Si je ne suis pas un nègre, et que si vous, les Blancs, l’avez inventé, alors vous devez trouver pourquoi.

Mildred-Richard-Loving-1950s
Mildred & Richard Loving, 1950s
Leur mariage et les actions judiciaires qui s'ensuivirent mettront fin à toutes les restrictions légales fondées sur la race au mariage aux États-Unis



« Il y a de nouvelles métaphores. Il y a de nouveaux sons.
Il y a de nouvelles relations. Hommes et femmes seront différents.
Les enfants seront différents. Il leur faudra rendre l’argent obsolète.
Donner à la vie humaine plus de valeur qu’à l’argent.
Restaurer l’idée de travail comme joie, pas comme corvée. »

James Baldwin, 1973



Dès le moment de votre naissance, dans votre innocence, chaque bout de bois, chaque pierre, chaque visage est blanc, et comme vous n’avez pas encore utilisé de miroir, vous supposez que vous aussi vous êtes blanc. C’est un très grand choc pour vous, à l’âge de cinq, six ou sept ans, après avoir vu Gary Cooper tuer des Indiens et l’avoir applaudi, de découvrir que les Indiens, c’était vous.
C’est un très grand choc pour vous de découvrir que le pays où vous êtes né, auquel vous devez la vie et votre identité, n’a pas créé, dans tout son système de fonctionnement réel, la moindre place pour vous.

Débat à l’Université de Cambridge, 1965 (p. 34)

J’avais terriblement peur,
mais peut-être ce voyage sur le terrain nous aiderait-il à définir ce que j’entends par le mot « témoin ».

J’allais découvrir que la distinction entre
un témoin et un acteur est extrêmement ténue ;
cette distinction est néanmoins réelle.

Par exemple, je n’étais pas un Black Muslim,
de même que pour d’autres raisons
je ne suis jamais devenu un Black Panther.
Car je ne prenais pas tous les Blancs pour le diable
et je ne voulais pas que les jeunes Noirs le fassent.
Je n’appartenais à aucune église chrétienne
parce que je savais qu’elles n’écoutaient
ni ne pratiquaient le commandement
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »,
et je n’étais pas membre de la NAACP
car dans le Nord, d’où je venais,
la NAACP était engluée dans de fatales
distinctions de classe entre Noirs
ou dans des illusions du même genre,
ce qui répugnait à un petit cireur de chaussures comme moi.

(pp. 39-40)

[…] comme la plupart des Américains blancs que j’ai connus, ils n’ont pas… Je suis sûr qu’ils n’ont rien du tout contre les Noirs, mais ce n’est pas la question. La question, c’est vraiment une sorte d’apathie et d’ignorance qui est le prix de la ségrégation. C’est ce que signifie la ségrégation. Vous ne savez pas ce qui se passe de l’autre côté du mur parce que vous n’avez pas envie de savoir.
Forum de Floride, 1963 (p. 51)

Le Noir n’a jamais été aussi docile que les Américains blancs ont voulu le croire. C’est un mythe. Nous n’étions pas en train de danser et de chanter, là-bas sur la jetée. Nous étions en train d’essayer de rester en vie ; nous étions en train d’essayer de survivre à un système extrêmement brutal. Le « négro » n’a jamais été heureux d’être là.
Les Noirs et la promesse américaine, 1963 (p. 59)

Cette grande maison occidentale dont je viens est une seule maison, et je suis un de ses enfants. Simplement, j’en suis l’enfant le plus méprisé. Et cela parce que les Américains sont incapables d’accepter le fait que je suis la chair de leur chair, que mes os sont les leurs, que j’ai été créé par eux. Mon sang et le sang de mon père sont dans cette terre.
Le Nègre de Baldwin, 1969 (p. 60)

Je sais parfaitement que mes ancêtres
n’avaient nul désir de venir ici ;
pas plus que les ancêtres de ceux
qui se sont proclamés blancs
et qui exigent que j’entonne
un chant sur ma captivité.
S’ils veulent un chant de moi,
c’est moins pour célébrer ma captivité
que pour justifier la leur.

