Méfiez-vous des personnes qui prétendent ne pas vous juger : elles l'ont déjà fait

Andrew Esiebo - Who we are Series, 2010, montre des homosexuels dans leur intimité, valorisant la multiplicité de leurs identités, à l’encontre des stéréotypes


Qu'est-ce qu'au juste qu'une rumeur ? L'illusion d'un secret collectif.

Méfiez-vous des personnes qui prétendent ne pas vous juger : elles l'ont déjà fait, peut-être plus durement que les autres, même quand elles sont sincères, surtout quand elles sont sincères.

Gay : voilà bien le seul linge sale qu’une famille était heureuse et soulagée de laver en public, avec le secours de toutes les mains qui venaient frotter, frotter, frotter jusqu’au sang l’ignoble tache faite sur l’honneur et sauvegarder ce qui leur importait le plus : l’image qu’elles renvoyaient dans le petit ballet d’ombres de nos insignifiantes existences. Personne ne supporte la honte.

Ce sont de purs hommes parce qu'à n'importe quel moment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s'abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu'elle utilise pour s'exprimer: culture, religion, pouvoir, richesse, gloire... Les homosexuels sont solidaires de l'humanité parce que l'humanité peut les tuer ou les exclure. On l'oublie trop souvent, ou on ne veut pas s'en souvenir: nous sommes liés à la violence, liés par elle les uns aux autres, capables à chaque instant de la commettre, à chaque instant de la subir. Et c'est aussi par ce pacte avec la violence métaphysique que chacun porte en lui, par ce pacte, autant que par tout autre, que nous sommes proches, que nous sommes semblables, que nous sommes des hommes. Je crois à la fraternité par l'amour. Je crois aussi à la fraternité par la violence.

Certains trouvaient ça admirable: voyez-les donc, ces braves gens! Ils rient malgré tout! Ils défient la mort par leur foi en la vie ! L'honneur dans la pauvreté, etc ! [...] Je dis, moi, qu'on n'érige de statues qu'aux morts, aux héros ou aux tyrans

Je ne hais pas ces gens, je ne souhaite pas leur mort, mais je ne veux pas que ce qu’ils font, ce qu’ils sont, soit considéré comme normal dans ce pays. Si c’est ça, être homophobe, j’assume de l’être. Chaque pays a des valeurs sur lesquelles il s’est construit. Nos valeurs ne sont pas celles-là. Tout simplement. On ne peut pas les accepter comme quelque chose de banal, ce serait le début de notre mort, une trahison de nos ancêtres et de nos pères spirituels. Pire : une trahison de Dieu. Pour moi, c’est clair : si une minorité menace la cohésion et l’ordre moral de notre société, elle doit disparaître. Au moins, elle doit être réduite au silence, par tous les moyens. Ça peut te sembler cruel, inhumain, mais il n’y a pas plus humain, Ndéné. Écarter ceux qui gênent, par la violence s’il le faut, pour protéger le plus grand nombre et sauvegarder sa cohésion, il n’y a pas plus humain. C’est presque un instinct de conservation, de survie.

Le dernier des imbéciles est capable de donner un avis superficiel sur un sujet qui lui est étranger. Or c’est parler des choses qu’il faudrait, je veux dire de l’intérieur des choses, de cet intérieur inconnu, dangereux, qui ne pardonne aucune imprudence, aucune bêtise, comme un terrain miné…

Ce n’est pas un subit élan de piété retrouvée, mais un beau regain d’amour filial qui me donna la force d’aller à la mosquée. Voilà bien longtemps que je ne priais plus. Mais pour mon père, j’étais prêt à faire un peu de comédie. Je ne pratique plus, même si je crois encore en Dieu, à supposer qu’Il existe. En public, naturellement, je ne dis pas les choses ainsi. Je ne suis pas le seul. Nous sommes très nombreux dans ce pays à être de formidables comédiens sur la scène religieuse, histrions déguisés, masqués, grimés, dissimulés, virtuoses de l’apparence, jouant si bien que nous arrivons non seulement à duper les autres, mais à nous convaincre nous-mêmes de l’illusion que nous créons.


Mohamed Mbougar Sarr - De purs hommes (Philippe Rey, 2018)

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