Fahrenheit 451, Ray Bradbury

 

« C'est vrai qu'autrefois les pompiers éteignaient le feu au lieu de l'allumer ? »


Dans la société futuriste imaginée par Ray Bradbury, rien n’a changé : les pompiers ont toujours pour mission de protéger les citoyens. Si, plutôt que de lutter contre les incendies, ils embrasent les livres et les habitations qui les dissimulent, c’est toujours pour préserver la sécurité de la population, la mettre à l’abri de tout questionnement, de toute réflexion, susceptibles de menacer leur tranquillité d'esprit... et surtout la stabilité du régime en place.
Totalitaire, le régime.
Bien sûr.

L’heure n’est plus au libre-arbitre, à la remise en question. Place à la pensée unique, au prêt-à-penser. On ne réfléchit plus, on se divertit, on jouit .
À la lecture, prohibée par la loi, sont substitués les amusements en tout genre, les flots d’images ininterrompus et les sagas télévisées les plus abrutissantes. Plus question de flâner dans les rues ou d’échanger à la terrasse d’un café : on ne se déplace plus qu’en véhicule filant à 110 km/h minimum,  excluant ainsi toute pensée éventuelle.

Guy Montag, pompier de la brigade 451, convaincu d’agir pour le bien d’autrui, remplit sa mission avec dévouement. Pour lui, les choses sont claires. Jusqu’à ce soir où il rencontre dans la rue Clarice, une jeune femme pas comme les autres.
Dès lors, il attend le moment où il retrouvera Clarice et discutera avec elle. Car, ce qui attire cet homme marié chez Clarice n’est pas d’ordre sexuel, mais intellectuel. Soir après soir, la jeune femme lui laisse entrevoir une autre façon d’envisager la vie.
Peu à peu, Montag va remettre en question la mission qui est la sienne, en commençant par ramener chez lui un livre qu’il a sauvé des flammes. En découvrant le pouvoir de la lecture, il va s’insurger contre  le régime lui-même et entrer en résistance.



Sûrement, n’était-il pas nécessaire de présenter Fahrenheit 451. Même sans l’avoir lu, je savais de quoi traitait ce roman considéré comme un des plus grands classiques de la science-fiction.
Quand je lis « classique », je comprends « chef-d’œuvre », ce qui, chez moi, nourrit de… Great Expectations (pour rester dans les classiques !). Mais qui dit grandes espérances, trop souvent dit grande déception. Fahrenheit 451 n’a malheureusement pas échappé à cette malédiction.

La grande force de ce roman est sa portée philosophique. Quelques années seulement après les autodafés nazis, en pleine chasse aux Rouges menée par le sénateur McCarthy, Bradbury alerte ses contemporains sur les tentations d’un système totalitaire et les dangers de la censure et de la pensée unique.
La société qu’il a imaginée il y a 66 ans ressemble effroyablement à celle d’aujourd’hui, en cela que « culture » est devenu un gros mot, que la dictature du bonheur s’affiche comme idéal de vie, et qu’il sera toujours plus facile de tirer vers le bas que d’élever le débat. Bien avant sa théorisation par Patrick Le Lay, Bradbury prophétisait le "temps de cerveau humain disponible".

L’hégémonie des images selon Bradbury passe par la télé. Si cela est toujours vrai (télé-réalité, soaps insipides, jeux débilitants, chaînes d’info en continu…), le tsunami internet a amplifié le phénomène en multipliant les écrans qui inondent le monde d’images, abrutissent les populations, au mieux d’informations brutes, pas toujours recoupées, mais surtout rarement analysées, hiérarchisées ou replacées dans leur contexte ; au pire, de fake-news, ragots et rumeurs,  hissant « décideurs » et « influenceurs » au rang de maîtres à penser.

