77, Marin Fouqué

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Seine-et-Marne, normes plaines. 
Face à lui, à perte de vue, des champs aux terres grasses qui collent aux semelles, comme le shit qui lui colle aux doigts tandis qu’il se roule un nouveau joint. Rien d’autre pour briser l’horizon que les pylônes électriques qui laissent entendre leur fin crépitement, et, tout au fond, les bois qu’on devine.
Seule la cicatrice du bitume de la route vient barrer de gris toute cette étendue marronnasse. 

Comme tous les autres matins, il est avachi sur le banc de l’abribus, recroquevillé sur lui-même, renfermé dans ses pensées, la tête enfouie sous sa capuche. 
Comme tous les matins, il attend le car de ramassage scolaire qui conduit les jeunes des hameaux du coin jusqu’à leurs établissements respectifs. 
Mais ce matin, il ne montera pas. Il n’ira pas en classe. 
Ni ceux d’après.
Alors que les portes pneumatiques se referment, étouffant la voix de Polnareff, invariable fond sonore imposé par le chauffeur, il regarde le bus s’éloigner, les visages des lycéens collés aux fenêtres qui le dévisagent. 

Toute la journée, dans son abri de béton, il va rester vautré sur son banc, dans les brumes de la fumée du shit, à remâcher son ennui, à compter les voitures qui passent, à deviner leur couleur avant qu’elles n’arrivent. Chaque bonne réponse comme un présage, l’assurance d’un vœu qui se réalisera.
Toute la journée, il va ressasser ses souvenirs, revivre l’époque où il formait un vrai trio avec Enzo et la fille Novembre, les faux jumeaux toujours collés à leurs basques. Avant qu’Enzo devienne le Traître et que le grand Kevin ne fasse irruption dans sa vie.



La Seine-et-Marne, le 77, ou plus exactement le 7-7 comme le suggère en couverture, le mot « roman » qui vient s’intercaler entre les deux 7. « On ne dit pas soixante-dix-sept. On dit sept-sept. Comme une salve qui briserait le silence. C’est important, ici, le silence. » 
Pire encore que le 7-7, le Sud 7-7 ! Une sorte de no-man’s land sans réelle identité, que l’on ne fait que traverser à moins d’être obligé de s’y arrêter. Ce n’est pas la ville, pas vraiment la banlieue, pas la campagne non plus. À la fois trop proche et trop éloigné de Paris. Un agglomérat de bourgs et de hameaux endormis que seule la fête foraine vient réveiller une fois par an. 

Marin Fouqué nous fait entrer dans l’esprit de ce jeune ado paumé dont on ne connaîtra que le sobriquet de Mignonne. Un gamin désœuvré qui n’espère rien de l’avenir qui lui est promis, du futur aux accents de no-future qui se profile, et qui se sent coincé dans cet endroit qui se désertifie et qu’on croirait oublié du monde. 
Comme lui, beaucoup de jeunes du voisinage sont victimes du déterminisme social dans lequel leurs parents ont cessé de se débattre depuis longtemps. Les adultes sont soit démissionnaires comme les parents du narrateur, soit violents comme le père de la fille Novembre, soit abandonnés par le système, comme la Vieille qui erre hagarde dans le bourg et qu’il faut reconduire jusque chez elle...

Que faire quand l’avenir ne ressemble en rien à ce qu’on en espère, qu’on se débat dans un état transitoire et confus, plus vraiment l’enfance mais pas encore l’âge adulte, qu’on refuse de se conformer à ce qu’on attend de nous, qu’on voudrait devenir adulte et être un homme « autrement » sans avoir à choisir entre devenir le prédateur ou la proie, qu’on traîne sa galère, son ennui et sa rage sans savoir quoi en faire ?
Ce sont toutes ces questions que se pose l’ado dissimulé sous sa capuche et c’est dans son flux de conscience que nous entraîne Marin Fouqué avec ce texte qu’il déploie d’une traite, sans chapitrage autre que le passage des voitures. Son sens du rythme et de la musicalité se fait flow et son texte, slam qui vient donner de grands coups de lattes dans nos certitudes.

