La séquestration, Nicolas Cano
« Même s’il m’arrive de proférer des incantations à haute voix, je sais que je ne suis pas encore fou. Je le sais clairement dans ma tête. Mais je sais aussi que la claustration a commencé son travail de sape. » (p. 86)
Le narrateur se réveille, seul, prisonnier d’une minuscule pièce aveugle, immaculée du sol au plafond, à peine assez grande pour y caser un lit.
Quel jour est-il ? Et d’ailleurs, est-ce le jour ou la nuit ? Comment est-il arrivé là ? Impossible de se souvenir des circonstances qui l’on conduit jusqu’ici.
Alors qu’il se résigne à l’idée que personne ne viendra jamais répondre à ses questions, il commence à organiser ses journées de captivité.
« C’est un truisme et une évidence toute bête de dire qu’un petit-déjeuner, un déjeuner et un dîner rythment la journée ordinaire d’un homme normalement constitué issu d’un pays de l’OCDE. C’est pourtant le genre de comptabilité absurde que je suis obligé de tenir pour ne pas devenir fou. » (p. 20)
Il apprivoise le fonctionnement du distributeur automatique de nourriture encastré dans le mur, essaie de gérer tant bien que mal le défilement du temps passé grâce à la minuterie du four micro-ondes, tente de fixer ses vagues souvenirs par la consultation de Wikipédia et Google Maps, seuls sites auxquels lui donne accès la connexion internet de l’ordinateur posé sur un coin du minuscule bureau.
« Dans l’extravagance d’un monde à l’envers où le temps est tout à coup sens dessus dessous, il y avait pour moi une forme de logique à accepter l’idée d’un matin liminaire. Un matin zéro. Une sorte de postulat, en somme. Pour autant, je n’avais jamais réfléchi à l’éventualité d’un temps indéfiniment neutre où le jour et la nuit n’auraient plus été que des représentations mentales nécessitant un séquençage artificiel […] » (p. 29)
L’homme, dont on ne sait pas grand-chose, pas même le nom, sinon qu’il est journaliste, se souvient que certains de ses confrères ont disparu lors des « Événements ». Est-il à son tour une victime de ces disparitions ? Seules quelques bribes de souvenirs font surface de temps en temps, comme autant de sources d’incertitude aggravant sa paranoïa et son chaos mental.
Avec les quelques moyens à sa disposition, il va tenter de reconstituer la suite des événements qui ont précédé son enfermement.
Amateurs/trices de récits paranoïaques, La Séquestration est pour vous.
Qui est réellement cet homme ? Est-il piégé dans un réduit conçu par l’esprit pervers d’un psychopathe comme il le suppose ou est-il plus raisonnablement détenu dans la cellule d’une prison ou d’un établissement psychiatrique ? N’est-il pas simplement emprisonné dans son propre esprit ?
« Au nombre des hypothèses, il n’était pas exclu que je me sois lancé dans quelque chose d’absurde. Je pouvais avoir choisi d’être mon propre cobaye dans l’appropriation d’une démarche warholienne dont le concept aurait consisté à me laisser filmer quarante-huit heures d’affilée sous les caméras miniatures d’un couple de vidéastes que je suivais depuis quelques semaines. Leur travail sur le détournement de la vidéosurveillance m’avait tellement passionné que j’avais décidé de leur consacrer une suite d’articles. » (pp. 33-34)
Quelle est la nature des « Événements » auxquels l'homme fait allusion ? Son jeune filleul, dont la beauté impudente de l’adolescence savait l’émouvoir, est-il impliqué ? Et la gardienne de son immeuble, que vient-elle faire dans cette histoire ?
Dans ce court récit où il navigue dans l’esprit confus d’un total inconnu, le lecteur ne cesse de remettre en perspective les informations qui lui sont données, de leur chercher un sens, d’échafauder des hypothèses qui puissent l’aider à comprendre où se trouve cet homme, comment et pourquoi il se retrouve cloîtré.
La 4e de couverture évoque Kafka et Bolaño ; n’ayant lu ni l’un ni l’autre, je ne saurais dire si ces références tutélaires prestigieuses sont pertinentes ou non.
C’est un récit bien différent de son premier roman que publie, dix ans plus tard, Nicolas Cano.
Si on y retrouve un personnage central en butte avec des événements liés à l’actualité, et sous le charme d’un jeune garçon insouciamment provoquant, l’atmosphère claustrophobe de La Séquestration tranche avec celle, mélancolique et lumineuse, de Bacalao (hormis les parenthèses vénitiennes).
Nicolas Cano - La Séquestration (Grasset, Coll. Le Courage, 2019)
Alors là, non merci, la séquestration ne me fait pas du tout du tout du tout envie, désolé^^
RépondreSupprimerah pareil pour moi ! j'ai encore fait une mini crise ce matin dans le tram bondé (et les vitres pleines de buée) donc non je passe mon tour ....
Supprimer@Jérôme : tant pis :)
Supprimer@ Electra : viens avec moi dans la ligne 13 du métro parisien, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, et tu verras que ton tram, c'est une berline de luxe !! :D :D
Ça doit être assez anxiogène comme lecture .. Mais j'aime assez ce genre d'histoire et je vais y jeter un oeil, voire plus .. (Aifelle)
RépondreSupprimerC'est plutôt déstabilisant, enfin, pour moi, ça l'a été.
SupprimerEuh, j'ai peur que ce soit un peu trop stressant pour moi, mais c'est une belle écriture.
RépondreSupprimerC'est effectivement bien écrit, avec style.
SupprimerJ'aime être déstabilisée par une lecture, faut voir... Et pourtant je suis terriblement claustrophobe.
RépondreSupprimerSi ça peut te décider, sache (sans que je ne spoile rien de ta lecture) que tu "sortiras" par moment de cette pièce, quand le narrateur se remémore des événements qui se sont passés avant qu'il ne se réveille là (dont de belles images ensoleillées de Venise).
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