Juin, le retour

 
© Nick Hillier (Unsplash)
 
Michael McDowell - [Blackwater IV] La guerre (Monsieur Toussaint Louverture, 2022)
Max Porter - The Death of Francis Bacon (Faber & Faber, 2021)
Emmanuel Chaussade - Dire (Mercure de France, 2022)
Pierre Drieu La Rochelle - La valise vide [1921] (Fata Morgana, 2020)
Michael McDowell - [Blackwater V] La fortune (Monsieur Toussaint Louverture, 2022)
Pierre Drieu La Rochelle - Le feu follet [1931], suivi de Adieu à Gonzague [1964] (Folio, 2012)
Shannon Pufahl - On Swift Horses (Riverhead Books, 2019)
Michael McDowell - [Blackwater VI] Pluie (Monsieur Toussaint Louverture, 2022)
Fran Lebowitz - The Fran Lebowitz Reader (Vintage, 1994)
Patrick Gale - Mother's Boy (Tinder Press, 2022)
*    *    *    *    *
 
Cette fois-ci, c'est sûr, les vacances sont belles et bien terminées.
Avec un mois de décalage au calendrier, j'ai fait ma rentrée. Pas de cartable flambant neuf, ni de fournitures encore intactes, mais je n'ai pas échappé à la visite chez le coiffeur ni à la tenue immaculée, toutes deux censées aider à faire bon effet... le jour de la reprise, tout au moins. Les traditions maternelles ont la peau dure !
C'est à peine si j'ai eu le temps de faire un premier tri dans les photos du voyage transférées de l'appareil au PC. Ce qui m'a permis d'y retrouver l'ébauche d'un récapitulatif de juin version "deluxe" amorcée avant mes vacances, à la demande de plusieurs d'entre vous, frustré.e.s par la version express que j'avais postée alors. Là voici donc.


Pour commencer, un petit mot rapide sur Blackwater, de Michael McDowell, dont je vous avais déjà parlé en avril quand a commencé l’aventure.
Impossible que vous soyez passés à côté du phénomène. Ruptures de stocks en librairies ; réapprovisionnements réguliers et au compte-gouttes, compte-tenu des délais de fabrication quasi-artisanale des couvertures (et de la pénurie de papier). Chaque volume de la saga truste le haut des classements des ventes de livres plusieurs mois. Fin août, le compteur affichait 350 000 exemplaires : carton plein pour Monsieur Toussaint Louverture.
J’ai terminé cette saga avec autant de plaisir que je l’ai commencée. McDowell est un excellent conteur. Péripéties et coups de Jarnac, amitiés et antipathies, rancœurs et rédemptions, alliances et trahisons... Tous les ingrédients sont là pour faire de la famille Caskey le théâtre captivant des passions humaines, agrémenté d’une petite touche de fantastique qui rajoute au mystère et à l’enchantement.
Au risque de me répéter, c’est diablement efficace et addictif. Je ne me souviens pas avoir attendu aussi impatiemment la sortie d’un livre ni avoir dû arrêter ma lecture en cours pour satisfaire ma curiosité; ce qui ne m'empêche pas de trouver excessifs tous les superlatifs déversés par tombereaux entiers sur les réseaux. 
Une saga, façon blockbuster, dévorée avec un plaisir gourmand.
 

 
 
Si Grief is the thing with feathers m’avait laissé dubitatif  The Death of Francis Bacon, très court récit des derniers jours du peintre, atteint d’insuffisance respiratoire, m’a carrément jeté dans les cordes. L’écriture de Max Porter est décidément trop expérimentale pour moi. Ce texte « conçu comme une succession de chapitres simplement légendés d’une technique et de leurs dimensions, comme un catalogue de tableaux textuels, une exposition scripturale des portraits qu’aurait pu peindre l’artiste en cette année 1992 » m’est resté hermétique du début à la fin.
À tel point que je suis même allé feuilleter l’édition française pour vérifier si je ne surestimais pas ma maîtrise de l’anglais. Mais pas plus dans la langue de Molière que dans celle de Shakespeare, je n’ai perçu la transcription du geste pictural de Bacon dans l’écriture de Porter.
Je vais donc en rester là avec Max Porter.

