Récap de mars 2022


Nicolas Mathieu - Connemara (Actes Sud, 2022)
Damon Galgut - The Promise (Europa, 2021)
Alex Schulman - Les survivants (Albin Michel, 2022)

Marin Fouqué - G.A.V. (Actes Sud, 2021)

*    *    *    *    *
 
Les temps sont plutôt compliqués en ce moment. En mars, j'ai mal géré mon stock de cuillères (qui n'affiche toujours pas les 100 % à l'heure où j'écris ces lignes) ; un accident de parcours récurrent, malgré ma vigilance accrue, qui n'a rien d'inquiétant outre mesure, si ce n'est que le moral en fait à chaque fois les frais.
D’où ce bilan (maigre mais d'excellente qualité) que je vous livre avec deux mois de retard. (ça promet pour le mois prochain!!)


Tout a déjà été dit et écrit sur Connemara, quatrième roman de Nicolas Mathieu. Et je pense vous avoir suffisamment saoulé avec mes salves successives de citations.
Pour celles et ceux qui seraient tout de même passés à côté, je me contenterai  de dire que c’est à la fois une fresque sociale et politique, et la chronique nostalgique d’une femme qui dresse le bilan de sa vie intime et professionnelle, s’interroge sur le sens qu’elle leur a donné, sur les choix qu’elle a faits pour y parvenir et les rêves auxquels elle a renoncé. C’est aussi une vision très juste de ces conditions inconfortables que sont l’adolescence et le transfuge de classes.
Sans juger ni se poser en donneur de leçons, Nicolas Mathieu pose sur ses personnages et notre époque un regard lucide et incisif qui ne manque ni de complexité, ni d’ironie.  
Un grand roman. Une belle réussite.
Connemara - Extraits 1 / 2 / 3 / 4
 

0 mariage et 4 enterrements. C’est ce qu’il faut à Damon Galgut pour raconter, sur trois décennies,  les tourments des Swart, famille de fermiers protestants blancs près de Pretoria, et les mutations de l’Afrique-du-Sud depuis la veille de l’abolition de l’apartheid (1986) jusqu’à aujourd’hui (2018).
La plus jeune fille, Amor, sera le fil rouge qui reliera ces quatre jalons de la famille Swart. Mais surtout, elle sera à l’origine des distensions qui vont animer la famille pendant trente ans, Tout ce temps, elle n’aura de cesse que soit légué, conformément à la volonté exprimée par sa mère sur son lit de mort, le cabanon dans lequel la fidèle domestique noire Salomé vit sur les terres familiales. Mais en dépit de la promesse faite par le père d’Amor à sa femme mourante, tous les membres de la famille se refusent à exaucer le vœu de la défunte.
Rancœurs, jalousies, cupidité mais aussi racisme vont se faire jour et déchirer le clan. Valait-il aller jusqu’à la désintégration de la famille pour honorer la promesse de la matriarche ? Dans sa fine analyse des caractères et sa critique des religions, Galgut fait preuve d’un savoureux mordant et d’un humour souvent noir.
En creux, Galgut esquisse le portrait de son pays et la faillite de la fameuse « nation arc-en-ciel » promise avec la fin de l’Apartheid. Il incarne en chacun des enfants Swart les différentes positions adoptées par la population blanche au lendemain du grand changement : le refus pur et simple, la résignation et la volonté de réparation.
La narration est une des forces de ce roman. Chacune des quatre parties (et donc des quatre enterrements) est séparée de l’autre par d’importantes ellipses temporelles. Ce qui donne l’occasion à l’auteur de révéler certains faits qui se sont déroulés entre temps et au lecteur de « remplir » les vides selon son imagination. Aussi, le fil narratif navigue librement des situations rapportées aux voix intérieures des personnages (et même parfois d’animaux) par un narrateur omniscient, qui n’hésite pas à s’interroger ouvertement sur la véracité de certains faits, interpelant même le lecteur par moments.
Si j’avais beaucoup aimé Arctic Summer, j’ai adoré The Promise.
Bonne nouvelle pour qui ne se sent pas de lire dans le texte cet excellent roman (lauréat du Booker Prize 2021, soit dit en passant), la traduction française est publiée aux éditions de L'Olivier.
The Promise - Extraits
 


