Killers of the Flower Moon, David Grann
Des indiens au volant de voitures dernier cri, habillés comme des princes, propriétaires de maisons cossues tenues par des domestiques blancs, leurs enfants placés dans les meilleures écoles...
En ce début des années 1920, en Oklahoma, les Osages vivent comme des milliardaires. Et pour cause : ils sont, à cette époque, les Américains les plus riches du pays.
Une cinquantaine d’années plus tôt, après lui avoir confisqué ses terres ancestrales dans la vallée du Mississippi, le gouvernement a relégué le peuple Osage en Oklahoma, où les terres arides étaient délaissées des colons blancs.
Alors que l’État les spoliait de leurs terres et s’octroyait autoritairement la propriété du sol de leur nouveau territoire, les représentants osages ont réussi à négocier la propriété du sous-sol. En outre, leurs lois étaient ainsi faites que seul un autre Osage pouvait hériter d’un Osage.
Et voilà que, quelques années plus tard, il s’avère que si la terre est effectivement sans grand intérêt, le sous-sol, lui, vaut son pesant d’or... noir. Les nombreux et prolifiques gisements de pétrole souterrains représentent une manne de plusieurs milliards de dollars pour la tribu !
On imagine bien comment la situation a pu contrarier le gouvernement et faire des envieux parmi les colons. (tel est pris...) Ils sortirent donc de leur chapeau un arrêt fédéral obligeant les Osages à ce qu’un curateur (blanc, évidemment !) gère leur fortune, au prétexte qu’ils étaient incapables de leur faire eux-mêmes de façon raisonnable !!!!! Un curateur n’a pas hésité à affirmer que « les adultes résonnaient comme des enfants de six ou sept ans, et quand ils voient un nouveau jouet, ils veulent se l'acheter ».
De fait, les Osages ne pouvaient plus jouir de leur argent comme bon leur semblait ; ils se voyaient limités à quelques milliers de dollars de dépense par an, même s’ils avaient besoin de fonds supplémentaires pour financer l’éducation de leurs enfants ou payer les frais de santé.
Dans un tel contexte, inutile de préciser que les curateurs qui « géraient » les fortunes osages se sont largement servis au passage, puisant allègrement dans les fonds qui leur étaient confiés.
À cet égard, il semble que Mollie soit privilégiée : Osage, elle a épousé Ernest Burkhart, un blanc ainsi devenu son curateur (les unions mixtes étaient courantes alors, pas toujours pour une question d’amour). Elle peut donc disposer de son argent comme elle le souhaite.
En mai 1921, après plusieurs jours, Anna, la sœur aînée de Mollie, n’est toujours pas rentrée à la maison. Ce n’est que des jours plus tard que son corps sera retrouvé en contrebas d’une ravine, une balle dans la tête. Avec cette mort violente débute le Règne de la Terreur, ainsi que les Osages désignent cette période funeste.
Dès lors, pendant plusieurs années, des dizaines d’Osages vont trouver la mort de façon plus ou moins suspecte, mais toujours violente : poison, armes blanches, armes à feu, explosifs... (faites votre choix, c’est open bar !) Parmi eux, la mère, la seconde sœur et la fille de Mollie, qui au bout de quelque temps se retrouve seule survivante de sa lignée !
Face à la panique qui s’empare de la tribu et au manque criant de résultat de la police (on pourrait même parler d’inaction), les familles recrutent détectives privés et avocats. Sans plus de résultats. Pire, certains sont aussi trucidés impunément
J. Edgard Hoover, jeune (et ambitieux) responsable du tout nouveau BOI, Bureau of Investigation (futur FBI), va voir dans cette affaire qui fait grand bruit à travers le pays, l’occasion de démontrer l’efficacité redoutable de son organisation. Et effectivement, son meilleur agent, Tom White, un ancien Texas Ranger, va peu à peu mettre à jour une conspiration de grande ampleur et arrêter les responsables.
Members of the Osage tribe alongside prominent local white businessmen and leaders, 1924 (Courtesy Archie Mason) |
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Tous ces événements se sont déroulés il y a cent ans, à peine (c’est à dire hier ; pour les gens de ma génération, les victimes auraient pu être nos grands-parents et/ou arrière-grands-parents), et je n’en avais jamais entendu parler jusqu’ici. Pire, je n’aurais jamais imaginé les membres d’une tribu indienne vêtus comme les Européens de la haute société de l’époque, encore moins conduisant les derniers modèles automobiles.
À partir d’archives et de témoignages, David Grann déroule une enquête qui tient à la fois de la detective story, du roman noir et du document historique.