Si aux maintes occasions où s’exprime la virilité toxique, m’est venue à l’esprit Kid, la désormais fameuse chanson d’Eddy de Pretto, « Tu seras viril mon kid / Tu brilleras par ta force physique / Ton allure dominante, ta posture de caïd / Et ton sexe triomphant, pour mépriser les faibles / Tu jouiras de ta rude étincelle», j’ai aussi retrouvé dans ce personnage un spécimen de la génération et du milieu social dont nous parle Nicolas Mathieu dans Leurs enfants après eux, roman auquel aussi fait écho la relation ambivalente que l’adolescent entretient avec cet endroit auquel à la fois il est attaché et dont il veut s’échapper à tout prix.

Un texte rageur, scandé avec brio, qui m’a happé dès ses premières phrases.
J’ai hâte de découvrir ce que nous réserve ce jeune auteur.

*   *   *   *   *   *
« 77 c’est deux cent quinze pages d’un roman-tempête sur le terreau d’une jeunesse démolie. Des corps en construction. Déconstruits. Un roman-oral qui s’il m’a décontenancée lors des premières pages m’a ensuite complètement hypnotisée par son flow et sa verve. Ses punchlines qui foutent K.O. Je l’ai perçu comme une rage enfin libérée. Ça claque à chaque page, ça percute. Ça m’a percutée. Ça m’a donné envie d’hurler. Pour eux. Marin Fouqué m’a laissé un goût de métal dans la bouche après avoir refermé son roman. Comme son narrateur, « il me maravait la gueule et j’aimais ça » ! »   Amandine

« Le voyage reste en tête, sa musique entêtante, le portrait d'une jeunesse paumée qui n'intéresse personne sauf ceux qui ont quelque chose à en dire. Sauf Fouqué qui, à l'instar des Johannin, sait magnifier la morose routine et les souvenirs d'une vie. Un livre qu'on pense à voix haute et qu'on lit à haute voix. »   L’Espadon

« On ne sera pas surpris d’apprendre que Marin Fouqué, entre autres activités, écrit de la poésie, du rap et mêle sur scène textes et musique. Le flow impressionnant de 77 en atteste, le jeune homme sait manier la langue et apprivoiser les mots, même s’ils semblent parfois animés d’une volonté propre, comme l’est notre conscience. Écrit d’un bloc, son texte peut impressionner tant il est dense mais il a su lui donner la fluidité du cours de la pensée et un élan qui semble tout emporter sur son passage. »   Yann

Marin Fouqué - 77 (Actes Sud, 2019)

Commentaires

  1. décidément c'est pas gai ! mais ravie de te retrouver par ici. Bon moi je passe mais peut-être que ça intéressera le Caribou car ça parle de jeunesse ..

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    1. Pas gai, non, certes mais prenant, et c'est pour moi l'essentiel. Je dois préciser aussi que j'ai lu ce roman il y a déjà plusieurs mois et que le climat général était tout autre.
      Au-delà de l'aspect "jeunesse", je suis quasi certain que Marie-Claude va accrocher. En plus, il ne sera pas compliqué de transposer les champs du 77 en étendues campagnardes québécoises.

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  2. Une fois de plus en passant chez toi, je suis tenté !

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    1. Ça me fait toujours plaisir, si je peux donner envie de découvrir un texte qui m'a plu. Si les extraits sélectionnés te parlent, n'hésite pas, tout le roman est à l'avenant.

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  3. Voilà qui m'intéresse, évidemment !!

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    1. Je suis étonné de ne pas avoir entendu parler davantage de ce roman. Il est très contemporain dans sa forme et son propos et il colle vraiment à notre époque.

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  4. Ce roman pourrait tout à fait m'intéresser, il en a tous les ingrédients.

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    1. C'est un beau portrait d'ado d'aujourd'hui. Voilà un roman qu'il serait intéressant de faire étudier en classe...

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  5. Réponses
    1. Alors, n'hésite pas, fais-toi plaisir. C'est un texte très intéressant à plus d'un titre. Et reviens nous dire ici ce que tu en auras pensé, ça me ferait plaisir 😉

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  6. Tout en haut de ma liste, avec "Leurs enfants après eux". Vivement la réouverture des librairies.

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    1. C'est fou, hein ? On a suffisamment de lecture pour tenir sans peine encore au moins autant de temps et on se languit pourtant d'aller fouiner dans les librairies... Tous accros, moi je vous dis 🤪

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