Pour créer la lumière, il faut de l’ombre. Pour fabriquer l’Amérique, il faut un ennemi.

Publicité pour le "race movie" The Homesteader (1919)   (source)


Hollywood est une fiction. Et comme toutes les fictions, elle est multiple, changeante, sincère, mensongère. Mécanique décuplée à la fluidité carnassière, elle recèle aussi des gouffres, des fêlures, des arythmies. Entre ses strates rutilantes macèrent des appétits meurtris, marécages épais dans lesquels s'engluent les martyrs du succès. Foudroyés en plein vol, ceux-ci s'abîment dans la plus amère des damnations : l'oubli. (p. 7)

- Quand je regarde ça, j’ai envie d’être un cow-boy, pas un indien. C’est horrible.
- Le pouvoir des images, Maximus. L’emprise insidieuse des récits.
- Vous en savez quelque chose, père Magnani. Toutes ces histoires saintes que vous nous racontez, c’est pareil.
(p. 18)

Le cinéma est un instrument malléable, Maximus. Il se plie à n'importe quel dogme. (p. 19)

- Dans les premiers films que j’ai tournés, au temps du muet, les indiens étaient montrés comme des sages. Ensuite, la grande crise a fait de nous des barbares de fiction…
- C’est comme ça que l’homme blanc raconte ses histoires et devient un héros.
(p. 28)

- Nous serons toujours les sauvages, les démons qu'ils ont spoliés. Ils nous donnent le sale rôle mais ils ont mauvaise conscience.
- Nous colonisons une partie de leur tête. Nous sommes leurs culpabilités, leurs fantômes.
- Aujourd’hui, nous sommes leur utopie.
(p. 29)

[Lana Turner] La MGM a des yeux partout. Elle te surveille, te dresse, te torture à coups de régime et de bistouri, change ton nom et ton passé, te veut sexy à l'écran mais chaste comme une nonne dans la vraie vie. Quand tu signes avec la MGM, tu lui appartiens. Moi, je suis une nègre de studio. (p. 44)

Je veux montrer que nous sommes autre chose que des barbares et des esclaves. Je veux investir cette zone blanche. Je veux l'occuper, la renverser. Je veux qu'elle en redemande. Je ferai tout. Tout ce que les blancs ne peuvent pas faire, je le ferai à ma façon, comme un nègre, comme un jaune, un peau-rouge. Comme un sauvage. (p. 47)

Paradoxe des race movies. Ils ont beau être fabriqués par des noirs, ils sont autant bourrés de clichés racistes que le cinéma blanc. Le héros clair de peau, la mulâtresse tragique, le bouffon foncé, les bandits couleur charbon… Les degrés de moralité se lisent sur le nuancier de la négritude. (p. 59)

Notre grand problème, c’est l’invisibilité. Mais il faut se montrer au bon endroit. Je préfère jouer un vrai métèque dans un bon film blanc qu’un héros pâle dans un film noir. (p. 60)

Ils veulent un héros qui plaise aux blancs et aux noirs. Mais ils ne savent pas trop comment. Est-ce qu’un acteur peut réunir deux publics qui s’affrontent ? Le cinéma peut-il accomplir ce que la société refuse de faire ? (p. 74)

Pour créer la lumière, il faut de l’ombre. Pour fabriquer l’Amérique, il faut un ennemi. (p. 143)

En fait, quand tu réunis tout ce que le code Hayes interdit – la nudité, les déviances sexuelles, l'homosexualité, la violence, l'immoralité, la vulgarité – et que tu le mélanges à la Bible, ça fait un péplum. (p. 159)

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Loo Hui Phang et Hugues Micol - Black-out (Futuropolis, 2020)

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