Récap décembre 2016
Le mois a commencé avec une « mise de côté ». Après quelques pages de Brève histoire de sept meurtres, de Marlon James, j’ai senti que les conditions n’étaient pas réunies pour que je profite au maximum de ce roman apparemment exigeant. Je préfère ne pas le gâcher et me le garder pour plus tard, quand je serai vraiment disponible et suffisamment concentré.
Sophie Hannah - Closed casket (HarperCollins-2016)
Changement de braquet avec le 2e opus de ce Poirot ressuscité sous la plume de Sophie Hannah. J’ai pris le même plaisir à le retrouver que lors du 1er.
Tout y est : les personnages, l’enquête, l’ambiance, le dénouement devant l’ensemble des protagonistes réunis.
Jonas Gardell - N'essuie jamais de larmes sans gants (Gaia-2016)
« Ce qui est raconté dans cette histoire s’est réellement passé.
Ça s’est passé ici, dans cette ville, dans ces quartiers, chez les gens qui ont leur vie ici. Dans les parcs de cette ville, à ses terrasses de café, dans ses bars, ses saunas, ses cinémas porno, ses hôpitaux, ses églises, ses cimetières.
C’est dans les rues et dans les immeubles de cette ville, chez ces gens, que ça s’est passé.
Ce qui est raconté dans cette histoire s’est passé simultanément dans beaucoup d’autres lieux, à la même époque, mais c’est à d’autres d’en faire le récit.
Ce qui est raconté dans cette histoire continue de se passer aujourd’hui, ça se passe tout le temps, mais ça non plus n’appartient pas à ce récit, même s’il se perpétue jusqu’à nos jours.
Raconter est une sorte de devoir.
Une manière d’honorer, de pleurer, de se souvenir.
Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l’oubli. »
D'entrée, le ton du roman est donné : militant, politique, ce qui n’empêche pas l’humour, le rire, l’émotion, la gorge serrée… Les premières années du Sida en Suède n’ont pas été si différentes qu’en France. Le roman est aussi intéressant dans ce qu’il dit de la réaction des parents, de leur appréhension de l’homosexualité, de la maladie et de la mort de leurs enfants…
« Ils nous transforment en hétéros après notre mort. Sans quoi ils ne savent pas comment nous pleurer. Nous et nos vies ratées. »
« Avant…
Après…
Deux phrases incomplètes. Qui entourent la même faille.
Autour de laquelle ils ne cessent de tourner sans jamais trop s’en approcher.
Ce qu’ils n’ont jamais pu comprendre.
Pour lequel ils n’ont pas de mots, pas d’expression.
Cette chose inconnue qui s’est intercalée entre eux et leur fils.
Et qu’ils ne peuvent accepter.
Il n’est pas cette chose, pas vraiment.
Ils le connaissent suffisamment bien.
Ils savent que cette chose inconnue n’est pas lui. »
« N’empêche, voilà ce à quoi Harald et elle doivent faire face, qu’ils le veuillent ou non. Et même s’ils trouvent ça effarant, ils feraient mieux d’approuver la situation plutôt que de la combattre. Du coup ils sourient, ils rient, ils mangent du velouté, ils disent oui pour un café agrémenté d’un gâteau aux carottes fait maison, Harald glisse à Rasmus un billet de mille couronnes pour équiper un peu l’appartement, Sara fait promettre à Benjamin de mesurer les fenêtres pour qu’elle puisse leur confectionner des rideaux car ça donnera un intérieur moins froid.
Deux heures plus tard, en se rendant chez Christina du côté de la place Sankt Eriksplan, où ils vont passer la nuit, Sara et Harald sont entièrement d’accord pour trouver que c’était quand même sympathique, que Benjamin semble être un garçon sérieux, qu’il n’est pas du tout comme ils l’avaient imaginé.
Puis ils s’enfoncent chacun dans son silence, chacun dans son chagrin. Mais avec la vague sensation, diffuse, mutuelle, d’être face à un échec. »
« Et il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus ; ni deuil, ni cri, ni douleur ne seront plus. Les choses anciennes ont disparu. »
Benjamin se penche tout près de son adoré. Il le regarde afin de mémoriser chaque trait de son visage. Il sait que lorsqu’il quittera cette chambre, ce sera pour toujours.