 
Quinze ans durant, à raison de deux fois par semaine, les lundis et mercredis, il s’est allongé sur le divan de sa thérapeute pour dire son enfance bafouée, son père violent qui ne supporte pas la vue de ce petit garçon trop frêle et créatif, sa mère indifférente et son parrain abusif. Pour  dire son rêve avorté d’intégrer l'école de l'opéra de Paris et devenir danseur. Dire son départ hâtif pour Paris, sa passion pour la couture, son ascension fulgurante dans une célèbre maison de couture.
Un court récit, comme délivré dans l’urgence, à force de phrases très brèves, souvent nominales, qui imposent à la lecture un rythme qui m’a empêché de me poser suffisamment longtemps pour assimiler pleinement toute l’étendue de la douleur charriée par les mots.
Ce roman est aussi pour Emmanuel Chaussade une façon de rendre hommage à sa thérapeute, Elsa Cayat, une des victimes du massacre de Charlie Hebdo en 2015.
Dire - Extraits
 

 
 
Impossible de me souvenir quel a été le déclencheur de mon envie soudaine de découvrir la trilogie du "cycle Rigaut" de Drieu La Rochelle. Si je connaissais Le feu follet de réputation (et pour en avoir vu, il y longtemps, l’adaptation de Louis Malle au cinéma), je ne l’avais jamais lu et je n’avais même jamais entendu parler de La valise vide ni de Adieu à Gonzague.
Sous les traits d’Alain (Le feu follet) ou de Gonzague (La valise vide, Adieu à Gonzague), Drieu La Rochelle s’inspire de son ami Jacques Rigaut, écrivain, membre du mouvement dada, toxicomane qui se tirera une balle en plein cœur à l’âge de 31 ans.
De sa plume trempée dans l’acide, il dresse de son « ami » un portrait sans concession ni la moindre trace d’empathie : raté insipide, mondain d’une grande vacuité, drogué prêt à toutes les compromissions pour ne pas avoir à se retrouver seul et devoir affronter le néant de son existence. Il n’est guère plus tendre avec le milieu dans lequel évoluent ses personnages : le galeriste Falet en prend aussi pour son grade, tout comme les demi-mondaines en fin de carrière ou encore certains cercles intellectuels.
J’ignore à quel point Drieu La Rochelle fait preuve de lucidité sur tout ce petit monde. Tout ce que je peux dire c’est qu’il pose dessus un regard cruel et qu’il ne faut que quelques mots à sa plume acérée pour mettre à mort ses victimes. C’est d’ailleurs ce sens de la formule assassine que je retiendrai de ma lecture de cette trilogie Rigaut dont finalement j'aurai le moins apprécié le plus connu des trois textes, Le feu follet.
La valise vide - Extraits
 
 
 
Le feu follet - Extraits
 

 
Adieu à Gonzague - Extraits
 


 
Une fois encore, impossible de me souvenir lequel des billets de vos blogs a fini par me convaincre de lire On Swift Horses, paru chez Albin Michel en avril dernier sous le titre Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents. (il me semblait que c’était chez Electra, mais je n’en ai retrouvé aucune trace) Pire, au moment de le lire, je ne me souvenais même pas des arguments qui avaient joué en sa faveur, ni même à quoi je devais m’attendre... (call me Dory)
Je me suis donc retrouvé plongé dans l’Amérique rurale des années 50, où Muriel, une jeune femme récemment mariée à Lee, s’ennuie dans sa nouvelle vie d’épouse. Pour compenser le peu d’intérêt qu’elle porte à son mari, une fois sa journée de serveuse terminée, elle fréquente en secret les champs de course pour s’adonner aux paris hippiques, grâce auxquels elle ressent enfin les frissons absents de son quotidien.
Quand Julius, le frère de Lee, vient leur rendre visite, elle retrouve chez lui le même goût pour la liberté, le même sentiment de ne pas être faits pour la vie qu’ils mènent, d’être « à part » du monde qui est le leur. Mais au casino où il est employé pour surveiller la salle à la recherche d’éventuels tricheurs, Julius s’éprend d’un de ses collègues. Quand celui-ci quitte la ville, Julius se lance à ses trousses, et s'embarque dans une expédition périlleuse pour le retrouver.
Le parallèle entre ces deux "parias" que sont Muriel et Julius m’a intéressé ; elle parce que femme libre, lui parce qu’homosexuel, tous les deux forcés de se cacher de la société pour vivre leur vie selon leurs désirs et leurs envies incompatibles avec les mœurs de l’époque.
Plutôt que de s’attarder sur les tourments intérieurs et les motivations profondes de ses personnages, Shannon Pufahl privilégie les atmosphères poisseuses des milieux interlopes dans lesquels ils évoluent : hippodromes, salles de jeux, lieux de drague clandestine, chambres de motels sordides... ou se mêlent sensualité, violence, danger, désir, frustration. Tout le roman est nimbé d’une sorte de flou artistique, en particulier dès lors que Julius se lance à la poursuite de son amour perdu, d’où émergent de temps à autre quelques images plus criardes, sous le soleil mexicain... parfois jusqu’à l’éblouissement.
On Swift Horses - Extraits
 


