Vingt-trois secrets bien gardés, Michel Tremblay



Cette année (pour nous mais l’an dernier pour nos cousins québécois), Michel Tremblay a choisi de dévoiler Vingt-trois secrets bien gardés.
Ce n’est pas la première fois que l’auteur québécois délaisse sa galerie de personnages le temps d’un recueil  intimiste dans lequel il partage des souvenirs d’enfance et de jeunesse. Le dernier en date était Conversations avec un enfant curieux (2016) que j’avais trouvé savoureux.
Cette fois-ci, je suis bien moins euphorique.

Je ne m’étendrai pas sur les 7 mois qu’il aura fallu au texte pour traverser l’Atlantique. Un décalage, plus que frustrant, que j’ai du mal à m’expliquer compte tenu du rapprochement qui existe entre Leméac et Actes Sud et de l’absence de délai de traduction. Bref...
Le phénomène est bien connu : l’attente décuple le désir. Dès que le livre a été disponible sur les tables des librairies, je m’y suis rué... pour découvrir un opuscule minuscule. (l’assonance est belle, la surprise, beaucoup moins et l’annonce du prix en caisse, encore bien moins !)
La livraison de Tremblay la plus maigre, si je ne m’abuse. 102 pages de texte au format réduit. 23 anecdotes, 23 chapitres. Certaines d’entre elles auraient tenu sans mal sur un recto/verso de format standard. Ça se dévore en moins de temps qu’il faut le dire.


Retrouver Michel Tremblay, pour moi, c’est comme revoir un grand-oncle au moment de la tournée des anciens que l’on visitait avec mes parents au moment de la nouvelle année. C’est un rendez-vous attendu, une plongée dans un univers familier et chaleureux.
Ce nouvel opus ne fait pas exception à la règle. Dès les premières pages, j’ai retrouvé tout ce que j’aime chez lui : sa verve, sa tendresse, son humour… En 23 récits, il revient, sans chronologie, sur quelques situations personnelles, nostalgiques, drôles, émouvantes, embarrassantes, qui ont marqué la personne et l’auteur qu’il est aujourd’hui.
Tremblay est un sacré raconteur d’histoires qui s’y connait pour capter l’attention de son auditoire en un claquement de doigts, même quand, comme ici, malgré l’emploi de la troisième personne, c’est bien de lui dont il s’agit et non de l’un de ses personnages.

Et pourtant, cette fois-ci, la magie n’a pas opéré comme d’habitude.
J’ignore si c’est un comportement "normal" et largement partagé, mais je me montre toujours plus critique envers les personnes qui comptent pour moi. (mes proches et mes collègues peuvent en témoigner. Même s’il m’arrive encore trop souvent de mal m’y prendre et de me montrer abrupte dans mes propos, mon intention n’est pas de les blesser délibérément mais de leur rappeler qu’ils valent mieux que ça, qu’ils sont capables de meilleur que ça.)   
Et c’est sans doute pour cela que je serai sans doute trop sévère avec ces Vingt-trois secrets bien gardés. Si cela ne m’a pas gêné, je n’ai pas compris le pourquoi de l’utilisation de la 3e personne pour raconter ces souvenirs-là : mise à distance, (fausse) modestie… ? Les deux peut-être, ce qui lui permet ainsi de mettre les situations en scène en se jouant d’une réalité sans doute plus triviale, et de garder le beau rôle dans des situations embarrassantes et humiliantes, en faisant rire de lui et s’attirant ainsi la sympathie du lecteur (je pense, notamment, à sa rencontre avec Jack Lang). (un article de La Presse apporte une explication "officielle" à ce choix)


C’est cette mise à nu factice, comme si elle n’était pas assumée, qui m’a profondément dérangé. Bien évidemment que ses précédents récits personnels étaient romancés. Mais ici, cela m'est apparu trop visible et le processus entache la notion d'honnêteté inhérente aux confessions.
Comme si Michel Tremblay avait été forcé (par son éditeur, par ses lecteurs ?) de dévoiler encore un peu plus de lui alors qu’il n’en avait pas envie et qu’il avait contourné le problème en répondant à la demande tout en ne livrant que de brèves anecdotes finalement peu compromettantes pour sa personne et sa vie privée. Je ne suis pas inquiet pour lui; je pense, au fond de moi, que certains de ses vingt-trois secrets (sinon tous) sont toujours bien gardés.

L’autre point qui m’a ennuyé, c’est le sentiment d’avoir eu entre les mains un livre qui n’était pas le cadeau d’un auteur à son lecteur, mais un devoir de l’auteur rendu à son éditeur. Comme si, tenu par contrat à une livraison annuelle, Tremblay était allé rechercher au fond de ses tiroirs/de sa mémoire quelques ébauches de textes/de souvenirs, jetées là, telles quelles ou presque.


Malgré ma déception et mon immense frustration, parce que c’est Michel Tremblay et qu’il tient une place vraiment à part dans mon panthéon d’auteurs, je ne peux pas lui en tenir rigueur. D’autant qu’une livraison bâclée de Tremblay vaut bien plus que le meilleur texte de bien des auteurs.
Il n’empêche que je compte bien retrouver « mon » Tremblay, avec Le Cœur en bandoulière, annoncé pour le 5 novembre prochain au Québec. Je ne sais pas si mon amour pour lui pourrait survivre à un raté de la « suite » de Le Cœur découvert et Le Cœur éclaté.

