Well, you can’t control who your children are, but you can certainly support them, am I right?

Un livre pour enfants qui déclenche l’ire d’une association ultraconservatrice de familles américaines, il n’en fallait pas plus pour me donner envie d’aller voir ça de plus près, même si je subodorais déjà quel type de livre était voué aux gémonies.
Et effectivement, je ne m’étais pas trompé.


« Les enfants ne sont pas en sécurité avec Scholastic ; les parents doivent être mis en garde »
« Scholastic ne se soucie pas du bien-être de nos enfants.
» 
« Écrivez à Scholastic et dîtes-leur d’arrêter de nuire à nos enfants »
Sur son site, 0ne Milli*n M*ms, une branche de l’American Family Ass*ciation*, n’y va pas de main morte avec la maison d’édition Scholastic. Pour les mettre dans cet état-là, l’ouvrage incriminé ne peut être qu'un plaidoyer pour la pédophilie infantile, faire l’apologie de la violence gratuite ou je ne sais quel autre vice du même acabit.
À moins que, pire encore, son auteur milite contre la National Rifle Association of America (NRA).

En fait, quand on lit le livre du maaAAAAALLLLLL, à savoir George, d’Alex Gino, on s'aperçoit qu'il n'est question que d’amitié, de tolérance, d’affirmation de soi, d’acceptation de la différence... et d’espoir.
Mais alors, why tout ce binz ? Pourquoi toute cette wave of protest ? Ne sont-ce pas là des valeurs que les parents devraient avoir à cœur d’inculquer à leurs enfants ?

For sure !
... mais pas quand il s’agit d’un enfant transgenre, nous dit 0ne Milli*n M*ms


George est en CM1. Son livre préféré est Le Petit Monde de Charlotte. Immanquablement à chaque lecture, la mort de l'araignée Charlotte lui fait couler des larmes.
Ms. Udell passed by George’s desk. “To be honest, I’m not sur to think of a person who doesn’t cry at the end of Charlotte’s Web.” [...]
“My point is, it takes a special person to cry over a book. It shows compassion as well as imagination.” Ms Udell patted George’s shoulder. “Don’t even lose that, George, and I know you’ll turn into a fine young man.”


Alors quand l’école distribue les rôles pour l’adaptation théâtrale du Petit Monde de Charlotte, George choisit d’auditionner pour le rôle de l’araignée, réservé aux filles, plutôt que pour celui de Wilbur, son ami le cochon.
Elle y voit comme l’occasion inespérée de montrer aux autres, parents, professeurs et élèves présents, qu’ils ne voient pas les choses comme elles sont en réalité, mais comme ils croient qu'elles sont.
Car George le sait, George le sent : elle est une fille.
George knew she couldn’t have possibly expect to hear Ms. Udell call her name. Still, her heart sank. She had genuinely started to believe that if people could see her onstage as Charlotte, maybe they would see that she was a girl offstage too.

En littérature ou dans la vraie vie, les jeunes lecteurs n’ont pas souvent l’occasion de côtoyer une personne transgenre. Rien que pour cela, George mérite d’être lu par le plus grand nombre. Pourtant, paradoxalement, en France comme aux États-Unis, certains lecteurs (lectrices, en fait) reprochent à ce livre de véhiculer une vision trop sexiste de la société, avec des filles fragiles qui aiment le rose et le maquillage (à un moment George dit même à son amie Kelly qu’elle est une « girly girl ») et des garçons bagarreurs qui aiment le bleu et le sport. Certes, mais il ne faudrait pas perdre de vue que ce livre s’adresse à des lecteurs à partir de 10 ans et que trop de messages tuent le message. Chaque chose en son temps. Si cette lecture réussit à les sensibiliser à la transidentité, il sera toujours temps plus tard de déconstruire les clichés sexistes en leur suggérant d'autres livres.
Mais au-delà de la seule question de la représentativité, George est un personnage attachant, un enfant de 10 ans (presque) comme les autres, avec des problèmes de son âge : composer avec sa mère, supporter son grand frère, rigoler avec sa meilleure amie, travailler à l’école, éviter de  croiser les deux petites brutes dans la cour de récré... et trouver sa place dans le monde.
“[...] the world isn’t always good to people who are different. I just don’t want you to make your road any harder than it has to be.”
“Trying to be a boy is really hard.”
Mom blinked a few times, and when she opened her eyes again, a teardrop fell down her cheek.



