Récap de septembre 2020

 

Tiffany McDaniel - Betty (Knopf, 2020)
Peter Cameron - What happens at night (Catapult, 2020)
Franck Maubert - Avec Bacon (Gallimard, 2019)
Arnaud Dudek - On fait parfois des vagues (Anne Carrière, 2020)
François David & Henri Galeron - Nom d'un chien (Møtus, 2020)
Paul El Kharrat - Ma 153e victoire (HarperCollins, 2020)
 
Andrew O'Hagan - Mayflies (Faber & Faber, 2020)

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Tiffany McDaniel - Betty (Knopf, 2020)
LE livre événement de la rentrée, publié simultanément aux États-Unis et en France (dispositif habituellement réservé aux best-sellers internationaux). Un pavé de plus de 700 pages et une pluie continue d’éloges plusieurs semaines avant la sortie du roman parmi les privilégiés qui l’avaient lu en avant-première ; un accueil tout aussi chaleureux des semaines encore après de la part des lecteurs qui étaient allés en librairie. Je n’ai pas pu résister à l’appel de Betty.
Betty, c’est une petite fille volontaire, indépendante, volontiers rebelle face à l’injustice et à la place réservée aux femmes dans la société, qui trouve son salut dans l’écriture. Écrire pour conjurer ; écrire pour dénoncer ; écrire pour crier ; écrire pour survivre.
Récit d’apprentissage et d’héritage au sein d’une famille dysfonctionnelle aux lourds secrets, miséreuse et victime du racisme ambiant, Betty est un roman-fleuve d’une noirceur épaisse sur laquelle se détache la figure lumineuse d'un père aimant.
Si j’ai été happé dès les premières pages par la langue poétique de Tiffany McDaniel, je dois avouer que j’ai peiné à terminer ma lecture : j’avais hâte que cesse enfin le déluge de malheurs qui s’abattent sur chacun des membres de la famille (et quand on sait que la fratrie compte déjà cinq enfants toujours vivants...). L'aspect systématique m'a laissé un goût de "too much", a fini par me lasser sur le long cours et gâcher mon plaisir : seule une sorte de curiosité sadique ravivait mon intérêt ("A qui le tour ?", un peu comme à la lecture de Ils-étaient-Dix-petits-nègres, d’A. Christie). Sans doute l’état d’esprit qui était le mien quand j’ai lu le roman n'a fait qu'exacerber ce travers. 
Il n'empêche que malgré tout,  je conserve de ce roman le souvenir de personnages magnifiques : Landon Carpenter, généreux et lumineux ; la "Petite Indienne", courageuse et volontaire ; Lent, sensible et émouvant.
Extraits
    

 
Peter Cameron - What Happens at Night (Catapult, 2020)
Après un éprouvant voyage en train, un couple arrive dans ce qui m’a semblé être une ville d’Europe de l’Est (j'ai pensé ensuite pour la Finlande, mais je n'ai jamais su exactement où se passait l'action), pour chercher l’enfant qu’ils doivent adopter et ramener chez eux. Dans l'immense hôtel quasi-désert où ils résident le temps que soient réglées les formalités, l’homme et la femme (jamais autrement désignés que par The man, The woman) vont faire la rencontre de personnages étranges et excentriques. Dans le même temps, leur démarche d’adoption est plus compliquée que prévue et va les mener, dans un paysage morne enseveli sous la neige, de mésaventures en déconvenues et mettre en péril la solidité précaire de leur couple.
Quel étrange roman que celui-ci, récit du délitement d’un couple en fin de parcours mais aussi de la paternité, si différent de tous ceux de Peter Cameron. Ce qui marque avant tout c’est son atmosphère si particulière, une histoire kafkaïenne entre rêve et cauchemar, où la réalité n’est jamais tout à fait celle que l’on est en droit d’attendre, banale mais toujours menaçante et inquiétante.
Là encore, malgré mon empressement à retrouver Peter Cameron, je n’étais pas dans les meilleures dispositions pour apprécier pleinement ce nouveau roman pourtant énigmatique et déstabilisant à souhait.
Extraits