Pour le reste, j’ai trouvé le roman très daté dans sa représentation de la société du futur (tout comme peuvent l’être les premières séries de science-fiction des années 60, même si leur cachet vintage peut parfois présenter un certain charme).
Par son caractère désuet, ainsi que par les grandes thématiques qui parcourent le texte (la société de divertissement sensée être bénéfique à l’homme/ la technologie, supposé vecteur de progrès qui, en aliénant l’homme, le rend dépendant, toujours plus incapable), Farhenheit 451 m’a rappelé Les Jeux de l'esprit, de Pierre Boule, publié une dizaine d’années plus tard.
Mais surtout, j’ai regretté que Bradbury soit resté à la surface de ses personnages. Plus que les démêlés de Montag, peu passionnants au demeurant, j’aurais préféré savoir pourquoi Clarice ne s'est pas laissée gagner par la contagion générale, ou connaître "l'historique" de la femme de Montag et savoir comment elle évolue...

Il n’en reste pas moins que Fahrenheit 451 demeure une salutaire piqûre de rappel sur les dangers de la culture de masse, sur la menace qui plane toujours sur la libre opinion et l’esprit critique.

Fahrenheit 451 - Extraits

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« Est-ce à dire que Fahrenheit 451, parce que sa vision de l'avenir n'a pas été confirmée par l'Histoire, est aujourd'hui dépassé, totalement obsolète ? Bien évidemment non, car son propos reste éminemment pertinent de nos jours : il y est question de guerre larvée entre grandes puissances, de course à l'armement, de danger du nucléaire, de la coupure de l'homme d'avec la nature, de mégalopoles anonymes et déshumanisées, de déliquescence du lien social, de société de consommation et de divertissement, d'uniformisation de la pensée et de conformisme. Il y est aussi et surtout question de l'impérialisme des médias, du grand décervelage auquel procède la publicité, les jeux, les feuilletons et autres niaiseries télévisuelles abrutissantes. Bradbury souligne « il y a plus d'une façon de brûler un livre », l'une d'elle, la plus insidieuse, est de rendre les gens incapables de lire par inculture, désintérêt pour la littérature, paresse mentale ou simple désinformation. »   BlueGrey
 
« C’est donc un roman passionnant, une référence de la littérature américaine que je regrette juste de n’avoir pas lu avant! Maintenant, je comprends mieux les liens avec d’autres livres que j’ai lus comme
La ballade de Lila K ou Uglies. À lire absolument ! »   Enna

« Ce roman mérite bien la réputation qu'il a, il est tout bonnement passionnant, et, quand on pense qu'il a été écrit en 1953, c'est extraordinaire et effrayant de voir que certains pans de nos sociétés modernes de consommation ne sont pas si loin de ceux décrits par Ray Bradbury. Il était véritablement visionnaire par moments ! Il y a presque soixante ans, il a imaginé une société où l'image remplace l'écrit, où les personnages de sortes de sitcom, ou de téléréalité s'invitent au sein des foyers, où il est bizarre de parler en famille ou entre voisins, où l'enseignement consiste en émissions de télé alternées avec des activités sportives ou pratiques, où on ne réfléchit surtout pas. »   K
athel 

Ray Bradbury - Fahrenheit 451 (Folio SF #3, 2000) [1953]
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) : Henri Robillot

Commentaires

  1. Pas lu, et risque de déception, c'est sûr (je connais évidemment déjà l'histoire). Depuis qq temps je tombe sur des romans se déroulant dans les années 2040, reste à voir ce qu'il donneront dans 50 ans?
    Sinon, pour les classiques qui tiennent la route, on vient de faire une LC sur De sang froid (roman que tu as sûrement lu, non? ^_^)

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    1. J'ai été étonné de découvrir que tu n'avais pas encore croisé la route de De sang froid (et pour sûr, c'est un livre qui me parle). Et j'ai été soulagé de lire que tu avais été conquise :D

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  2. Pas lu non plus mais ma grand fifille de bientôt 17 ans l'a découvert cette année et elle a beaucoup aimé. Conclusion, il faut peut-être le lire jeune pour en sortir emballé (mais attention, je ne suis pas en train de dire que tu es un vieux croûton hein^^).

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    1. SI, si, tu peux le dire : je SUIS un vieux croûton, on ne va pas se mentir (il faut se faire une raison) :D
      La puissance de Farhenheit 451 réside dans son message : la lecture comme source de liberté (et d'esprit critique) par la connaissance. Peut-être que c'est une vérité qui n'est pas aussi évidente quand on est jeune (frais et insouciant). Et peut-être est-ce pour cette "révélation" que ce roman marque les esprits... Je ne sais pas, c'est juste une hypothèse.
      Un autre "classique" que j'ai lu très (trop?) tard et que j'ai trouvé assommant, alors qu'il a marqué des générations d'ados : Le Grand Maulnes.

