Mother's Boy - Patrick Gale


 
Devon, 1914.
D’extraction miséreuse, Laura a été placée au service d’une famille cossue. Une chance pour la jeune fille dont les parents sont à l’hospice puisqu’ainsi gîte et couvert lui sont garantis dans une atmosphère plutôt plaisante. C’est là qu’elle fait la connaissance de Charlie, qui lui aussi fait partie du personnel de la maisonnée.

Peu de temps après leur mariage et leur installation en Cornouailles, Charlie est envoyé en France, sur le front. Pour subvenir à ses besoins, Laura va devenir blanchisseuse pour le compte de familles aisées, parcourant chaque jour les rues du village pour déposer chez ses clientes les vêtements lavés et repassés en échange de linge sale à nettoyer, comme sa mère avant elle.
La naissance d’un fils, Charles, conçu à l’occasion d’une des rares permissions de son époux, bouscule à peine le cours de ses laborieuses journées. La jeune femme chérit les heures passées en compagnie de cet enfant qui comble amplement l'absence de son époux. Tout le temps que va durer la guerre, Charles sera sa seule compagnie, sa seule préoccupation, le centre de son univers.

Peu de temps après son retour des tranchées, Charlie, déjà fortement affaibli, finira par succomber à la tuberculose. Devenue veuve, Laura se retrouve seule – à nouveau – pour élever Charles, qui va se révéler être un enfant sensible et réservé, toujours à l’écart des garçons de son âge. Laura n’aura de cesse d’encourager les talents de son fils pour le piano et l’écriture, dans lesquels elle voit le moyen pour lui de s’extirper de sa misérable condition sociale et d’échapper à l’esprit étriqué et aux potins de son village.

Alors qu’éclate la 2e guerre mondiale, Charles s'engage dans la marine où il intègre une équipe chargée de transmettre et réceptionner des messages radio tactiques codés.
Lors de ce qui est certainement la période la plus traumatisante de son existence, marquée par les dangers et les fureurs de la guerre, à des années-lumière de son village cornouaillais, Charles va goûter à la liberté, entrevoir le monde au-delà des limites de ce qu'il connaît et se révéler à lui-même. Pourtant, une fois le conflit terminé, il s’en retourne vivre auprès de sa mère, et devient enseignant dans la modeste école primaire de son village où lui-même a été élève.


Qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune homme discret mais brillant à tourner le dos à un destin prometteur pour aller s’enterrer vivant dans un village perdu des Cornouailles qu’il ne quittera plus jamais jusqu’à sa mort ?
C’est à cette question que répond Patrick Gale en retraçant dans Mother’s Boy la vie du poète Charles Causley,  biographie romancée, fruit d’un sérieux travail de documentation de la part de Gale, admirateur de Causley et mécène du Charles Causley Trust.
Avec toute la délicatesse et l’élégance qu’on lui connaît,  Patrick Gale s’est employé à combler les trous laissés, volontairement ou non, dans les archives. Dans une note en fin d'ouvrage, l’auteur prévient “s’être payé le culot d’avoir recours à la fiction et aux suppositions pour combler les lacunes de certains événements passés sous silence par souci de discrétion”.* 

Dans Mother’s Boy, Gale explore le lien unique, l'amour puissant et réciproque, qui unissait Charles et Laura. Il dresse le portrait de cette mère courage qui, toute sa vie, a voué à son fils un amour inconditionnel, protectrice jusqu’à l’excès envers celui qu’elle pressent très tôt comme “à part”, différent des autres enfants, et qui prendra dans son existence toute la place laissée vacante par le décès de son mari.
Elle-même peu éduquée, Laura a très rapidement mesuré l’intelligence hors du commun de Charles. Tout au long de leur cohabitation, elle s’efforcera jusqu'à la fin de sa vie, de lui ménager l’espace nécessaire pour qu’il s'épanouisse dans l’écriture de ses poèmes, sans jamais essayer de s'immiscer dans le secret des longues heures de solitude passées dans sa chambre où il se retirait pour écrire.

