Je ne sais pas si j’ai du bol. En tout cas, pour moi, la mort c’est vraiment chouette.




Sans vouloir m’en vanter, il n’y avait pas de quoi, j’ai toujours cru qu’il n’y avait rien. « Rien après ». J’étais discret sur le sujet, ce n’était qu’une question de croyance ; croire en quelque chose ou pas. Je ne voulais pas offenser les croyants ; ne croire en rien, c’est encore une  croyance.
J’aurais pu me contenter d’être agnostique, mais non, j’en étais convaincu : il n’y aurait rien après.si on me tarabustait un peu, j’ajoutais avec un petit sourire : « Jusqu’à preuve du contraire, et dans l’état actuel de nos connaissances… ».
Pourquoi il y aurait-il eu quelque chose ? Et quel genre de « quelque chose » ? « Rien » me semblait beaucoup plus logique, j’avais tout un tas d’arguments, assez lassants à force d’avoir été répétés, en plus d’être désespérants. Vivre pour mourir, bonjour la joie. Renouvellement des générations, tu nais, tu vis ce que tu peux, comme tu peux, et tu crèves. Tu crèves pour faire de la place, pour que d’autres puissent vivre, et crever à leur tour. Le même programme pour tous, la seule égalité entre les êtres humains – et tous les êtres vivant.
(p. 9)

Ensuite, ça s’est poursuivi comme ça, des visites, des connaissances, des collègues, tous gênés, ne sachant que dire, et moi jouant le rôle du type prenant bien les choses. Je n’étais pas en état de bien prendre les choses, ni de les prendre mal, je n’étais en état de rien. Juste un type qui se sent mourir. (p. 21)

Puisque j’allais mourir bientôt, les toubibs me l’avaient fait comprendre, sans jamais le dire, sans jamais préciser quel genre de bientôt, autant vivre une dernière fois, en vrai. Là, sur ce lit d’hôpital, ce n’était pas la vie. Il m’en restait si peu, moi qui ne croyais en rien.
Dans ma faiblesse, j’ai eu cette énergie, vivre autre chose avant l’extinction des feux. C’était ma vie, après tout
. (p. 23)

- C’est fini, dit le pompier en chef. C’est fini. Il est mort.
- Je te l‘avais dit, ton massage ne servait à rien.
Sacrée Clara, elle aime avoir raison.
Rémi s’effondre, éclate en sanglots.
Il m’aimait vraiment, je le ressens très fort, c’était pas de la comédie. Il m’aimait et il aimait coucher avec ma femme, les deux à la fois. Comme je ne l’ai jamais deviné de mon vivant, ça ne m’embête pas trop. On est restés amis jusqu’au bout, tandis que si j’avais su…
(p. 31)

Ce n’est pas très beau, une ville, la nuit ; c’est plein de misères, d’abandon, de tristesses, de solitudes, de désarroi. (p. 60)

Je ne sais pas si on a tous la même mort ou si j’ai du bol, je suis encore tout neuf, comme mort. En tout cas, pour moi, la mort c’est vraiment chouette. (p. 62)

Clara est habillée en robe de mariée, toute de blanc vêtue – on ne s’est pas mariés, on n’y tenait pas, ni elle ni moi, c’est le moment ou jamais, comme une séance de rattrapage. Elle est belle, souriante, très à l’aise pour saluer les uns et les autres. […]
Ma mère, toute de noir vêtue, comme si c’était la vraie veuve, ma mère en pleurs comme si elle avait perdu l’amour de sa vie, alors que pas du tout. Je trouve Clara beaucoup plus honnête, et ma mère très fidèle à l’image qu’elle veut donner. Je ne leur en veux pas, ni à l’une ni à l’autre, chacun se débrouille comme il peut.
(p. 65)

Mourir, ça permet d’entendre des compliments à son sujet. Ça donnerait presque envie de revivre. Presque. Si j’avais le droit de rejouer, je dirais non. (p. 69)

Maman ? […] Tu sais bien que tu ne m’aimais pas. Tu es juste embêtée parce que perdre un enfant est censé être une douleur cruelle et que tu ne la ressens pas. Tu voudrais la ressentir, pour être normale, pour mériter la compassion, la tienne et celle des autres mais tu ne la ressens pas. Tu es triste, un peu, parce que c’est quand même triste que je sois mort, mais tu n’es pas affligée, pas du tout, et ça te manque. Ta peine, réelle, c’est de ne pas avoir de chagrin. Tu as fait de ton mieux pendant la cérémonie pour imiter ce chagrin, et quelques-uns y ont cru, mais toi tu sais. Tu sais que tu ne l’as pas éprouvé. (pp. 83-84)

Nous sommes vivants. Nous sommes vivants autrement. Jusqu’à preuve du contraire. (p. 114)


Isabelle Minière - Après la fin (Le Verger, Coll Sentinelles, 2020)

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