(p. 63)

Regarder la télévision, même peu de temps,
c’est apprendre des choses vraiment effrayantes
sur le sens de la réalité des Américains.
Nous sommes cruellement coincés entre
ce que nous aimerions être
et ce que nous sommes vraiment.
Il nous est absolument impossible
de devenir ce que nous voudrions
tant que nous ne sommes pas prêts à nous demander
pourquoi les vies que nous menons
sur ce continent sont pour la plupart aussi vides,
aussi insipides et aussi laides.

Ces images ne sont pas destinées à déranger,
mais à rassurer.
Elles affaiblissent aussi notre capacité à nous confronter
au monde tel qu’il est, et à nous-mêmes
tels que nous sommes.

(p. 94)

Je ne sais pas ce qu’ont dans la tête la plupart des Blancs de ce pays. Je peux seulement le déduire de l’état de leurs institutions. J’ignore si les chrétiens blancs haïssent les Noirs ou non, mais je sais que nous avons une Église chrétienne qui est blanche et une Église chrétienne qui est noire. Je sais, comme l’a dit un jour Malcolm X, que l’heure où la ségrégation est à son comble dans la vie américaine, c’est le dimanche à midi. Ça en dit long sur une nation chrétienne. Ça veut dire que je ne peux pas me permettre de faire confiance à la plupart des chrétiens blancs, et, à coup sûr, que je ne peux pas faire confiance à l’Église chrétienne. Je ne sais pas si les syndicats ouvriers et leurs dirigeants me détestent vraiment – ça n’a aucune importance –, mais je sais que je ne suis pas dans leur syndicat. Je ne sais pas si le lobby de l’immobilier a quelque chose contre les Noirs, mais je sais que le lobby de l’immobilier me maintient dans un ghetto. Je ne sais pas si l’Éducation nationale déteste les Noirs, mais je vois les manuels scolaires qu’elle donne à lire à mes enfants et les écoles où nous devons aller. Ça, ce sont les faits. Et vous attendez de moi un acte de foi, que je risque ma personne, ma femme, ma sœur, mes enfants au nom d’un idéalisme dont vous me certifiez qu’il existe en Amérique et que je n’ai jamais vu.
The Dick Cavett Show, 1968 (p. 97)

Pour nier la réalité sociale,
les gens finissent par vous dire :
« Mais que vous êtes amer ! »
Bon, il se peut que je le sois, ou non,
mais si je l’étais, j’aurais de bonnes raisons.
Parmi elles, en premier lieu, l’aveuglement
ou la lâcheté des Américains qui veulent
nous faire croire qu’il n’y a dans cette vie
aucune raison d’être amer.

(p. 103)

L’histoire n’est pas le passé.
C’est le présent.
Nous portons notre histoire avec nous.
Nous
sommes notre histoire.
Si nous prétendons le contraire, nous sommes littéralement des criminels.

Je peux certifier
que le monde n’est pas blanc.
Il ne l’a jamais été,
ne peut pas l’être.
Le blanc est une métaphore du pouvoir,
juste une manière de décrire
la Chase Manhattan Bank.

(p.109)

Ce que les Blancs doivent faire, c’est essayer de trouver au fond d’eux-mêmes pourquoi, tout d’abord, il leur a été nécessaire d’avoir un « nègre », parce que je ne suis pas un « nègre ». Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Mais si vous pensez que je suis un nègre, ça veut dire qu’il vous en faut un. La question que vous devez vous poser, que la population blanche de ce pays doit se poser, celle du Nord comme celle du Sud parce que c’est un seul et même pays et, pour le Noir, il n’y a pas de différence entre le Nord et le Sud – il y a juste une différence dans la façon dont on vous castre, mais le fait de la castration reste un fait américain… Si je ne suis pas un nègre, ici, et que vous l’avez inventé, si vous, les Blancs, l’avez inventé, alors vous devez trouver pourquoi. Et l’avenir du pays dépend de cela, de si oui ou non le pays est capable de se poser cette question.
(p. 111)


James Baldwin, Raoul Peck - I am not your Negro (Robert Laffont, 2017)
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre Furlan

Commentaires

  1. J'aime ton titre citation et j'aime la photo du couple respectueux.

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    1. Jusqu'à récemment, je ne connaissais pas Mildred & Richard Loving et ne savais rien du combat juridique qu'ils ont dû mener pour pouvoir s'aimer simplement. Je trouve touchantes les photos qu'on trouve sur le net car on les sent complices et vraiment épris l'un de l'autre.

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