La seule chose qui soit sauvage en toi, à part tes manières, c’est ton odeur.

Two Western cowboys with pistols in their belts (tintype)


Quand il leur arrivait de se parler, c’étaient des grognements et des bouts de phrases qui raccourcissaient tout mais pas ce qu’ils voulaient dire – la façon de communiquer des gens qui s’aiment ou de ceux qui se connaissent bien et qui partagent un langage bien à eux. (p. 82)

Est-ce que vous êtes véritablement mauvais, tous les deux ?
Tom et Pigsmeat se regardèrent pendant un long moment empreint de tristesse, puis ils sourirent ; Tom relevant les coins de sa bouche serrée et Pigsmeat étirant largement les lèvres, ce qui lui fendit le visage en deux et le fit ressembler à autre chose qu’un vilain lutin. Tom secoua la tête et contempla la rivière, puis il dit que, des deux, c’était lui le mauvais ; Pigsmeat était seulement celui qui sentait mauvais. 
(p. 306)


Des années plus tard, ils étaient devenus bien différents de ce qu’ils avaient été. Différents ou épurés, en quelque sorte, pour être plus conformes aux choses qu’ils portaient dans le cœur. Ensemble – toujours ensemble -, ils entamèrent une existence misérable et ils continuèrent comme des miséreux pendant une décennie, et puis encore un peu plus. Des années de labeur, de faim, de querelles. Et de sang. Six hommes tués dans une cantina, aux abords du Llano Estacado. Un autre lors d’une dispute au sujet d’une coupe de cheveux. D’autres encore. La réputation de Tom Hawkins, et celle de Pigsmeat Spence, pour ce qu’elles valaient, s’étaient nourries de violence. (p. 67)

Pigsmeat leva les bras au ciel. Comme s’il voulait redistribuer les étoiles pour qu’elles suivent un cours plus favorable au destin des deux hommes. (p. 88)


Quand tu as derrière toi autant d’années que moi j’en ai, tu te mets à penser à tous les pas que tu as fait pour arriver là où tu te trouves, et tu te mets à penser à tous les pas qui te restent à faire. Et tu t’aperçois que le premier nombre ne cesse d’augmenter tandis que le second ne cesse de diminuer. Il s’amenuise. Tu te dis que si tu veux retourner dans un endroit que tu as bien aimé à une certain époque, eh bien, tu ferais peut-être mieux de te mettre en route avant de tomber carrément à court de pas. (p. 218)


La douleur, chose incroyable, empira. Des scies s’attaquaient à son crâne. Chaque bruit éclatait, vrillait, se répercutait en lui, dans tout son corps, et il n’était plus qu’une cavité venteuse secouée par la souffrance. Si ses mains avaient été suffisamment grades et puissantes, il aurait serré les poings autour de sa tête pour l’écraser et en extirper la douleur. Il se demanda s’il n’était pas déjà mort et s’il n’était pas maintenant torturé dans quelque enfer étrange. Il haletait et gémissait car exprimer cette douleur – l’articuler, même tout bas, dans des voyelles arrondies et des consonnes aplaties, dans des sons animaux qui ne correspondaient à rien dans la grammaire des hommes-, c’était envoyer une partie de ce tourment à l’extérieur de lui-même. L’émettre dans l’atmosphère où, peut-être, elle se disperserait et le laisserait tranquille. (p. 186)

Il n’y avait pas moyen d’arrêter une chose comme celle-là une fois qu’elle avait commencé, dit-il, et ça avait commencé avant même qu’ils aient franchi cette porte. Il expliqua que, vraisemblablement, tout cela avait été déclenché des années plus tôt et, levant le menton pour désigner les morts étendus par terre, il dit que c’était une des conséquences de la construction d’une nation. (p. 80)

Tom […] répliqua qu’il y avait une différence entre essayer de se débrouiller tout simplement et tailler en pièces le pays avec une immonde bande de canailles. […] l’Amérique ne savait pas encore ce qu’elle était, elle ne savait pas quoi faire, ni dans quelle direction aller. Elle était encore jeune, elle se cherchait encore, mais la promesse qu’elle recélait avait d’autres ambitions qu’emprunter une voie comme celle de Kirker. Il dit que c’était en tous cas ce qu’il espérait parce que la voie suivie par Kirker était celle d’une bête sauvage et non celle d’un homme. (p. 317)

Et quand il apparaît que ces petits boniments étaient tous complètement faux ? Eh bien tu en as un petit peu le souffle coupé. Peut-être que tu passes une nuit ou deux sans dormir parce que, au fond de ton cœur, tu as toujours su exactement quel genre d’homme ce type était pendant tout ce temps, et tu n’as jamais rien fait pour essayer de l’aider. Tu n’as jamais essayé de l’aider à être un homme meilleur parce que, peut-être, tu ne sais pas toi-même comment on y parvient. Bon sang, peut-être même que tu l’as encouragé à rester comme il était parce que tu trouvais ça divertissant. Parce que tu trouvais ça drôle. Et puis tu te rends compte que tu n’as jamais considéré ce type en tant qu’homme à proprement parler. Pas en tant que véritable être humain, tu vois, mais seulement comme un personnage. Juste un cadre dans lequel tu accroches tes fantasmes qui te permettent d’accepter plus facilement le monde et la place que tu y occupes. (p. 197)


Si la Mort n’est rien d’autre qu’un grand rassemblement, alors ce que j’ai connu de la vie est son contraire. La vie, c'est la solitude, et rien d’autre. (p. 100)

Un esclave n’est rien d’autre que cela. La propriété d’un rêveur. (p. 325)


Le sang comprenait et le sang se souvenait, car le sang garde en lui ses propres origines – profondes, chaudes et préservées à l’intérieur de son stroma et de son sel – et il n’oublie rien de ce qui y a été inscrit. Le sang de sa mère, ainsi que celui des parents de sa mère, était le sang de Flora, il le serait toujours et peut-être qu’un jour il serait celui d’une autre femme également ; grande et belle de toutes les manières possibles. Connue de Flora et la gardant dans sa mémoire ou non. Quant aux hommes, les pères, il était impossible d’avoir la moindre certitude à leur sujet. Et il n’y avait nul besoin d’eux. Au-delà du servie initial qu’ils lui rendaient, le sang n’avait pas besoin d’eux. Non, il n’en avait pas du tout besoin. (p. 117)

Lance Weller - Les marches de l’Amérique (Gallmeister, 2017)

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