 
Franck Maubert - Avec Bacon (Gallimard, 2019)
Comme pour beaucoup (dont je suis), la découverte de l’œuvre de Francis Bacon a été pour Franck Maubert un choc esthétique et émotionnel intense. À tel point que, dans les années 1980, alors jeune journaliste, il se paie le culot de contacter la galerie britannique qui représente le peintre pour solliciter une interview. Et ça marche ! Bacon lui donne rendez-vous dans son atelier de South Kensington, à Londres. Cette rencontre sera la première d’une longue amitié ponctuée d’échanges téléphoniques, de beuveries dans les pubs londoniens, de virées dans les bars et restaurants parisiens.
Ce sont tous ces moments qu’il retrace dans ce bref récit, entre émotion et admiration. Une incursion dans l’intimité de ce monstre sacré qui donne à voir un artiste certes tourmenté mais bien plus humain et charmant que le veut sa légende.
Arnaud Dudek - On fait parfois des vagues (Anne Carrière, 2020)
Ce n’est pas une vague mais un tsunami qui se fracasse sur Nicolas, quelques jours seulement après son dixième anniversaire : ses parents lui apprennent qu’il est né d’un don de sperme... et que, donc, son père n’est pas son père biologique.
Une fois la tasse bue, son souffle repris et ses poumons réoxygénés, il lui faut se construire avec cette nouvelle réalité branlante, composer avec l'existence de ce nouveau père inconnu alors que les relations avec celui qu’il considérait comme tel jusque-là ne cessent de se distendre. L’obsession de Nicolas pour ce père inconnu est de plus en plus forte, si bien qu'à la trentaine, il part sur les pas de son père biologique dans une recherche qui s'annonce compliquée puisque le don de gamètes est protégé par l’anonymat.
Un texte court et rythmé. Des instants de vie, rien d’exceptionnel, saisis sur le vif. Un ensemble de petits riens qui font une existence, retranscrits avec justesse et retenue. Une histoire émouvante qui ne dit que l’essentiel, surtout dans ses non-dits, avec une légèreté qui pose un voile pudique sur la vraie gravité de son sujet : la paternité, la filiation, la famille, l’amour. 
Un roman qui cache bien son jeu, bien plus profond qu’il n’en a l’air.
Extrait


 
François David & Henri Galeron - Nom d'un chien (Møtus, 2020)
Depuis toujours, les chiens ont ma préférence sur les chats. J’ignore si c'est également le cas pour François David et Henri Galeron, mais une chose est sûre, dans cet album, ils rendent un bel hommage au meilleur ami de l’homme.
Du tandem, François David est celui qui jongle habilement avec les mots pour en faire des poésies pleines d'humour, tandis que sur la page qui fait face, Henri Galeron sublime les différentes races de chiens dans de superbes illustrations noir et blanc, à peine rehaussées d'une touche de havane.
Un bel album malicieux pour les plus jeunes... et pour tous les amoureux des chiens.
Paul El Kharrat - Ma 153e victoire (HarperCollins, 2020)
S’il m’arrive d’en regarder à l’occasion, je ne suis pas un adepte des jeux télévisés. Pourtant, quand au détour d’une conversation mes parents (à qui je n’ai rien dit de mon diagnostic de TSA) ont évoqué la présence d’un jeune et brillant candidat autiste aux Douze Coups de Midi, la curiosité a été la plus forte. Le week-end suivant, j’étais au rendez-vous pour voir le « phénomène ».
Et si ce gamin de même pas 20 ans m’a bluffé avec ses connaissances et sa mémoire prodigieuse, c’est l’autiste qui m’a ému. Sa spontanéité, sa franchise, sa candeur m’ont touché. Mais ce qui m’a troublé aussi, c’est qu’aussi différents qu’on soit, je lisais en lui et il me renvoyait à moi. Je sentais quand il commençait à fatiguer de devoir gérer en plus de sa concentration tout le bruit, les lumières et l’agitation propres à ce type d’émission ; je décelais dans ses mimiques parfois presque imperceptibles combien il rageait contre lui d’avoir mal répondu juste parce qu’il n’avait pas compris correctement la question alors qu’il connaissait la réponse… Je me suis ainsi retrouvé à suivre en replay le parcours de Paul... jusqu’à sa défaite. (ce qui est à peine croyable pour qui me connaît)
Au fil des émissions, j’ai vu comment il gagnait en assurance, combien les signes de son autisme s’effaçaient et comment il se laissait même aller à quelques traits d’humour. C’en était presque fascinant d’assister en quasi-direct à la métamorphose de ce gamin qui avait l’air de plutôt bien gérer cette aventure et l’exposition médiatique qui allait avec.
Tout ça pour dire combien j’étais curieux, quand la sortie du livre a été annoncée, d’entendre de la bouche du plus jeune gagnant du jeu comment il avait vécu cette période de l’intérieur. Quiconque a suivi l’émission n’apprendra rien de neuf sur son parcours personnel et familial, ce qui est déjà largement suffisant en ce qui me concerne. Ce n'était pas ce que je venais chercher dans ce livre, mais plutôt comment l’autiste a vécu cette expérience qui dans l’absolu est l’antithèse de ce qui convient à sa nature ; j'attendais qu’il me fasse entrer dans sa tête et dans son corps, qu’il me fasse partager ce qu’il ressentait au plus profond de lui. Malheureusement, le résultat n’est qu’un objet promotionnel sans émotion, formaté et lisse, aux antipodes de ce que l’intéressé a laissé voir au cours de ses 152 participations au jeu. C'est bien simple : les remerciements sont le seul moment où j’ai retrouvé la "voix" de Paul qui méritait mieux que ça.

