« La vie, cette horreur délicieuse » 

Christer Strömholm - Paris, 1962

[…] tout petits déjà, l'idée d'être nous-mêmes, c'est à dire nous seulement, nous terrorisait. (p. 37)

Pourtant, à l’insu de Paps et Mams, une drôle de langue poussait en nous, en réaction à leur langue à eux, qui rétrécissait tout.
[…]
Et puis, grâce à cette langue, j’avais beau ne pas voir les arpents de terre que Marcio parcourait, serpe à la main, n’avoir vue que sur des piles de linge et des tas de poussière, je savais qu’il était là. Je le sentais. À chaque seconde. Même là, dans l’étroitesse de la cuisine, avec Mams collée à mes basques, il était là. Il respirait en moi et suait avec moi, tant il est vrai qu’on n’avait droit à aucun repos.
(pp.35-36)

Je leur en faisais voir de toutes les couleurs, c'est vrai, mais à l'époque je n'y pensais même pas car c'est toujours après qu'on se souvient, après qu'on fait les stèles et les statues et qu'on pardonne aux êtres comme eux, qui détruisent nos vies mais vous sont si chers malgré tout. (p.48)

C’était bon d’entendre tout ça, ça me faisait du bien. Mais c’est durant ces nuits, pourtant, que je compris que certaines larmes ne vous quittent jamais. (p. 58)

Comment se faisait-il que je les aimais encore ? D’où vient cet attachement pour nos bourreaux ? Quel fil nous relie à eux ? (p.80)


Ce que l’on perd est irrécupérable, et si on le récupère, c’est désormais dispersé, ça ne rentre plus dans l’ordre des choses. (p. 150)


On préfère oublier les choses qui font mal, oublier la façon violente dont on naît, dont on meurt, dont on se sépare, on préfère ne rien dire et, tant qu’il nous reste un filet de souffle, faire l’autruche et vivre malgré tout. (p. 12)

Maintenant que je suis vieille et que tout a repris sa place, je vois les choses différemment. Votre vie peut avoir mille visages, mille rebonds, vous pouvez naître et mourir tant de fois, naître et mourir encore, l’essentiel ne change pas : vous ne changez pas. Vous restez celui que vous êtes depuis toujours. […] Vous ne pouvez être que vous-même. Le changement n’existe pas vraiment. (pp. 155-156)

Je le dis plus clairement encore, si c’est possible : quoi que vous fassiez, quoi que vous perdiez, quoi que vous acquériez, vous restez avec vos fantômes. Avec vos peurs couleur corbeau. Avec vos manques venus de l’enfance.
Est-ce que c’est triste ?
Non.
Car vous restez aussi avec votre joie. Dans ce bonheur qui se cache mais qui est le vôtre depuis toujours. […]
Croyez-moi, c’est à peu près la seule chose que vous puissiez faire de votre vie. Cultivez votre joie. Le reste n’a aucune importance.
(p. 136)


Antoine Wauters - Pense aux pierres sous tes pas (Verdier, 2018)

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