 
Non seulement jusqu’alors Charles Causley m’était totalement inconnu mais, avant de me lancer, j’ignorais même que ce livre lui était entièrement consacré. La caution du nom de Patrick Gale sur la couverture m’avait suffit pour ne jeter qu’un rapide coup d'œil en diagonale sur la 4e. Et heureusement pour moi car je me serais certainement montré moins déterminé si j’avais su que ce que je prenais pour une œuvre de totale fiction était, en vérité, une biographie romancée d’un obscur (pour moi) poète de Cornouailles, même sous la plume de Gale. Et quelle erreur ça aurait été. 
 
Personne réelle ou personnage de fiction, poète ou pas, peu importe. Patrick Gale a su faire du destin de Causley une histoire émouvante, douce-amère, toute de délicatesse et de sensibilité, sans pécher par excès de sentimentalisme.
Cerise sur le gâteau, Patrick Gale a inséré en fin d’ouvrage poème Angel Hill, “ballade obsédante” qui a été sa “principale inspiration” pour ce nouveau roman**. En regard du roman qui précède, la lecture éclairante de ce poème est tout simplement poignante et m’a laissé la gorge nouée.

Mother's Boy - Extraits
 
* I have honoured most of the established facts and included plenty of others I stumbled on in my research but I’d want nobody to make the mistake this for a scholarly biography of a great man, not least because I have shamelessly used fiction and conjecture to fill the gaps in stories that history and discretion had left blank. (Author's note)

** Whenever asked why he hadn’t written more of a memoir than his numerous short autobiographical pieces, Causley always said, ‘It’s all in the poems.’ And it is, up to a point, but the true ambiguous nature of the man and his life is, I think, often carefully encoded there. I was inspired to write this novel by a handful of his poems where his love, and his pain, seem to be hiding in plain sight. [...] But my chief inspiration was the haunting ballad I quote with permission here. (Author's note)
 
Patrick Gale - Mother's Boy (Tinder Press, 2022)

Commentaires

  1. Voilà donc ce fameux billet ! Non seulement je n'avais jamais entendu parler de Causley, mais Patrick Gale m'était tout aussi inconnu (une grosse lacune, si je comprends bien ?). En tous cas tu m'as convaincue, mais je viens de vérifier sur le site de ma librairie habituelle = tous les titres de cet auteur sont indisponibles, et celui-ci n'a pas encore été traduit. Il faudra donc être patiente, j'imagine...

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    1. Ce dernier opus de Patrick Gale vient tout juste de sortir au Royaume-Uni et il va effectivement falloir patienter pour la traduction, d'autant que son précédent, Take Nothing with You n'est toujours pas traduit.
      Et je suis très étonné d'apprendre que les quelques titres qui ont été traduits ne sont plus disponibles que d'occasion. C'est proprement un scandale, rien de moins. Si au détour d'un vide-grenier, d'une boîte à livres ou même d'une bouquinerie, tu peux te procurer Chronique d'un été ou Tableaux d'une exposition (dont j'avais parlé au cours de ma précédente vie) n'hésite surtout pas, je suis certain que tu ne le regretteras pas.

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  2. Ok je le note ! je suis de retour en France et me voilà ici à te lire, quelle bonne surprise ! pour Gale, oui parfois les éditeurs français occultent totalement un auteur (et fonctionnent par mode, comme tous se sont lancés à publier des auteurs indigènes par exemple) je vais aller voir ce que je peux dénicher de lui (en anglais)

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    1. J'espère que les vacances ont été bonnes et le séjour agréable. En tout cas, tu as l'air en super forme.
      Si tu veux lire P. Gale en anglais, tu n'auras que l'embarras du choix. Je te renouvelle les "recommandations" que j'ai faites à Ingannmic.
      Et si tu le trouves, le téléfilm en 2 parties de la BBC, Man in an Orange Shirt est très bien aussi.

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  3. Délicat et élégant, c'est noté !

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    1. Je suis certain que c'est un auteur qui te plairait. Si jamais tu as l'occasion de pouvoir le lire, tente le coup.

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