Commentaires

  1. Comme c'est intéressant tout ça ! J'ai lu avec intérêt ce que tu dis de ce jeune autiste asperger et ce que le livre reflète ne m'étonne guère malheureusement. Tu n'as pas été convaincu par Betty que j'ai adoré... bon bah tant pis ! Ceci dit, je comprends ton agacement parce que je me suis dit moi aussi à un moment "mais quand cela s'arrêtera-t-il ?"... sans perdre mon enthousiasme pour ce roman. Le Dudek me tente depuis un petit moment... tu confirmes.
    Merci pour ce billet !

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  2. J'ai aimé Betty et j'en garde de bons souvenirs mais, pour les raisons que j'ai exposées, ça n'a pas été le coup de cœur absolu et inconditionnel que tout le monde semble avoir eu pour ce roman.
    Si tu aimes les histoires simples, sans effets de manche, qui te fauchent sans que tu le voies venir, fonce sur le Dudek. Si tu ne les as pas déjà consultés, les avis de Brice et de Delphine Olympe pourront peut-être finir de te convaincre.😌

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  3. Je ne lirai pas le livre de Paul, sans doute formaté par la maison d'édition et ce que tu dis de la vraie personne est bien plus touchant et me donnerait presque envie de regarder l'émission ( c'est dire ... ). J'ai Betty et le Dubeck qui m'attendent mais le Cameron , je ne suis pas tentée du tout par l'atmosphère kafkaïenne, du tout, du tout ...

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    1. Paul a réussi l'exploit de me faire suivre son parcours, tu vois comment il est fort ! 😄 Mais le bouquin est sans intérêt et sa lecture dispensable.
      Je ne suis pas fana non plus des ambiances à la Kafka, mais ce que Cameron dit dans ce roman du couple, de la fin d'un amour, de l'envie et la non-envie d'être parent est suffisamment puissant pour que je passe outre.
      Tiffany McDonald & Arnaud Dudek, deux univers distincts, une même figure centrale : le père et deux belles lectures à venir, pour toi, je l'espère.

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  4. Tu pointes chez Betty exactement ce qui m’a retenue, compte tenu des échos que j’en avais eus ! J’attendrai de pouvoir le lire en bibliothèque.

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    1. Tes sources sont meilleures que les miennes car je n'avais lu que des retours extatiques avant de me lancer dans ce roman. Et encore maintenant, à part un commentaire sur IG suite à ce post, les gens sont majoritairement super emballés.
      La mule aurait été moins chargée, ça aurait été un énorme coup de cœur car j'ai vraiment aimé le style de l'auteur et la plupart des personnages sont vraiment intéressants.

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  5. Ça me rassure presque, ce bémol sur le Tiffany McDaniel, c'était un peu surnaturel, ce déluge d'éloges... ce qui n'empêche pas que j'ai toujours envie de le lire...

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    1. Que cela ne t'arrête surtout pas de le lire ! Ce roman a tellement d'autres qualités. Jusqu'à la moitié du livre, j'étais au moins aussi enthousiaste que le reste de lecteurs.
      Et si la petite Betty ne manquera pas de te séduire, son père, Landon Carpenter, risque fort de marquer ta mémoire pour longtemps.

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    2. Eh bien moi je n’ai pas envie de le lire ce Betty tout le monde en parle trop. Remarque je dis ça et si ça se trouve dans 3 jours ça le pète et je le lis ...

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