Si on pouvait voir avec un œil de verre, le monde aurait-il l’air plus fragile ?
Les œufs étaient rode vif, à cause du jus de betterave. Tout à coup, il en a brandi un… Ses yeux semblaient fous…
- Karen, cet œuf, il est de la couleur d’une betterave. Est-ce que ça en fait une betterave ?
- Non, je dirais que c’est un œuf.
- Exactement ! Par contact, ces œufs ont pris une autre couleur… Et c’est la même chose pour les gens… Ils peuvent souffrir de la proximité du mal, mais jamais, au fond de leur cœur, ils ne deviennent mauvais…
Ceux qui ont eu une mère aimante ne pourront pas comprendre ce que je vais dire…
Il y a des mots mystérieux, des mots muets, entre une mère et son enfant. Ça commence alors qu’il est encore en elle.
Par ces mots, soit l’enfant ressent que les portes du monde lui sont ouvertes, soit qu’elles lui sont fermées.
Et dans ce cas-là, il aura un penchant naturel à obéir aux désirs de sa mère… avant de fuir.
Cependant, toute sa vie, ce penchant murmurera à son oreille… Il chamboulera son jugement, le poussera à oublier ses intuitions et à danser au bord de l’abîme…
Beaucoup vivaient dans la terreur. Ils tentaient bien d’être heureux, d’organiser des soirées, d’écouter de la musique ou de voir leurs amis. Mais la peur était un virus. Elle passait de l’un à l’autre. Comme par une morsure. Les mordus mordaient à leur tour. Les parents gardaient le silence en présence de leurs enfants, effrayés que leurs paroles contre les nazis n soient répétées à l’école. Tête basse, les gens traversaient la vie à petits pas, espérant ne pas attirer l’attention des autorités. Malheureusement, c’était presque impossible.
Deeze est macho. Il s’essuie toujours les yeux dès que les larmes se pointent. Pour lui, il pleure pas vraiment si ça coule pas sur sa joue.
- C’est le West Side qui brûle. Les gens sont tristes et furieux à cause du meurtre de [Martin Luther] King.
- Peut-être… Mais c’est leur quartier qu’ils brûlent !
- Parfois, des choses si terribles surviennent que les gens veulent que le monde soit à l’image de ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux.
Si en général, les sous-sols sentent le surréalisme, les cuisines et les jardins, eux, sentent toujours l’impressionnisme. Alors, comme notre cuisine est dans un appartement en sous-sol, ça sent un peu l’impressionnisme des débuts, celui de Vincent Van Gogh, terre d’ombre et ocre, une odeur poivrée et graisseuse qui dit « je t’aime ».
Toutes ces années, alors qu’Anka dansait et chantait là-haut, mes œufs n’avaient pas vraiment un goût d’œuf mais plutôt celui de la Nuit étoilée. Ces airs de valse triste avaient une saveur de bleu et de jaune, comme un mélange de myrtilles et de jonquilles.
En plus des bruits de la poêle, du journal et du chat, y a aussi celui de l’horloge à tête de Jésus, avec ses yeux qui font tic-tac de gauche à droite « à la recherche des pécheurs en quête de miséricorde », dixit maman. D’après Deeze, il a plutôt l’air d’un junkie qui essaie de piquer des chips à l’épicerie.
À présent l’appartement ne sentait plus le parfum d’Anka, mais plutôt comme la soupe au cendrier. C’était gerborrifiant…
Chez les Silverberg, tout était pareil que lorsque Anka était vivante, sauf que les livres et les objets d’art étaient recouverts d’une fine couche de poussière. Amon, le chat, avait laissé de funestes petites traces partout, si bien que l’endroit ressemblait à une carte de pirate grandeur nature… avec Amon le féroce dans le rôle du trésor.
Quand tu es si proche de découvrir une vérité… eh bien, cette vérité, elle a un poids, et quand on tient vraiment à la connaître, c’est comme d’être entraîné au fond de l’eau par une ancre balancée en plein océan.
Emil Ferris
- Moi, ce que j’aime, c’est les monstres (Monsieur Toussaint Louverture, 2018)
My Favorite
Thing Is Monsters - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Charles Khalifa
impressionnant
RépondreSupprimerEt encore, tu n'as que le texte... Si tu voyais comment il se fond dans/se marrie avec le dessin !
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