Le silence avec lequel on fabrique les absences et les zones de solitude
Albert Guasch - Landscape, 2008 |
Le silence est revenu dans la maison. Je n’ose même pas avaler ma salive. Debout au pied de mon lit, j’entends le bruit des fourchettes et des couteaux qui tintent sur la table. Les assiettes et les verres. Aucune voix, aucun murmure. Juste ces sons qui délimitent ce que sont devenues nos soirées tous les trois. Des crépitements dans la cuisine. Un robinet qui coule. Une chaise qui racle le sol. Autour de moi, ce n’est pas le silence que l’on trouve quand tout est calme et serein, mais le silence avec lequel on fabrique les absences et les zones de solitude, celui qui prend forme quand la nuit est partout.
On n’avait rien pour être amies, au départ. On l’était devenues à force de s’ennuyer à quelques mètres les unes des autres. Cali et Clémence sont ce genre de copines qui naissent dans les zones floues de soi, ni intéressantes ni douées pour quoi que ce soit. Pourtant, la connexion n’avait pas été difficile à faire entre nous. Une émulation réciproque et nocive. Le malaise a fini par enfanter des monstres autour de moi, personnalités bruyantes qui entretiennent le vacarme.
Je me tais, gère les mots au compte-goutte. En moi les silences ont élaboré leur propre phonétique, mon mutisme a donné lieu à une grammaire nouvelle, faite d’espace et de vacuité, une orthographe stérile. Je prononce des vides, j’articule des blancs. Et mes échanges avec les autres se construisent comme ça, entre les lignes que je ne dis pas. À force de me taire j’en ai pris l’habitude.
Je me rends compte que le plus dur dans une fugue, ce n’est pas le moment où l’on part, mais celui où on se rend compte qu’on aimerait bien revenir
Elle s'applique à déconstruire petit bout par petit bout la solitude de Colette. Elle s'efforce de recoudre les déchirures dans le cœur de la vieille dame, et pose des petites sutures sur toutes les plaies qu'elle y trouve. Lola se réjouit de la voir sourire dans son sommeil. Elle découvre qu'avec de l'amour, c'est possible de déformer les chemins tout tracés ; avec l'envie, avec le cœur. Que tant qu'on aime on n'est pas seul, quels que soient les distances, les manques et les formes que tout cela prend.
Les vides ne seront plus jamais des vides, l’amour est ce qui existe au-delà. Cette tendresse, c’est ce qui crée des rivières, des montagnes, des soleils, là où elle n’avait vu que des gouttes d’eau, des pierres et de minuscules étincelles. C’est ce qui fait que la nuit n’est plus jamais noire, que les vertiges se désagrègent au fond de soi. Cette tendresse oui, rien d’autre, c’est ce qui fait qu’on n’est plus jamais seul.
C’est ça qu’il lui reste de Colette, ça qu’elle garde en cadeau.
Autour de moi, ce n'est pas le silence que l'on trouve quand tout est calme et serein , mais le silence avec lequel on fabrique les absences et les zones de solitude, celui qui prend forme quand la nuit est partout.
Antoine Dole - Ce qui ne nous tue pas (Actes Sud Junior-2014)
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