurs.
Arcadie - Extraits
* * * * * * * * *
« Un roman avec des idées intéressantes et modernes, et qui propose une autre forme de lutte. » Alex
« Arcadie est un roman d'apprentissage étonnant et passionnant, on y réfléchit aussi sur soi-même et on se prend, à notre tour, à vouloir penser en mode utopique. » Brize
« Oui, quel drôle de phénomène que cette autrice. Elle ne cesse de surprendre son lecteur, adoptant plusieurs points de vue, lui montrant qu’on peut regarder les choses depuis tellement d’angles. [...] C’est très entraînant, aussi drôle que tragique, profond et intéressant, déstabilisant et impertinent et surtout, très réussi. » Cuné
« J'ai dévoré ce roman, tellement original, sur une sorte d'utopie rendue crédible. Les questionnements de Farah sur son identité, et surtout l'écriture précise et belle, sans oublier l'humour et l'émotion, m'ont emportée sans trop réfléchir. Un roman riche par ses questionnements, cependant. » Keisha
« Dérangeant, audacieux, irrévérencieux tout en proposant une écriture franche et sincère. [...] L’autrice arrive à aborder des sujets tous aussi sensibles les uns que les autres avec une facilité déconcertante et une liberté de ton qui donne un sacré coup de fraicheur ! Pas de faux-semblant ici, c’est cru et sauvage. » Mes Pages Versicolores
« Un roman actuel qui, mine de rien, pointe du doigt certaines des problématiques de notre société et offre une belle ode à l’amour et à la liberté. » Saxaoul
Emmanuelle Bayamack-Tam - Arcadie (POL, 2018)
Tellement aimé que je me suis jetée (sans me faire mal, hein) sur un autre de l'auteur (non, pas les garçons de l'été)
RépondreSupprimerJe sais que je vais continuer à explorer l'oeuvre de l'auteur ; Clara m'a chaudement recommandé Si tout n'a pas péri avec mon innocence.
SupprimerTu m'as convaincue.
RépondreSupprimerIl y a un vrai plaisir de lecteur à savourer ce roman, que je ne ressens que trop rarement. J'espère que toi aussi, tu apprécieras.
SupprimerJ'ai lu Les garçons de l'été, beaucoup aimé sans en avoir parlé... et du coup je me suis offert celui là il y a peu, coup de cœur de ma libraire ! Si tu t'y mets toi aussi je fonce les yeux fermés !
RépondreSupprimerOups, c'est moi l'anonyme !! ^^
SupprimerJe souhaite que comme pour moi Arcadie te plaise plus encore que Les garçons de l'été. Et j'espère que cette fois-ci, tu partageras ton ressenti avec nous :)
SupprimerJ'hésitais beaucoup devant ce titre ; je crois que tu vas me faire franchir le pas. (Aifelle) Je suis obligée de passer par google pour commenter sinon, je dois cocher des cases à l'infini et ça ne passe jamais.
RépondreSupprimerSi tu as aimé le pitch et que la lecture des extraits t'a plu, tu peux y aller dare-dare. C'est une lecture très riche, à tout point de vue.
SupprimerTon billet est très tentant, sauf que moi je n'ai pas du tout aimé Les garçons de l'été. Du coup je me demande si c'est bien un livre pour moi...
RépondreSupprimerAlors là, je ne sais quoi te conseiller... En fait, tout dépend de ce que tu n'as pas aimé dans Les garçons de l'été. Si ce sont les thématiques et la façon de les traiter, passe ton chemin.
SupprimerSi c'est l'ambiance "King-esque" qui va en s'accentuant jusqu'au dénouement, tu peux tenter ta chance. Ici, la narration est plus "traditionnelle".
L'attitude du gourou de la secte m'a quand même mise mal à l'aise.
RépondreSupprimerC'ets un roman que je ne suis pas prête d'oublier !
Sous des dehors d'amour libre, il s'agit tout de même, dans le cas d'Arcady & Farah, de pédophilie, même si, de toute évidence, la jeune fille contrôle la situation.
SupprimerC'est sans aucun doute un roman qui donne à réfléchir sur pas mal de thèmes.
Pour ce roman, je suis le vilain petit canard : j'ai abandonné parce que je n'arrivais pas à m'intéresser à ce roman que j'ai trouvé partant dans tous les sens, sans qu'aucun thème ne me retienne, du moins traité de cette façon, dans ce contexte auquel je ne croyais pas...
RépondreSupprimerJe ne pense pas que tu sois le vilain petit canard de l'histoire, franchement. Ce genre de roman est particulièrement clivant et j'ai lu pas mal de billets qui exposaient les diverses raisons pour lesquelles leurs auteurs n'avaient pas aimé le livre. Tu n'es donc pas la seule dans ton cas, rassure-toi.
Supprimer