Le récit commence comme un roman, avec les affaires qui ont initié le Règne de la Terreur, notamment celle de Mollie et de sa famille, et, plus largement, revient sur les discriminations racistes imposées aux Osages (et aux amérindiens dans leur ensemble) par les descendants du Mayflower. C’est l’éternelle histoire du colonialisme, qui considère systématiquement les autochtones comme inférieurs et les contraint arbitrairement et brutalement à renoncer à leur identité culturelle pour adopter celle de l’envahisseur.
Dans une seconde partie, Grann se concentre sur l’entrée en scène du BOI, d’où émerge la figure héroïque de White, parangon de droiture et d’honnêteté, au milieu d’un nid de serpents infesté par les combines et la corruption à tous les niveaux : flics ripoux, avocats et politicards véreux, jurés vendus, sans parler des rares témoins victimes d’intimidation, au mieux, envoyés ad patres, au pire. Ce sont aussi les prémices des méthodologies modernes d’investigation (dont certaines importées de France) qui donneront naissance à la police scientifique.
Enfin, dans une dernière partie, Grann renfile son costume de journaliste et part à la rencontre des descendants des disparus. Bien que l’affaire ait connu un dénouement, Grann montre comment les familles ont été marquées sur plusieurs générations, notamment parmi celles qui attendent toujours des réponses à la perte de l’un des leurs. Il va également découvrir lors de son enquête que contrairement aux apparences, le Règne de la Terreur s’est poursuivi au-delà de l’inculpation des coupables... et même qu’il avait commencé bien avant 1921 : plus de 600 Osages auraient été victimes de la cupidité des blancs !
J’ai dévoré la première partie d’une traite ou presque, tant j’étais emporté par les événements.
J’ai connu un coup de mou quand est arrivée l’heure du procès. (et là, au risque de me ridiculiser, je vous avoue que, d’après le titre, j’avais déduit que le massacre des Osages était l’œuvre du futur FBI qui comptait ainsi asseoir son autorité sur le pays !)
Ma lecture a encore souffert de quelques longueurs ensuite, mais les témoignages des descendants ont relancé la machine.
Même si ça n’a pas été un coup de cœur pour moi, Killers of the Flower Moon (La note américaine, aux Ed. Globe pour la VF) est une lecture aussi édifiante qu’elle est révoltante. Démonstration est faite une fois de plus que l’être humain vil, cupide et envieux, ne peut se satisfaire du bonheur des autres.
Extraits de documents originaux du FBI sur les Osage Indian Murders, disponibles ici
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Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Ingannmic
Killers of the Flower Moon: The Osage Murders and the Birth of the FBI - Extraits
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« L’auteur a fait un énorme travail de recherche et d’enquête. L’écriture du roman est tellement fluide que ce livre se lit comme un thriller. On veut savoir qui a fait le coup ! [...] J’ai trouvé cette enquête doublement intéressante, car l’on y découvre la vie des Osages mais aussi le fonctionnement des juges et des enquêteurs de l’époque. Le lancement plus que douteux du F.B.I est intéressant à connaître. Le livre est agrémenté de photo des protagonistes, ce qui apporte un plus au récit. » Chinouk
« J’ai dévoré ce livre ! [...] David Grann montre le racisme tenace qui frappait les Indiens et a permis à leurs meurtriers d’opérer des années sans être inquiétés. [..] En plus d’être une investigation passionnante, David Grann exprime l’angoisse de ce peuple, qui revit ici une nouvelle forme d’extermination. » Electra
« La recherche passionnante menée par David Grann se dévore comme un roman noir, mais de nombreux documents et surtout des photos, permettent de ne pas oublier que tous les protagonistes ont vécu, ont eu une famille, des enfants, des amis, et que certains ont été assassinés de manière odieuse. [...] Un formidable travail de documentation, mis en forme de manière parfaitement construite, sur un épisode méconnu de l'histoire des États-Unis : à lire, incontestablement. » Kathel
« En plus de parler de crimes révoltants, ce livre fait revivre l'ambiance de ces années fin 19ème début 20ème, les traditions des Osages, l'époque où l'on avait une conception élastique de la loi et une façon expéditive de se débarrasser des gens, où les villes poussaient comme des champignons, où la police fédérale était à ses débuts. Une sorte de Far West dans ses derniers moments. C'est absolument fascinant et à découvrir bien évidemment. » Keisha
« C’est dans une colère rageuse que j’ai tourné la dernière page de La note américaine. J’ai dévoré cette enquête, à la fois fascinée et révoltée. Tant de corruption et d’exploitation sont inimaginables. Le journaliste américain David Gran a le tour d’harponner son lecteur. Dès les premières pages, il entre dans le vif du sujet...