Alors, tout ça pour ça ? Euh... oui.
Petit rappel :  Lire nuit gravement à l'ignorance.
On pourrait en rire, en ne voyant dans cette malheureuse affaire que la parfaite illustration du puritanisme américain, de cette Amérique qui va fermer un compte Facebook où a été publiée l'affiche d'une campagne contre le cancer du sein laissant voir un téton, mais qui fera la sourde oreille lors de cas flagrants de cyber harcèlement, ou celle encore qui descend dans la rue pour revendiquer son droit inaliénable au port d’arme mais manifeste avec autant de force pour bannir les sex toys des campus universitaires...
Pour autant, il ne faudrait pas se croire à l'abri et oublier qu’il n’y pas encore si longtemps chez nous, un leader politique se couvrait de ridicule en s’offusquant qu’un livre pour enfants puisse montrer des personnages qui se déshabillent et finissent nus dans l’océan. Que l’auteur David Dumortier était accusé de prosélytisme pour l’homosexualité dans les écoles primaires où il présente depuis 15 ans son livre , Mehdi met du rouge (que je vous recommande chaudement). Ou encore, plus récemment, que la Direction des Affaires scolaires de la Ville de Paris décide de bannir des bibliothèques scolaires deux titres publiés chez Thierry Magnier...


Si le sujet vous intéresse, le 3 mars 2014, l'auteur Christophe Honoré et l'éditeur Thierry Magnier étaient les invités de l'émission L'Humeur Vagabonde, sur France Inter.




* désolé pour la typo mais il ne faudrait pas que les partisans de ce groupuscule atterrissent ici
en pensant que je partage leurs idées rances

Commentaires

  1. Ah dans ma grotte on ne connaît pas ce livre! D'ailleurs il n'a pas l'air d'être traduit. Je constate que George is 'she' dans le texte d'origine, ce qui est logique. Intéressant de choisir George, comme George Eliot ou George Sand, non?Des femmes qui choisirent ce prénom.
    J'ai noté le livre de C Honoré à la bibli
    Comment ça, c'est pas bien de pleurer en lisant un livre? ^_^

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    1. Si si, "George" a été traduit et publié à L'école des Loisirs en février 2017 (https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/george-grand-format) et le "décalage" instauré entre le pronom personnel féminin et le prénom masculin a été conservé, bien sûr, puisque c'est tout ce qui dit comment George se vit.
      Le livre de Christophe Honoré, si c'est à "Ton père" que tu fais allusion, est excellent (dans un autre genre que "George"). Honoré et moi étant de la même génération, issus du même milieu social, nous avons beaucoup de figures tutélaires en commun, donc ce livre a énormément résonné en moi. J'espère qu'il saura te toucher d'une autre manière.

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  2. Ton père est à ma bibli (et déjà noté) et George aussi (et donc derechef noté)(les bibliothécaires du rayon jeunesse me connaissent!).

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  3. Je ne l'ai pas lu... mais il est chez moi. Pourquoi ne suis-je pas surprise par ces réactions de folie??

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    1. En fait, que de tels comportements ne nous étonnent/choquent (pratiquement) plus, c'est peut-être ça le plus triste de l'histoire finalement :-(

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  4. Tu m'apprends le tapage qu'a suscité ce roman et comme je te le disais sur Facebook, je l'ai emprunté par hasard à la médiathèque mais j'ai très vite senti que c'était un livre important surtout pour un roman jeunesse et bien entendu, je ne suis pas surprise des réactions des conservateurs ... Malheureusement... Ensuite pour rebondir sur ce que tu dis sur les filles en rose et les garçons en bleu... Même quand tu fais tout ce que tu peux pour éduquer ton enfant pour s'en moquer (quand il était petit, j'ai acheté un déguisement de princesse à Bastien et il a eu une poupée...) à l'âge des enfants du roman (et du mien) les garçons préfèrent souvent le foot et les filles le rose... c'est sans doute malheureusement du conditionnement mais c'est aussi la vraie vie ;-)

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    1. En même temps, qu'une telle histoire contrarie les réacs conservateurs n'a rien de bien vraiment étonnant.
      Que les garçons préfèrent les soldats et les filles les princesses, en soi, ne me dérange pas. On ne va pas forcer les uns et les autres à aimer ce qu'ils n'aiment pas ! Ce que je voulais dire c'est que, dès le départ, offrons leur au moins la possibilité du choix (comme toi tu l'as fait avec ton fils) de façon à ne pas les enfermer dès le plus jeune âge dans un format de pensée. Et si jamais ils venaient à préférer un jeu/un sport/un t-shirt sensément destiné pour l'autre sexe, qu'on leur permette de le faire. Parfois, il ne s'agira que d'un caprice passager, parfois d'une phase d'expérimentation, parfois d'un choix de vie.

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