J’entends des regards que vous croyez muets, Arnaud Cathrine


Attablé à une terrasse de café, comprimé aux heures de pointe dans le métro, en faisant le pied de grue dans une file d’attente…., il m’arrive souvent de fixer mon attention sur une personne alentour et d’imaginer ses origines, ce qui l’amène ici, ce qu’elle fait dans la vie… Comme je ne suis pas écrivain, chez moi tout se limite à un afflux de pensées fugaces, parfois même tout juste formées, à une ébauche d’histoire sans réelle construction, aussi vite oubliée qu’elle a traversé mon esprit.

Arnaud Cathrine, lui, est écrivain (entre autres !). Au fil du temps, il s’est fait une spécialité d’observer des inconnus et de leur prêter des vies. Tel un photographe de rue, il saisit, avec sensibilité, un instantané de quotidien qu’il capture avec son stylo dans ses carnets ou qu’il dicte à son smartphone.

Les jours où je trouve à écrire dans mon carnet, me vient le contentement bienheureux de qui a fait l’amour, et a bien fait l’amour. Et puis, parfois, j’ai envie, très envie, je pars en chasse, excité, je guette, je cherche, une heure, parfois davantage, mais la vie ne m’envoie rien ni personne, ça ne mord pas, ou est-ce mon regard qui ne s’accroche à rien, j’arpente la ville, la plage, je déshabille le restaurant, le train, la rame de métro, mais c’est tourner comme un lion en cage, la perspective du festin s’éloigne tristement, je m’acharne, je croise une fille, un garçon, une femme, un vieux, je fomente un début d’histoire, dicte quelques mots à mon portable, devinant confusément que ce livre n’en voudra pas (les photographes doivent connaitre pareille frustration : n’avoir pas été au bon endroit, au bon moment), détresse de l’auteur sans sujet, du voleur sans objet de tentation, je rentre alors chez moi, je rends page blanche, enfin ces mots-là, penauds, plutôt que rien. (p. 103).



De quelques lignes à une dizaine de pages, 65 courts textes constituent ce recueil au titre magnifique, variation d’une tirade de Britannicus : J’entends des regards que vous croyez muets.
À partir d’une bribe de conversation saisie au passage, un détail vestimentaire, une allure, un regard..., à Paris, sur une plage normande ou de Gironde, Arnaud Cathrine donne vie à ces anonymes croisés au hasard, témoignant d’un sens aigu de l’observation et de l’attention à l’autre.

Il émane de la plupart de ces textes une douce mélancolie (ce qui n'est pas incompatible avec quelques pointes d'humour, de temps à autres), la nostalgie de jours plus radieux, où la solitude, la décrépitude, la précarité, le manque d’amour, les regrets n’étaient pas de mise. Certaines histoires se ferment sur la promesse d’un avenir meilleur ; d’autres se jouent des apparences pour cueillir le lecteur par leur chute inattendue ; d’autres encore ne sont que pure affabulation, des rêves que l’auteur aimerait probablement être réalité...
À mesure que défilent ces différents fragments de vie, le lecteur prend conscience que derrière chacun des portraits croqués en quelques mots s’en dessine un autre, de plus en plus distinctement : en projetant sur ses "victimes" ses propres souvenirs, ses propres fantasmes, ses obsessions et ses peurs, Arnaud Cathrine se dévoile parfois jusqu’à l’impudeur. Apparait alors toute l’ampleur, toute la beauté de J’entends des regards que vous croyez muets.

Je ne saurais que trop vous recommander de prendre le temps, (une fois le livre terminé, comme moi, ou à la fin de chacune des histoires lues, comme je l’aurais fait si je l’avais su) de découvrir les titres des textes dans la table des matières insérée en fin d’ouvrage. Astucieusement choisis, ils rajoutent une touche de piquant à chacune des histoires.


Je terminerai par une nouvelle qui me réjouit : le voleur de vies a laissé tomber les petits larcins pour se faire braqueur. À partir d’un casse réalisé dans le fonds de photographies de The Anonymous Project, Arnaud Cathrine a imaginé Andrew est plus beau que toi, une histoire à paraître le mois prochain chez Flammarion.

J'entends des regards que vous croyez muets - Extraits

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« Ces petites histoires créées de toutes pièces, c'est du bonheur à lire, tant elles sont émouvantes, bouleversantes ou amusantes, ou tout ça à la fois, et superbement écrites : la plume est fluide, affûtée, concise sans l'être trop, et dans ces instantanés, ces petits moments de vie captés et réinventés, on ne manquera pas de se retrouver un peu, voire beaucoup. Quand Arnaud Cathrine parle des autres, il parle un peu, voire beaucoup de lui, de moi, de vous... Je ne sais pas vous, mais moi ça me touche. »   Comète