Star aux États-Unis, icône vivante dans sa ville de New York, la chroniqueuse Fran Lebowitz demeure quasi-inconnue chez nous, en France. En ce qui me concerne, ce n’est qu’il y a quelques années, quand je me suis intéressé au parcours du photographe Peter Hujar qui était son ami, que j’ai croisé son nom pour la première fois.
Lors de la parution en début d’année de Pensez avant de parler. Lisez avant de penser, les quelques citations – bien senties – publiées sur les réseaux, m’ont donné envie de lire ce que je pensais alors être des mémoires. Et tant qu’à faire, j’ai préféré découvrir tout ça directement en langue originale.
En fait de mémoires (et de nouveauté), il s’agit en fait de chroniques publiées dans la presse, réunies dans deux recueils, Metropolitan Life et Social Studies, parus respectivement en 1978 et 1981 aux États-Unis. L’ensemble a été ensuite fusionné en un seul volume, sous le titre The Fran Lebowitz Reader, en 1994.
Dans ces chroniques, répertoriées selon plusieurs thématiques (Metropolitan Life, Manners, Sciences, Arts, Letters, Social Studies, People, Things, Places, Ideas...), Fran Lebowitz observe la société (américaine) et ne se gêne pas pour dire ce qu’elle pense de ses contemporains et de leurs travers. Du mal, la plupart du temps !
Ces textes, écrits il y a une quarantaine d’années, restent d’actualité, même si certains artéfacts, objets de son ire, (montres digitales, radios-réveils, répondeurs téléphoniques, CB*...) font aujourd’hui figure d’antiquités préhistoriques.
Brillante et érudite, un brin snob et adepte de la mauvaise foi, Lebowitz manie le sens de la répartie avec finesse et élégance. C’est délicieusement caustique, jamais fielleux et toujours furieusement drôle. Un régal que j'ai dégusté avec un plaisir non dissimulé.
* pour Citizens' Band et non pas Carte Bleue
The Fran Lebowitz Reader - Extraits



Et pour terminer, Mother's Boy. Un beau coup de cœur au sujet duquel je ne dirai rien de plus pour le moment puisqu'un billet spécifique lui sera consacré... et même deux, en fait.

Commentaires

  1. Des lectures bien variées pour le mois de juin ! Désolée, mais rien qui me tente vraiment. J'avais noté aussi (mais où ?) le roman de Shannon Pufahl, mais pas très certaine d'adhérer à ce roman, j'attendrai de le trouver en bibliothèque.

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    1. Tu n'as pas à t'excuser 😉 Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents est un roman à l'atmosphère particulière. En le refermant, je n'étais pas certain de l'avoir aimé... pas plus de l'avoir détesté. Avec le recul, plus j'y repense, plus la balance penche vers le positif. Alors, l'emprunt en bibliothèque semble la meilleure solution pour te faire ton propre avis sur la question.

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  2. Je crois que "Le Feu follet" m'avait laissée perplexe, mais c'était il y a si longtemps que je peux me tromper. Je n'ai toujours pas lu Blackwater, et je crois de plus en plus que je me tournerai vers un emprunt en bibliothèque. L'extrait du Chaussade est très triste. Quelle horreur.

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    1. J'ignore exactement pourquoi, mais je n'imagine pas que Blackwater puisse te plaire. Ça me paraît si éloigné de la littérature que tu apprécies.
      Je comprends ta perplexité au sujet duFeu follet. C'est exactement comment le film m'avait laissé. Je pensais que c'était parce que j'étais trop jeune pour tout saisir mais je dois reconnaître que la lecture du roman ne m'a pas beaucoup plus éclairé. Autant les deux autres volumes de la trilogie annoncent clairement la couleur, autant celui-ci me semble toujours entre deux eaux...

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  3. C'est sans doute ton avis qui a été décisif pour me faire lire Blackwater... une chouette lecture de vacances ! Et j'attends ton billet sur Mother's Boy avec impatience.

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    1. J'ai coché ton billet sur Blackwater dans mon agrégateur pour te laisser un commentaire... ce que je n'ai pas encore fait. On est d'accord sur toute la ligne : un bon moment de détente et de frisson, une lecture à laquelle on prend un réel plaisir mais tout de même pas de quoi crier au chef-d’œuvre.

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  4. Ah, Blackwater est passé chez toi. J'ai la série... il faudrait que je la lise. J'attends ton billet sur Mother's boy!

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    1. Blackwater devrait te plaire, je serais étonné du contraire. Prépare-toi à une bonne petite saga et, telle que je te connais, ça ne devrait pas te demander plus d'une journée 😜

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