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  3. Désolée d'avoir annoncé qu'il était passionnant, voilà un adjectif qui peut engendrer de grandes attentes et des déceptions... mais j'ai vraiment été passionnée par ce roman ! :)

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    1. Rassure-toi, Kathel, tu n'es pas la seule "responsable" de ma déception : vous êtes nombreux et nombreuses à avoir adoré ce roman. Et tant mieux. C'est juste moi qui suis passé en partie à côté.

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  4. Je l'ai lu il y a quelques années, et j'avoue qu'il n'a pas laissé une empreinte vraiment durable...

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    1. Comme quoi, peut-être que Jérôme n'est pas loin de la vérité quand il dit qu'il vaut mieux être de 1e jeunesse pour apprécier cette histoire :D

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  5. C'est rare que ça m'arrive, mais ici, entre le livre et le film, j'ai préféré le film. J'ai trouvé que le côté «daté» passait mieux en images.

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    1. C'est étrange ce que tu me dis car, justement, en lisant le livre, je me suis posé la question du film de Truffaut, et sans l'avoir vu, je me suis dit qu'il devait paraître aussi poussiéreux que le roman. De toute évidence, je suis dans l'erreur...

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  6. C'est vrai que c'est une malédiction, et c'est vrai que ce roman est daté ;-) . J'avais adoré, évidemment, je l'ai lu il y a si longtemps ( une période SF anticipation, avec Chroniques martiennes, et Barjavel, et P.Boule, et 1984, et Le meilleur des mondes, etc... ), je ne crois pas que je me risquerai à le relire, il est inscrit dans une époque, dans les questions d'une époque, même si elles restent d'actualité comme tu le soulignes. Et puis un livre qui parle de sauver les livres a toujours bonne presse.

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    1. C'est vrai que l'histoire est inscrite dans son époque mais elle la dépasse dans son aspect "philosophique". C'est tout "l'emballage" qui a mal vieilli, à mon avis.
      Je sais qu'il n'est jamais facile de s'attaquer à un "classique" mais je suis étonné qu'aucun auteur contemporain n'aie eu envie de revisiter cette histoire... Ça me plairait bien de voir quelqu'un s'emparer du principe de départ et de fouiller plus les personnages et d'envisager le développement de l'histoire autrement... un peu dans l'esprit de la série Black Mirror, par exemple.

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  7. C'est vrai, ce bouquin fait un peu "daté", mais plutôt dans le style je trouve, et le manque de "profondeur" des personnages... Car le propos reste éminemment actuel !

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    1. Le propos est diablement (et affreusement) d'actualité. C'est si prémonitoire que ça en devient effrayant, parce que franchement, moi, ça ne me fait pas envie, une telle civilisation...

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  8. Je n'arrive plus à me souvenir si je l'ai lu plus jeune ou non (à ce stade, c'est que ça commence à remonter loin) mais c'est un de ces livres culte que je comptais (re?) lire un jour. Ton billet m'inquiète un peu quant à la réception que je pourrais en avoir cela dit. Mais dans mes souvenirs, si je l'ai lu, il ne semble pas m'avoir marquée et je me demande même s'il ne m'avait pas déçue.

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    1. Le nombre des années s'accumulant, tout autant que le nombre de livres lus, c'est clair qu'il est de plus en plus difficile de se souvenir de chacune de ses impressions de lecture... C'est une des raisons qui m'ont encouragé à tenir mes lectures à jour, même quand je ne les publiais plus.

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  9. Je n'ai pas encore lu Fahrenheit 451 mais je le lirai, c'est sûr. Il fait partie des incontournables de la SF.

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    1. Comme toi, je me suis dit que comme c'était un "classique" de la SF, je ne pouvais pas passer encore longtemps à côté, d'autant que le thème qui sous-tend tout le roman m'intéressait... Et puis, ça a fait pssschiiiiitt....

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