(Hyper-)réalistes, les autistes ont les pieds sur terre. Il leur manque la joie mais aussi les inconvénients de nos illusions.

Notice de montage KLEPPSTAD Armoire 3 portes (pages 10-11) - IKEA
 

Les personnes atteintes d’autisme manquent de cohérence centrale. Le traitement des perceptions se fait différemment. […] Cette autre façon de traiter les infirmations se caractérise par la prise en considération de perceptions isolées et non par la recherche d’une cohésion. […] Chaque détail est séparé des autres et a son propre sens. (p. 26)

Les personnes atteintes d’autisme vivent dans un « multivers » [opposé à « univers »] : un monde fait d’innombrables détails sans relation les uns avec les autres et n’ayant chacun qu’un seul sens : leur sens littéral. (p. 28)

[…] les êtres humains sont des esprits plutôt dynamiques et le sens du comportement humain dépend souvent du contexte. C’est pourquoi pour les personnes autistes, les individus sont plus surréalistes et plus difficiles à cerner que les objets. Le monde des objets est plus unilatéral, plus prévisible et plus concret. […] les gens sont trop incompréhensibles, trop imprévisibles et donc trop dangereux. (pp. 31-32)

[…] les personnes atteintes d’autisme, tout comme d’autres personnes handicapées, cherchent à compenser leurs manques. Ces stratégies de compensation n’arrivent cependant pas à leur permettre de participer réellement à la vie de notre société, et ceci malgré le caractère créatif et original de la pesée autistique. C’est la raison pour laquelle l’autisme est un handicap. (p. 32)

Les personnes atteintes d’autisme ne connaissent que la perception concrète. Ces sont des
individus concrets : ils prennent pour vrai ce qui est matériel, visible et tangible. Relations et cohésion par contre ne sont pas visibles. Elles sont abstraites. […les personnes atteintes d’autisme] sont aveugles d’un point de vue relationnel. (p 37)

Pour les personnes atteintes d’autisme, les situations sociales sont des devinettes indéchiffrables parce que :
- le sens des stimuli sociaux est invisible et implicite ;
- ce sens change continuellement selon les différents contextes.
(p. 37)

Pour comprendre l’objectif du comportement d’un autre individu, il faut savoir se mettre à sa place. […] Nous avons acquis spontanément ce savoir qualifié par les professionnels de
theory of mind (théorie de l’esprit). […]
Parce qu’elles ne peuvent attribuer une signification cohérente aux situations sociales, les personnes atteintes d’autisme ont des difficultés à entrer e contact avec les autres. Et ce sont principalement les règles et les aspects invisibles de l’interaction humaine qui constituent pour elles une énigme.
(p. 49)

C’est ce qui n’est pas dit qui pose aux personnes atteintes d’autisme le plus grand problème de communication. Car ce qui n’est pas dit est invisible, n’est pas concrètement perceptible. Il se trouve dans le contexte. […] Les personnes atteintes d’autisme manquent d’informations pour créer un ensemble cohérent parce qu’elles ne cernent pas (aussi vite que nous) la cohérence. (p. 66)

Beaucoup de leurs comportements sont régis par des détails, d’où une certaine rigidité dans leur façon de se comporter. Pour définir cette rigidité, différentes dénominations existent : rigidité, résistance aux changements, comportements stéréotypés, ritualisation. Ce sont différentes expressions ‘un même problème : celui de la souplesse de généralisation. En fait, il s’agit d’un double problème car il peut y avoir manque autant qu’excès de généralisation. (p. 74)

Le monde dans lequel vivent les personnes atteintes d’autisme ressemble à une bibliothèque ans classement. Ces détails doivent rester inchangés parce qu’il n’y a pas assez de cohérence et d’ordre. (p. 77)

[…] les notions de vrai ou de faux, de juste ou d’injuste dépendent de règles ou de la logique. Les personnes atteintes d’autisme peuvent souvent dire si quelque chose est vrai ou faux, juste ou injuste. La justesse et la vérité sont des notions très importantes pour elles. Mais savoir si quelque chose a un sens ou non est beaucoup plus difficile. Le bon et le mauvais sens résultent  de la cohérence des  choses et des évènements. La cohérence découle de la découverte de l’intention. Et cette cohérence est insaisissable en termes de logique.
C’est pourquoi l’autisme n’est pas seulement un problème lié à l’attribution de significations. C’est aussi un problème lié à l’attribution de sens.
(p. 84)

Les personnes atteintes d’autisme ont beaucoup plus de travail que d’autres pour prendre des décisions. Donc elles ont besoin de plus de temps. Décider, c’est sélectionner, choisir ce qui est important, sensé ou utile et ce qui ne l’est pas. […] Si elles doivent décider ou choisir, elles se verront confrontées à toutes sortes d’options, et parmi elles, celles que les « penseurs cohérents » auront éliminées par avance parce qu’elles n’entraient pas dans le contexte. (p. 97)

À cause de leur (hyper-)réalisme, les personnes autistes ont, beaucoup plus que nous, les pieds sur terre. Il leur manque la joie mais aussi les inconvénients de nos illusions. (p. 105)

Mis à part le handicap intellectuel de beaucoup d’entre eux, nous pouvons donc admettre que les individus autistes ne sont pas moins intelligents, mais qu’ils ont une autre forme d’intelligence. Ils ont un autre style de pensée. Les êtres sans autisme voient plutôt les arbres (l’ensemble). Les personnes souffrant d’autisme voient plutôt les arbres (les éléments qui constituent l’ensemble). Les personnes autistes ressentent donc la réalité
autrement. Ceci leur occasionne beaucoup de stress et de désavantages mais dans certains domaines, elles excellent par rapport à leurs proches non autistes. (p. 106)

[…] les individus autistes avec une intelligence moyenne ou supérieure ont un peu plus de possibilités de compenser que ceux qui ont un handicap intellectuel. Dans le premier groupe, on reconnaît moins facilement l’autisme. En effet, dans certaines situations, ils se conduisent « normalement » ou savent comment se tenir parce qu’ils peuvent suffisamment compenser leurs manques. On surestime souvent les capacités des personnes atteintes d’autisme d’intelligence normale. (p. 109)

Nous pouvons apprendre aux personnes atteintes d’autisme beaucoup de connaissances, de règles de comportement mais finalement ce sera toujours « une attelle sur une jambe de bois ». L’autisme, autre façon de penser, compréhension non intuitive de la cohérence, conservera toujours son influence. (p. 118)

Un handicap est toujours une donnée sociale. Il est plus que le manque ou le trouble seul. C’est le trouble en combinaison avec l’environnement social.  Un trouble moteur n’est pas nécessairement en lui-même un handicap. Il ne devient handicap que dans une société qui suppose de la mobilité. (p. 118)

Autrefois lorsque la vie était moins complexe et pressée, lorsqu’il y avait beaucoup plus de règles – dictées et indiscutables – et lorsque l’ordre social était plus simple (il y avait une hiérarchie évidente où chacun avait sa place), beaucoup [de personnes autistes] pouvaient survivre. Elles semblaient bien un peu étranges mais elles arrivaient à survivre. […] Le fait que notre société soit devenue plus complexe et suive moins de règles fixes fait que les personnes atteintes d’autisme ont un double handicap.
(pp. 118-119)

Peter Vermeulen - Comment pense une personne autiste ?
(2e édition) (Dunod, 2014)

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