Les relations amoureuses prépubères, à la différence de l’orthographe, ont beaucoup gagné en efficacité depuis l’invention du SMS


Dans les pages qui suivent, vous découvrirez un être attachant et pénible, maniaque et fantaisiste, érudit et roublard, chien truffier en quête de fautes, femme de ménage astiqueuse de vocabulaire et médecin spécialiste des accords désaccordés : le correcteur – et surtout sa version féminine, devenue largement majoritaire, la correctrice. (p. 9*)

[...] à l’heure des correcteurs automatiques d’orthographe, j’espère vous convaincre du caractère indispensable de ce drôle de zèbre en voie d’extinction qui est en même temps le gardien de zoo de la langue française : le correcteur à deux pattes. (p. 9*)

Il faut reconnaître que les relations amoureuses prépubères, à la différence de l’orthographe, ont beaucoup gagné en efficacité depuis l’invention du SMS. (p. 17*)

C’est cela, le métier de correcteur : modeste, indispensable et… vain. (p. 47*)

Il fut un temps, paraît-il, où les éditeurs poussaient l’amour de la belle ouvrage jusqu’à faire effectuer trois lectures consécutives de leurs manuscrits. (p. 52*)

Les correcteurs souffrent de cette malédiction : ce n’est que lorsqu’ils ne sont pas là que l’on s’aperçoit qu’ils manquent. (p. 56*)

Néanmoins, il vaut mieux, encore un paradoxe, que le correcteur soit doté d’un solide ego, pas du genre envahissant, juste du genre qui n’a pas besoin de lauriers pour être satisfait. En effet, jamais il n’entendra : aucune faute dans cet article, bravo ! En revanche, sur un texte qui comporte vingt fautes d’accord et d’orthographe, aucune ponctuation, dans lequel les siècles sont tout emmêlés, on lui rappellera éventuellement qu’il conviendrait qu’il s’active un peu, vu qu’on boucle dans un quart d’heure – sachant que la seule chose qui se remarquera ensuite sera l’unique erreur oubliée dans la précipitation.
Pierre Assouline, dans son article, s’amuse à détailler « les éléments constitutifs de la névrose du correcteur : sens hyperbolique du détail, obsession de la vérification, goût pathologique de la précision, maniaquerie en toutes choses ».
(p. 106*)

La qualité subsidiaire du correcteur est une vraie gentillesse, une véritable bienveillance, un profond amour du verbe et de ceux qui le manient. Il doit aimer les mots, aimer la difficulté de la langue, aimer aussi les erreurs – d’autant qu’il n’est pas lui-même à l’abri d’en commettre… (p. 110*)

En somme, le correcteur est un étonnant mouton à cinq pattes. Dans l’idéal, il sera humble, discret et efficace comme une femme de ménage, capable de défendre bec et ongles la langue tout en suivant et en acceptant ses évolutions, savant comme un dictionnaire, érudit comme France Culture, fidèle comme un chien d’aveugle, psychologue comme pas deux, diplomate comme tout le Quai d’Orsay réuni et polyglotte comme Nelson Monfort. (p. 110*)

Voltaire : « Clément Marot a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages ! » (p. 113*)

Vous êtes maniaque de rectitude graphique, autrement vous ne devenez pas correcteur. Mais une fois que vous êtes correcteur, vous vous entraînez à devenir encore plus maniaque.(p. 129*)

Il m’arrive parfois – rarement – d’être arrêtée dans mon travail par l’étrangeté de la tâche que j’accomplis, la disproportion entre le point de détail sur lequel je m’escrime et la dimension tragique de l’événement dont il est question. Voilà une chose qui ne m’arrive jamais quand je corrige une page culture : là, l’orthographe, la typographie, l’élégance, le plaisir du texte font comme partie intégrante du sujet traité. (p. 137*)

Je me suis attachée à la convaincre que c’était d’elle et de ses collègues sculptrices que dépendait l’avenir du nom de leur métier. Les dictionnaires n’en ont pas encore décidé, justement parce que l’usage est fluctuant. Pour Larousse.fr, sculpteur est ainsi un nom masculin – on devrait donc dire une femme sculpteur –, exemple : « La sœur de Paul Claudel, Camille Claudel, fut un grand sculpteur. » Le mot « est parfois employé au féminin : une jeune sculpteur […]. La forme sculptrice existe ; bien qu’en accord avec la tendance actuelle à féminiser les noms de métiers, elle reste rare ».
[...] Bref, sculptrices, sculpteuses, la balle est dans votre camp. Dans une dizaine d’années au maximum, sans doute, l’une des deux formes sera entérinée. En attendant, l’usage flotte, et les correcteurs défenseurs d’
autrice et de sculptrice sont capables d’argumenter un quart d’heure pour essayer de convaincre ceux d’auteure et de sculpteuse. (p. 148)

Le rôle de la ponctuation consiste à prendre le lecteur dans ses bras pour le mener « dans le tango de pauses, d’inflexions, de continuités et de connexions que transmet la langue parlée », résume poétiquement l’éditeur américain Thomas McCormack dans
The Fiction Editor, the Novel, and the Novelist. (p. 154*)

« Enlevez-moi tous ces points d’exclamation, s’énerve de son côté (sans le moindre point d’exclamation, notez-le) Francis Scott Fitzgerald. Un point d’exclamation, c’est comme rire de ses propres plaisanteries. »
La surutilisation actuelle des points d’exclamation dans les messages publicitaires ne peut que lui donner raison. Leur nombre, combiné à celui des majuscules, compte même, m’a expliqué mon fils – vous ai-je raconté qu’il est devenu une sorte de sorcier de l’Internet ? –, au nombre des indices qui font classer un message dans la bannette de courrier indésirable par les hébergeurs de courriel
.(p. 159*)

*sur ma liseuse

Muriel Gilbert - Au bonheur des fautes. Confessions d'une dompteuse de mots (Vuibert, 2017)

Commentaires

  1. Chouettes passages, j'espère qu'ils donneront envie de lire tout le livre!

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    1. J'espère aussi... en tout cas, c'est dans cette optique-là que je me donne la peine de faire ces pages "Extraits".

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    2. Comme Keisha, je trouve que les passages donnent envie de lire tout l'ouvrage. C'est une drogue, la correction de texte. Je connais quelqu'un qui en lisant un livre a le crayon papier à la main. Et en ce qui me concerne, je suis consternée par les fautes de plus en plus nombreuses que l'on trouve en lisant des mails. Les gens ne se relisent pas, moi la première. Bonne journée.

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    3. J'ai plus d'indulgence pour les fautes d'inattention que pour les réelles fautes d'orthographe/syntaxe ; écrire un mot dans l'urgence, l'envoyer sans l'avoir relu et y laisser des fautes de frappe ou même une faute, ça arrive à tout le monde. Comme tu l'avoues, on ne prend pas toujours le temps de se relire avant d'appuyer sur le bouton "envoyer".
      Là où ça me pique les yeux et où ça me navre vraiment, c'est d'en trouver là où elles ne devraient pas se trouver : la presse (écrite, parfois; web, trop souvent; tv, de plus en plus souvent et même radio !) et les livres.

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