[...] David Grann a consacré plusieurs années de sa vie à passer au peigne fin les archives et à décortiquer ce dossier. Ce travail de recherche méticuleusement documenté est passionnant à lire de bout en bout. Les faits, les témoignages et les photos donnent froid dans le dos. À savourer comme un excellent roman policier, à la différence près qu’ici, tout est (malheureusement) vrai. Indispensable. » Marie-Claude
« Ce récit, c'est un rapport circonstancié, terrible, édifiant, révoltant, morbide. L'auteur parvient, tout en gardant une distance, à véritablement faire vivre les protagonistes, à rendre le contexte. Pas seulement le contexte de l'enquête, le contexte américain. [...] Ce livre est passionnant malgré l'horreur du sujet parce qu'il raconte aussi cette période de changements, et ce avec précision. [...] Une lecture indispensable pour qui s'intéresse à l'histoire américaine. » Marilyne
David Grann - Killers of the Flower Moon:
The Osage Murders and the Birth of the FBI (Doubleday, 2017)
Édifiante, le terme est juste. C'est vrai que le rythme est parfois inégal (et je me suis un peu perdue parfois parmi certains personnages secondaires), mais une fois le livre refermé, ce qu'on en garde c'est à la fois un sentiment d'horreur, et aussi un immense attachement pour ces Osages. J'ai beaucoup aimé Tow White aussi, je me suis demandée si l'auteur n'avait pas un peu exagéré sa "pureté"... il est à peine crédible, au milieu de ce nid de guêpes... Ravie en tous cas d'avoir eu l'occasion de découvrir ce titre en ta compagnie, et bravo pour la lecture en VO !
RépondreSupprimerMa (déjà faible) foi en l'être humain en est ressortie bien écornée... Comme je l'ai dit chez toi, c'est une page peu glorieuse de l'histoire des États-Unis qu'on n'enseigne pas à l'école (tout du moins chez nous).
SupprimerMerci de m'avoir proposé cette LC. Tu m'as permis de faire une très intéressante découverte. On remet ça quand tu veux ;-)
Ah, je comprends ton coup de mou. Au contraire de toi, j'ai été très intéressée par la partie sur le procès, j'attendais le " dénouement " ( les mécanismes de la responsabilité ) et je me posais des questions sur la façon dont cela allait être géré dans ce contexte. Comme tu l'as lu dans ma chronique, sans être passionnée de l'histoire des USA, ce qui ce raconte sur cette " naissance du FBI " et le fonctionnement de la justice a beaucoup ajouté à l'intérêt de ma lecture. David Grann sera présent aux Quais du Polar, je suis impatiente de l'écouter.
RépondreSupprimerCe qui est également édifiant sur la naissance du FBI, c'est que l' "hydre à mille têtes" a pu se développer parce que le terreau local était fragilisé par la corruption. Et quand on sait ce qu'Hoover en a fait ensuite...
SupprimerJe ne me souviens pas avoir senti de coup de mou, j'étais fascinée par cette enquête, et c'est vrai que la fin avec les témoignages des descendants en fait un travail vraiment très complet.
RépondreSupprimerCe qui est poignant dans cette dernière partie, c'est de savoir que les exactions aveint déjà commencé bien avant l'assassinat d'Anna et se sont poursuivies encore bien après le procès censé régler l'affaire.
SupprimerExact, une histoire complète. On en apprend beaucoup, et pas du plus reluisant!
RépondreSupprimerPour le coup, c'est vrai que ce n'est pas joli joli...
SupprimerBillet très complet! Oui, je me souviens de le lire (j'étais en vacances en Guadeloupe) et de me dire que c'était pas possible cette histoire, tellement dingue et pourtant ... du coup, j'ai hâte de voir l'adaptation !
RépondreSupprimerJ'ai lu un autre de ses récits et je compte acheter le prochain très bientôt mais là je fais une pause...
En tout cas, grâce à lui, un pan de l'histoire est sorti de l'oubli !
Le contraste devait être saisissant entre la douceur de vivre caribéenne et les outrages infligés aux Osages :-)
SupprimerJe me demande aussi ce que donnera l'adaptation, même si je ne suis pas très pressé de la voir.
Pas besoin d'avoir de coup de coeur avec un tel livre il me semble, c'est tout simplement une lecture aussi nécessaire qu'incontournable, ce qui justifie largement que l'on s'y plonge.
RépondreSupprimerTu n'as pas tort... et même plutôt raison :)
SupprimerBonjour à tous. Un roman sur le même sujet a été écrit en 1990 par Linda Hogan : Mean Spirit. Il a été traduit en français sous le titre Le sang noir de la terre. Quelqu'un parmi vous l'a-t-il déjà lu ?
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour l'info. Je ne connaissais pas ce roman qui pourtant avait été retenu pour le Pullitzer de fiction en 92.
SupprimerD'après le synopsis, il semblerait que l'auteur ait romancé l'histoire de Molly Burkhart. Ça vaudrait certainement le détour, je pense.