Trois frères, Benjamin, Pierre et Nils, se retrouvent pour répandre les cendres de leur mère dans le lac qui borde la maison de leur enfance, à la lisière de la forêt.
C’est Benjamin, le plus sensible des trois frères, qui va servir de guide au lecteur et l’introduire dans l’intimité de cette famille suédoise. Au fur et à mesure du récit, on découvre les enfants, leurs personnalités, les relations qu’ils entretiennent entre eux et leur rapport avec leurs parents. Pour ce faire, Alex Schulman alterne présent et retours dans le passé. Mais tandis que le récit de l’enfance des garçons suit une chronologie traditionnelle, le récit de leur retour à la maison du lac est antéchronologique, narré à rebours, de deux heures en deux heures. Le fil narratif se construit donc selon un chapitre dans le présent qui remonte le temps, suivi d’un chapitre dans le passé qui suit le cours du temps. C’est un peu désarmant au départ mais on prend vite le pas.
Ce choix narratif n’est pas qu’un effet de style. Il permet à l’auteur d’installer un suspense, ou plus exactement une réelle tension, en revenant, d’un côté, sur des éléments du passé censés éclairer peu à peu le présent ; en décrivant, d’un autre côté, les retrouvailles des trois frères avant de dévoiler les causes de certains de leurs comportements, apparus comme étranges ou incompréhensibles à première vue.
Car Les survivants est avant tout un roman d’ambiance. Une ambiance d’abord indolente, aux airs de vacances en pleine nature, les garçons s’affairant chacun de leur côté tandis que les parents paressent dans des transats, un verre à la main. Pourtant sous cette surface quasi idyllique pointe une certaine inquiétude ; quelque chose ne tourne pas rond sans qu’on sache dire quoi exactement. Les accès de colère subits et féroces de la mère ? L’évanescence du père ? Les enfants, trop livrés à eux-mêmes ? L’alcool trop présent ? Disputes, cris, rivalités, névroses, violence psychique… il apparaît peu à peu que la famille idéale a tout de la famille dysfonctionnelle.
Le malaise grandit à mesure que le récit avance, tant que l’ambiance devient oppressante, poisseuse. Jusqu’à ce dernier été passé dans cette maison près du lac et à la révélation du drame qui a scellé le destin de la famille, vingt ans auparavant. Une tragédie que les trois frères, chacun à sa façon, ont tenté d’enfouir pour pouvoir continuer à avancer et vivre leur vie.
Les survivants est un beau mais âpre (premier) roman sur l’enfance mais surtout sur la fratrie et la dualité versatile amour/haine qui teinte les relations entre ses membres.  
Une belle découverte que je dois à Marie-Claude.


 
De Marin Fouqué, j’avais beaucoup aimé le premier roman 77.
Je n’ai donc pas hésité quand a paru son second, G.A.V., comme garde à vue, huis-clos prétexte pour ce jeune auteur engagé à la dénonciation des violences policières, du harcèlement et du racisme.
Seulement, après une vingtaine de pages, j’ai jeté l’éponge, lassé de cette succession de phrases très courtes, parfois juste un mot, qui donne au récit son rythme saccadé censé exprimer l’urgence de la situation.
Ça n’a pas marché pour moi ; j’ai trouvé ce procédé non seulement agaçant sur la longueur mais surtout trop artificiel, trop conventionnel (voire même caricatural). Zéro émotion.
J’ai mis le bouquin de côté. J’ai autant détesté ce que je venais de lire que j’avais aimé son premier livre. Peut-être n’était-ce pas le bon moment. Je retenterai l’expérience peut-être plus tard. Une seule certitude, le prochain roman décidera si je persévère ou pas avec son auteur.

Commentaires

  1. Réponses
    1. Si tu as aimé Leurs enfants après eux, tu ne devrais pas être déçue. Perso, j'ai trouvé Connemara encore meilleur et pas du tout caricatural ou donneur de leçons comme j'ai pu le lire parfois sur certains blogs.

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  2. Je viens de lire et comprendre cette théorie des cuillères... C'est parlant, et j'aurais été contente de la connaître quand j'enseignais.
    En tout cas, tes lectures peu nombreuses sont de qualité. Bon mois de mai !

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    1. En fait, ce qui est encore compliqué pour moi, c'est de jauger le matin, si je pars ou pas avec la totalité de mes cuillères pour la journée.
      Sinon effectivement, la qualité des lecture de mars a été inversement proportionnelle à leur quantité : deux beaux coups de cœur et une très belle lecture. Je te les recommande chaudement toutes les trois.

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  3. la théorie des cuillères, quelle excellente idée ! merci pour l'info. Moi, je croule sous le boulot, du coup, rien publié, et rien lu depuis un bout de temps ! donc ça fait du bien de voir que d'autres ont lu et ont aimé leur lecture. Je note les deux derniers, je ne lis pas assez de romans sur l'Afrique du Sud et la Suède, je suis toujours invariablement attirée par ces pays .. merci ! bon mois de mai :-)

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    1. Le roman suédois tu pourras éventuellement le trouver chez le Caribou 😉 C'est à elle que je dois cette découverte.
      J'ai l'impression que les affaires reprennent chez les uns et les autres ; ici aussi, le boulot afflue (ce qui explique en partie la carence de cuillères). Bon courage !

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  4. Tu m'as emmenée sur un chemin de traverse dès le début de ton post : j'ai accepté auprès d'une maman enseignante de prendre sa fille (23 ans) autiste Asperger comme bénévole, à qui je confie plutôt des missions de stagiaire. J'ai peur de lui demander trop, de ne pas savoir faire comme il faudrait : de l'article sur les cuillères je suis passée au blog puis etc. vaste domaine à explorer !
    La promesse vient d'arriver en français dans mes rayons, Connemara et GAV y son déjà, et je note les survivants : si le temps était élastique, la vie serait formidable :-)

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    1. J'espère que cette "expérience" vous sera bénéfique à toi comme à ta nouvelle bénévole. Si elle est à l'origine de la demande que t'a transmise sa mère et que vous avez un bon dialogue franc et ouvert, ça devrait bien se passer 😀.

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