« Certainement, Arnaud Cathrine vole, dérobe, emprunte, s’accapare ces vies-là. Mais il partage son larcin avec une simplicité criante de sensibilité et de cette mélancolie douce qui nous accompagne dans chacune des pages. En disant les autres, il se raconte aussi et glisse dans chaque page ce qu’il veut bien laisser de lui avec une maîtrise de la chute qui sait souvent faire mouche. »   Moka

« Si l'exercice peut sembler assez banal, cette succession de petites histoires remarquablement écrites, façonne au fil des pages un jeu de miroir vertigineux. En brossant le portrait de toutes ces personnes, parfois à peine observées quelques minutes, en leur imaginant un passé, un présent, voire un avenir, juste en s'accrochant à leurs gestes, leurs vêtements, leur voix, en apparaît, en filigrane, un autre, celui de l'auteur. Le lecteur, dont visiblement on pousse la curiosité, devient doublement observateur (j'aurais pu dire voyeur, mais le terme aurait été grossier face à la finesse non dénuée de piquant de l'auteur). »   Pierre


Arnaud Cathrine - J’entends des regards que vous croyez muets (Verticales, 2019)

Commentaires

  1. J'ai aimé tout ce que j'ai lu de cet auteur, son écriture en effet sensible, sa manière de dire les choses avec clairvoyance et simplicité. Et je serai à vie admirative d'un auteur qui a réussi à se réapproprier le génialissime "Tandis que j'agonise" de Faulkner sans être ridicule (avec "La route de Midland").. Je note, donc...

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    1. Comme toi, en littérature générale ou en jeunesse, en roman ou en nouvelles, j'ai toujours aimé ce que j'ai lu d'Arnaud Cathrine. Mais de tous, je pense que c'est celui-ci qui m'a le plus plu.
      Je surligne La Route de Midland que je n'ai toujours pas lu mais qui fait toujours partie de mes projets.

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  2. Ce titre est magnifique...! Je l'ai lu cet été et il me reste à poser mes mots dessus, un jour, si j'y arrive. Je suis ravie d'apprendre qu'on va pouvoir le relire très bientôt !

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    1. Un peu peu tu vas y arriver, non mais ! ;)
      J'ai hâte de découvrir ce que donne sa collaboration avec The Anonymous Project, dont j'adore le concept et où je pioche de temps à autres des clichés émouvants.

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  3. La belle affaire! Tu fais fort, sur ce coup! Deux en un:
    un de plus à me procurer (J'adore observer les inconnus!) / "Andrew est plus beau que toi" aussi, m'intéresse.

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    1. Mais dis-moi... as-tu lu, auparavant, Arnaud Catherine?
      C'est aujourd'hui, en investiguant, que je réalise que Arnaud Catherine et Philippe Katerine sont deux personnes très différente! J'avais confondu... Imagine!

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    2. MDR pour ta confusion ! son physique est pourtant parlant (on le voit sur la vidéo) sinon je ne connais pas. Je ne vais pas l'acheter mais je le note si je le croise à la BM

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    3. @ Electra : C'est pas joli joli de se moquer de ses petites camarades, dis donc ! :D :D
      [moi non plus, je n'ai pas pu m'empêcher de pouffer, mais chut ! ;) ]

      @ Marie-Claude : avant toute chose, je me félicite d'avoir permis de mettre un peu d'ordre parmi ton Who's Who :D
      Il est vrai que ce n'est pas forcément facile pour qui n'est pas français de s'y retrouver : d'un côté, on a Arnaud Cathrine (sans e après le h), auteur ; de l'autre, Philippe Katherine, chanteur-acteur français. Non seulement l'homophonie n'aide pas à les distinguer mais en plus, ils sont nés tous les deux en décembre. Une fois qu'on s'est aidé de photos pour bien marquer sa mémoire, il faut rester vigilant et bien faire attention à ne pas les confondre avec un(e) autre [kæ.θ(ə.)ɹɪn] français (e) : Catherine Deneuve !!! :P
      Allez, j'arrête de te charrier.
      De cet auteur, j'ai déjà lu La disparition de Richard Taylor, Le journal intime de Benjamin Lorca et Les garçons perdus.en littérature générale ; Je suis la honte de la famille et A la place du cœur (saison 1) en littérature jeunesse.
      J'ai aussi lu certaines des ses nouvelles incluses dans des recueils comme ou Remix #1.
      J'aime beaucoup son univers et les sentiments qu'il véhicule dans ses histoires.




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  4. J'ai toujours du mal avec les nouvelles, mais là tu me tentes

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    1. Ce ne sont pas des nouvelles à proprement parler, plutôt des instantanés de vie croqués en quelques phrases. Ce sont de très courts textes qui pour la plupart ne dépassent pas les 2 / 3 pages.
      Si tu ne t'attends pas à des "histoires" avec un début et une fin, et que tu aimes prendre les personnages, dont tu ne sais rien, à un instant T et les abandonner à un instant T1 sans savoir ce qu'il advient d'eux ensuite, ça te plaira.

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