Il est pris dans d’inextricables contradictions. Il y a lui, son personnage, le public, la religion...

Carl Fischer - Muhammad Ali, for Esquire Magazine, April 1968

 

Nous faisons de la radio. Nous créons des images et des visages avec des sons et des mots. (p. 06*)

Il n’est pas ouvertement question – pas encore – de race ou de politique, mais d’orgueil, de fierté. Une force de vie d’une rare intensité, d’une rare assurance, émerge. Son corps danse sur le ring. Sa bouche déborde de mots. (p. 08*)

Les quartiers noirs tendent l’oreille aux provocations arrogantes de ce jeune frère sans peur. La jeunesse blanche tendance hippie aussi.
(p. 10*)

Qu’ont-ils à perdre ? La boxe tue moins que la rue, que les flics, elle est un sanctuaire, un théâtre plus protecteur que la vie, elle offre des bonheurs de quelques minutes, des titres de gloire de quelques mois, des dollars comme s’il en pleuvait. Et la sensation d’un combat pour une fois à armes égales. Alors les soirs de combat, les postes de radio sont allumés presque partout dans les villes américaines, ils grésillent sous les porches, dans les cuisines comme dans les bars, que le quartier soit noir ou blanc. Les uns y puisent revanche et fierté, les autres spectacle et défoulement. La boxe reste un concentré de ce maudit et violent pays.
(p. 11*)

Les vieux chroniqueurs de la boxe ne l’aiment pas. C’est le cinquième Beatles… dit l’un d’eux. Quoique non, les Beatles ne racontent pas autant de salades, ajoute-t-il. Sans compter ceux qui murmurent qu’il doit être pédé, avec sa belle petite gueule, ses peignoirs en satin et la vaseline dont il s’enduit le corps. (p. 13*)

Dundee le suivra jusqu’à son ultime combat. Il s’habituera, finira par comprendre que le verbe fait partie de l’alchimie, que Cassius parle à lui-même autant qu’aux autres. (p. 14*)

C’est l’époque où l’on écrit pour être lu le lendemain, pas dans l’heure qui suit. (p. 20*)

Malcolm X n’aime pas la boxe. Mais il aime Ali comme un jeune frère turbulent, plus optimiste que lui, il pressent qu’il peut rayonner bien au-delà des rings, qu’il peut l’aider. (p. 25*)

Quand il ne hurle pas qu’il est le plus grand, Cassius Clay posé sur le bord du ring ouvre la bouche. Aucun son n’en sort. C’est comme un rugissement silencieux à la face de ceux qui l’ont sous-estimé. Est-ce du spectacle ? Est-ce un cri ? Les deux. Il faut les deux. Le cri serait inaudible sans le spectacle. Il le sait. Cri silencieux qui fait le bruit d’un hurlement. Dans cette gueule-là, il y a lui et les générations passées. Il n’est pas que lui-même, il est les autres, une longue histoire. (p. 39*)

« Pourquoi vous me cherchez des noises ? Je ne fornique pas, je ne bois pas, je ne fais pas les quatre cents coups, je ne suis pas un mauvais type. Mais je sais que dans la vie comme dans la jungle, les oiseaux bleus restent entre eux, les oiseaux rouges restent entre eux et les lions aussi. Je ne tiens pas à aller où on ne veut pas de moi. » En gros, il a pris parti contre les droits civiques et contre la lutte pour l’abolition de la ségrégation en Amérique. Il a continué dans cette veine : « Pourquoi avez-vous si peur des Black Muslims ? Ce sont des gens très polis qui restent chez eux et n’essayent pas de se mêler aux personnes comme vous. » Nous étions presque tous des hommes blancs, bien entendu. Il a ajouté : « Je n’ai pas à être celui que vous souhaitez que je sois. Je suis libre d’être qui je veux. » (p. 40*)

Il y a souvent un gosse effrayé au début d’un champion de boxe. (p. 45*)

À Rome, il décrocha une médaille d’or, il trouvait que Cassius Marcellus Clay ça sonnait comme un nom de gladiateur romain et il avait poliment rembarré le journaliste soviétique qui lui faisait remarquer que les Noirs avaient la vie dure dans le monde prétendument libre. C’est le pays de la liberté, les choses vont s’arranger, avait-il répondu en bon patriote.
Mais les villages olympiques sont en carton. Et quelque chose se grippa dès son retour. Louisville le célébra sans qu’aucune ligne ne bouge. Il restait un Nègre. Sa médaille d’or fondait à vue d’œil.
(p. 82*)

C’est à la fois excitant et une épreuve de se connecter au site du FBI pour consulter les rapports rendus publics. Une succession de paragraphes répétitifs, à l’encre sale, aux multiples coups de tampons, aux noms biffés par respect d’une promesse d’anonymat faite au délateur. C’est un vieux puzzle aux pièces manquantes fait pour vous perdre, laisser voir et au fond ne rien révéler. (p. 111*)

Ali lui a tourné le dos et peu après, Malcolm a été assassiné. La question reste posée. S’il était intervenu ou qu’il avait insisté pour que Malcolm soit protégé, cela aurait-il changé quelque chose ? On ne le saura jamais. (p. 115*)

La grande majorité des Noirs étaient des chrétiens convaincus. Nous avions grandi dans un milieu profondément chrétien, pour la plupart. L’islam était présenté comme une alternative au christianisme. On opposait le christianisme, religion des esclavagistes, à l’islam, qui était celle des émancipateurs, dans ce pays. (p. 128*)

Il est pris dans d’inextricables contradictions. Il y a lui, son personnage, le public, la religion, ça s’entend quand on écoute ses interviews d’alors. (p. 134*)

Le sport est avec le Christ et le dollar l’une des trois religions américaines. Alors le pays absorbe ses victoires, les fait siennes, s’enfonce dans l’amnésie et s’absout de tout le reste… (p. 194*)

*sur ma liseuse

Judith Perrignon - L'insoumis. L'Amérique de Mohammed Ali (Grasset, 2019)

Commentaires

  1. un récit de vie qui ne m'attire pas plus que ça pourtant ce que tu en dis a l'air fort intéressant.

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    1. J'ai trouvé ce récit intéressant parce qu'il dépasse, justement, le seul portrait (pourtant complexe) de Mohammed Ali pour parler du racisme, de la ségrégation et de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux USA à cette époque. La boxe serait presque anecdotique...

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