Vingt-trois secrets bien gardés - Extraits

*   *   *   *   *   *   *
« Par le biais de la troisième personne, il évoque son tout premier souvenir, à trois ans, l’effroi de se voir de dos, la toute première fois où il a assisté à un spectacle transformiste, celle où il a traversé un spectacle de magie complètement stone, le moment précis où il a pris conscience de son homosexualité, le prof qui lui a donné une fessée injuste pour son arrogance supposée, il y en a vingt-trois comme ça, et on ne décroche pas un seul instant. Vivant, sensible, émouvant, drôle, ce livre, comme tous ceux de Michel Tremblay, est à lire absolument, en plus il est tout fin et peut s’emporter partout ! »   Cuné

Michel Tremblay - Vingt-trois secrets bien gardés (Leméac/Actes Sud, 2019)

Commentaires

  1. Et bien cette déception me permet de noter cet auteur à lire absolument un jour ! Par quel roman pourrais-je bien commencer ?

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    1. Comme à chaque fois qu'on me pose cette question, j'aurais tendance à te dire qu'il faut TOUT lire de Tremblay, même ces 23 secrets bien gardés.
      Mais comme je ne veux pas te dégoûter devant l'ampleur de la tâche, je dirais que s'atteler à une "mini saga" comme la Trilogie des Cahiers de Céline Poulain est un bon début. Ça te donnera un bon aperçu de l'univers, du style, des émotions...
      Dans l'ordre : Le Cahier Noir, Le Cahier Rouge et Le Cahier Bleu.

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  2. Je lis ta réponse à krol. bref, ça dépend de la bibli quand même;..

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    1. Sinon si tu veux vraiment tenter l'aventure des Cahiers, en bouquinerie ou d'occasion sur le net, tu peux les trouver à moins de 10 €, c'est pas la mer à boire, si ?

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  3. Je n'ai qu'un seul titre de lui, que j'avais beaucoup aimé d'ailleurs. Je note ton conseil à Krol, parce que j'aimerais continuer, sans trop savoir avec quoi.

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    1. Je pense que cette trilogie est un bon compromis : saga pas trop longue, personnages attachants, milieu noctambule interlope...
      Ça convient à tous publics et c'est vraiment très représentatif de ce que le lecteur/la lectrice pourra retrouver ensuite si il/elle décide de se plonger dans le grand oeuvre qui est bien entendu les Chroniques du Plateau Mont-Royal, suivi (ou précédé, c'est selon son envie) de La Diaspora des Desrosiers.

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  4. J'ai lu de lui "la grosse femme d'à côté...". J'avais bien aimé ma lecture sans être réellement transportée. Je note ta suggestion des "cahiers".
    Quand on est inconditionnel d'un auteur, on lit même le médiocre. Je comprends donc que tu ne regrettes pas ta lecture mais en ce qui me concerne, je passe mon tour !

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    1. Il faut croire que La grosse femme d'à côté n'est pas une clé d'entrée idéale, car je l'avais recommandée l'an dernier à mon patron qui me demandait des suggestions de lectures pour lui passer l'été et, comme toi, il n'a pas été emballé plus que ça (il faut dire que ce n'est pas vraiment une lecture de plage).
      Mais si tu as envie de retenter le coup avec Tremblay, c'est clair que ce n'est pas avec ces Vingt-trois souvenirs... qu'il faudra le faire.

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  5. Je vais d'abord commencer par un des Cahiers si je les trouve ! Bises

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    1. La trilogie des Cahiers se trouve facilement en librairie (sur commande sans doute, mais facilement quand même). Si tu es habituée d'une bibliothèque, il se peut qu'ils ne l'aient pas.
      En revanche, je te conseille de lire les trois tomes dans l'ordre chronologique, au risque d'être déçue.
      Donc si tu trouves seulement le Rouge ou le Bleu, laisse-tomber. C'est par le Noir que tu dois découvrir Céline Poulain !

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  6. ah heureuse de te lire à nouveau, même si on sent une légère frustration; je rebondis sur la longueur du livre (102 pages) et ta remarque sur le prix, lequel stp ? j'ai vu un roman (Marie a pu le commander en usagé pas cher) en France 22 euros pour 120 pages, j'appelle ça du vol... pas mal de maison réduisent le prix à 14 euros. Je ne suis pas tentée par ce Monsieur, mais je pense que tu as de la chance, car il est toujours vivant et donc écrit encore ... mes auteurs préférés (les très grands) sont tous décédés, pauvre de moi ;-)

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    1. Ben, 13 € pour un livre au format plus petit et moins épais que celui d'un carnet de chèques (pour ceux qui savent encore à quoi ça ressemble), désolé, même avec la qualité Actes Sud, moi je trouve ça trop cher. Ça ne devrait dépasser la barrière psychologique des 10 €.
      Sinon, si ça peut te consoler un peu, j'aime aussi beaucoup de très nombreux auteurs morts ;D

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  7. Je suis curieux de le lire du coup...

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    1. De toute façon, un Tremblay moyen est souvent meilleur que le meilleur roman de certains auteurs... Mais comme il nous habitue à de l'excellent, je pense qu'on devient de plus en plus exigeant avec le temps :D

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