La pièce où ils se trouvent est devenue sacrée. Rasmus est sacré. Les objets sont sacrés. Le lit, les draps entortillés, l’odeur douceâtre de renfermé, le verre d’eau, la solution physiologique, le pied du goutte-à-goutte, tout cela est sacré, voué à l’éternité. Tout, sauf lui. Lui seul n’est pas sacré. Et il sait que lorsqu’il sortira de la pièce, il ne sera pas le nous qu’il a été, il ne sera plus que Benjamin. Il sera seul, il ne sera personne, il n’aura personne. Personne à aimer, personne à défendre, personne à protéger. Il n’aura plus d’obligations, plus de responsabilités, il n’aura que sa liberté.
Et il n’en veut pas, de cette liberté. Il ne veut pas être libre.
C’est pourquoi il s’accroche à cet instant, c’est pourquoi il s’approche aussi près du visage de l’homme qu’il aime, dans l’espoir d’effacer la distance entre eux. C’est pourquoi il caresse les joues de l’homme qu’il aime, caresse ses cheveux si fins, l’embrasse et l’embrasse encore, tandis que ses larmes coulent sans qu’il s’en rende compte, mouillent le visage de son adoré. Il lui chuchote :
– Tu es si beau maintenant. Si calme. Tu n’as plus mal. Moi non plus je n’ai pas mal.
Imperceptiblement, il secoue la tête et répète encore deux fois les mots, comme un petit poème qu’il essaierait de graver dans sa mémoire.
– Tu es si beau maintenant. Si calme. Tu n’as plus mal. Moi non plus je n’ai pas mal. »
« Ce n’est que lorsque vous avez été contaminé que vous vous dites : Maintenant ma vie est terminée. Si néanmoins vous surmontez cette crise et si vous avez la chance d’avoir un bilan biologique pas trop moche, vous allez malgré tout de l’avant et vous vous dites : Je vais en profiter pour m’éclater, mais le jour où il faudra que je commence les médocs, ça demandera trop d’énergie, donc en fin de compte le jeu n’en vaut pas la chandelle. Puis ce jour-là arrive, le jour où les médecins vous annoncent que vos résultats sont moins bons, et là vous vous retrouvez face au vieux dilemme : le moment de vous supprimer est-il venu ou allez-vous attendre encore un peu ? Envers et contre tout, vous redéployez vos positions défensives. Vous décidez : Non, le jour où ils me diagnostiqueront le sida, là je me suiciderai. Puis ce jour-là arrive, et vous vous dites : Le jour où il faudra que je sois hospitalisé, là cette fois le moment sera venu de tirer un trait définitif.
Voilà comment vous vous adaptez : pas à pas.
La définition d’une vie décente évolue. Vos exigences rétrécissent, vous vous accrochez. Un nombre étonnamment important de séropositifs comme vous s’accrochent, en dépit de la souffrance démentielle, des douleurs physiques, des multiples humiliations et déchéances. Car c’est quand même époustouflant de voir qu’il en faut si peu pour que soudain la vie vaille le coup d’être vécue. »
« – Parce que tu vois, la maladie, elle a beau me mettre à genoux, moi, ma vie, je l’ai passée à genoux. Et de mon plein gré en plus. Du coup, elle se retrouve comme une conne, la maladie ! Bien fait pour sa gueule ! »
« Ils vivaient, puis ils disparaissaient. Des hommes qui tous avaient levé le camp, quitté un lieu d’origine, une famille d’origine, une maison natale, une terre natale pour gagner une terre promise, tout au moins celle qu’on leur avait promise. Ils avaient tout laissé derrière eux pour gagner la liberté dans cette nouveauté inconnue qui n’était autre qu’eux-mêmes. »
« Nous sommes vivants si peu de temps alors que nous sommes morts pendant si longtemps. »
Zep - Un bruit étrange et beau (Rue de Sèvres-2016)
C’est globalement incohérent… (lors de sa première sortie hors de sa retraite, un chartreux qui a fait vœu de silence depuis 25 ans oublie tous ses engagements moraux et religieux quand il rencontre une jeune fille dans le train), ça dégouline de bons sentiments et de sagesse philosophique façon citations Facebook…
Pour autant, les quelques rares passages sur le choix du silence et de l’isolement m'ont touché.
Harry Parker - Anatomie d'un soldat (Christian Bourgois-2016)
Je n’en suis pas très loin (chapitre 16 sur 45) mais je peine à entrer pleinement dans le roman. J’avais bien intégré le fait qu’il s’agissait pour l’auteur de dresser le portrait d’un soldat à travers 45 objets mais l’artificialité du parti-pris de faire parler ces objets me dérange (alors que je n’avais eu aucun problème avec Anima, de Wajdi Mouawad).
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