Moi, Marthe et les autres, Antoine Wauters



Voici le temps d’après.
D’après les Événements.
Catastrophe naturelle, nucléaire, conséquence tragique de la situation géopolitique... On ne le saura pas. D’ailleurs, les protagonistes eux-mêmes semblent l’ignorer.
Une seule certitude : Paris, dévasté, est devenu une île. À travers la ville, champ de ruines et de bâtiments décrépis, une tribu de survivants, au nombre desquels Hardy, le narrateur, erre à la recherche de quoi manger parmi les vestiges de l’ancien Macdo, de Gallafayette ou de la Biblioth Natniale et se terre dans l’obscurité de la « grotte », pour échapper à tout danger extérieur.

Du monde d’avant qu’ils n’ont pas connu, ne leur subsistent que quelques reliques comme les Marlbro qu’ils fument, le Coc-Cla ou les antidéprss.
Ce qu’ils en connaissent, de ce monde d’avant les Événements, ils le tiennent des seuls souvenirs du Vioque, un des rares rescapés des temps d’alors. C’est lui qui leur a transmis cette chanson de John Howlidays, qui est aujourd’hui leur hymne. (Toutes proportions gardées, la vision du passé que partage cette bande de survivants m’a fait penser au regard que portent aujourd’hui les plus jeunes générations sur les années de ma propre jeunesse qui leur semblent tout aussi lointaines et obscures que le Moyen-Âge)

Dans ce chaos et cette urgence, la survie est dans la meute et son esprit de solidarité. À plusieurs, la vie l’emporte sur les moments de découragement, sur l’envie d’en finir une bonne fois pour toute. Ensemble, l’amour, ou l’instinct de survie, finit toujours par être plus fort que les corps épuisés et faméliques qu’un désir primitif ravive lors d’ébats charnels libérateurs.


Après la belle découverte de Pense aux pierres sous tes pas, j’ai eu envie de ne pas attendre trop longtemps avant de revenir vers Antoine Wauters. Rien de plus facile puisqu’à la rentrée 2018, simultanément à Pense aux pierres sous tes pas, il a publié un deuxième roman : Moi, Marthe et les autres... que j’ai plus aimé encore que le précédent.

On retrouve dans Moi, Marthe et les autres, des thématiques très proches de celles de Pense aux pierres sous tes pas : un monde qui s’écroule, une poche de résistants, la réinvention d’un nouveau monde, l’amour au-delà des genres, et l’espoir, toujours, au bout de la course.
En revanche, le traitement de chaque histoire diffère : si Pense aux pierres sous tes pas prenait la forme d’une fable, Moi, Marthe et les autres est un long poème dystopique en prose, dont les 201 strophes (elles sont numérotées jusqu’à 192 mais certaines sont subdivisées en 1 et/ou 2), comme une succession de saynètes, vont composer un récit fragmenté.
Autant Pense aux pierres sous tes pas évoque l’immensité des paysages naturels et leurs couleurs radieuses, autant Moi, Marthe et les autres évolue dans une grisaille pierreuse et l’oppression d’un monde souterrain jonché de cadavres. (Fin de ce qui pourrait passer pour une ébauche de commentaire comparé)

Ce court et beau texte (72 pages), dont la violence matinée d’humour n’empêche pas l’espoir et l’amour, se dévore d’une traite. Noirceur du propos et poésie de la langue y cohabitent superbement.

Moi, Marthe et les autres Extraits

*   *   *   *   *   *   *

« Dans cette fable contemporaine, Antoine Wauters chamboule les schémas connus et déploie une poésie hallucinée et visionnaire qui lui est propre. Et s’autorise tout. L’humour trash comme les purs moments de douceur. La réflexion et le lâcher prise. La colère et le second degré. Une liberté teintée d’audace et de renoncement qui nous renvoie à notre propre humanité, bien souvent mise à mal… 192 paragraphes numérotés comme autant d’uppercuts. »   Noukette


Entretien avec Antoine Wauters - Le Réveil culturel, de Tewfik Hakem (France Culture, 22.10.2018)

Antoine Wauters - Moi, Marthe et les autres (Verdier, 2018)

Commentaires

  1. Je n'ai jamais lu cet auteur, mais tu donnes envie de tenter !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai lu que ses deux derniers romans en date, mais il parait que Nos mères est très bon également. Je n'ai jamais lu sa poésie car je suis plutôt réfractaire à ce genre, mais j'apprécie énormément les échos poétiques de son style.

      Supprimer
  2. Ah mais c'est très tentant, ça ! Un récit fort et original, visiblement... Le début de ton billet m'a fait penser au pitch d'Enig Marcheur (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2015/12/enig-marcheur-russell-hoban.html) mais ils ont l'air très différents au niveau de la forme, et dans Enig marcheur, il n'y a guère d'espoir...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai recherché sur mon ancien blog, mais je n'ai pas trouvé trace de billet sur Enig Marcheur. J'avais bien aimé cette histoire, surtout les inventions liées à la langue.
      Tu as bien "senti", Enig et Marthe sont très différents; le second est plus elliptique, plus dans les sensations, les souvenirs... et il résonne beaucoup plus sur notre époque.

      Supprimer
  3. Bon un truc post apo, ça me va, et il me faut u n Wauters pour le mois belge...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Deux bonnes raisons pour te précipiter à la bibli vérifier s'il est dispo ;)

      Supprimer
  4. Ca tombe bien, dernièrement, je voulais être convaincue de lire le Wauters romancier ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce qui signifie, si je sais lire entre les lignes, que tu as déjà lu sa poésie. Si tu as aimé, tu devrais adorer ses romans.

      Supprimer
    2. Oui, j'aime beaucoup Wauters poète. Ce qui explique que je ne me sois pas encore lancée dans ses romans : j'ai peur d'être déçue. Ton invitation me rassure :)

      Supprimer
    3. J'ai quelques difficultés avec la poésie en général. Mais si tu as une suggestion à me faire parmi les recueils d'Antoine Wauters, je suis preneur :)

      Supprimer
  5. C'est un auteur que j'ai envie de découvrir depuis un bon moment. J'hésite entre les deux que tu mentionnes. (Aifelle)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Perso, j'ai été plus touché par Marthe. Si tu préfères les formes narratives plus "conventionnelles", Pense aux pierres... devrait mieux "passer".

      Supprimer
  6. je passe mon chemin, je ne suis pas du tout attirée par ce genre (même si j'ai trois romans en tête que j'ai adorés et qui traitent du même sujet) et la forme non plus. Mais j'aime beaucoup ton aparté sur les jeunes d'aujourd'hui ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Au moins, tu n'auras pas perdu tout ton temps en lisant ce billet ;-)

      Supprimer
  7. Tu me donnes très envie de découvrir cet auteur, d'autant que je cherche à mieux connaître la littérature belge contemporaine.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je connais moi même très mal la littérature belge (contemporaine ou autre) mais de ce que j'en ai lu, j'aime beaucoup le style d'A. Wauters. Il me reste encore à lire de lui Nos mères qu'on m'a recommandé à maintes reprises.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Si le post auquel vous réagissez a été publié il y a plus de 15 jours, votre commentaire n'apparaîtra pas immédiatement (les commentaires aux anciens posts sont modérés pour éviter les spams).