Les guignols de l'info

Une des affiches placardées lors des manifestations de mai 68



En 1967, on a connu 2'35 de bonheur.
52 ans plus tard, je viens de vivre 2’36 de vide abyssal...

Grâce à (plus exactement : à cause de) ma collègue, j’ai fait la rencontre non pas du 3e type, mais du degré zéro de l’information littéraire.
Dans le cadre d’un travail de veille, elle écoutait le podcast du journal de 7h00 d’Europe1, de mardi dernier. Alors que le journal touche à sa fin, l’animateur lance le dernier sujet en grandes pompes : « Si vous avez toujours rêvé de visiter le bureau d’un écrivain, tiens, l’écrivain français le plus lu au monde, nous allons exaucer votre vœu ».
Et sa co-animatrice de renchérir à l’adresse du correspondant : « MachinChose*, invité exceptionnel pour la sortie de son nouveau livre Takalire*, vous a accordé un immense privilège : il vous a EXCEPTIONNELLEMENT ouvert les portes de son bureau à New York !!! » (les mots en majuscules sont fortement accentués à l'oral)
Avec autant de superlatifs en si peu de mots, moi, j’attends du lourd, de l’inédit, de l’intime.

Mais le journaliste, sans doute conscient du gouffre entre les attentes créées chez les auditeurs par ses collègues et la vacuité de son reportage, joue sa partition en mode mineur : « MachinChose* est pudique. Passé ses réserves, il a bien voulu livrer UN PEU de ses secrets de fabrication ».
Aïe, naïf que je suis, je sens que je me suis emballé et qu’il faut que je revoie mes attentes à la baisse... et encore, j’étais loin du compte.



Pour vous éviter de perdre votre temps à écouter ledit « reportage » dans son intégralité (ici pour les masochistes, de 7'00 à 9'26), je vous en livre les scoops ici. Attention, spoilers !

- Le bureau de MachinChose*, qu’il appelle son « atelier », occupe le dernier étage d’une jolie maison du West Village. Et le reporter de préciser que ce quartier, originellement peuplé d’artistes et de rebelles, est aujourd’hui un des plus chers de New York (y’a rien qui vous choque, là ? Pour moi, à ce tarif-là, c’est un artiste et un rebelle en carton)

- New York est une ville kaléidoscope, source d’inspiration infinie pour l’écrivain qui se dit fasciné par « la diversité des communautés, des gens, des modes de vie... » (pas besoin de traverser l’océan pour trouver ce genre d’ambiance. Si on "choisit bien" son quartier, on a la même chose à Paris et certainement dans pas mal de capitales européennes)

- Pour écrire, MachinChose* ne se met pas toujours derrière son ordinateur. (non ??!!?) Là, je m’attendais à un laïus sur les plaisirs de l’écriture manuscrite, le toucher du papier, bla bla bla. Que nenni ! MachinChose* utilise une des machines à écrire de sa collection !!!! D’abord parce qu’il trouve ça sensuel [bruits de machines à écrire en fond sonore] (sensuel, de taper sur des touches ?!? MachinChose* nous dévoilerait-il inconsciemment son penchant pour le BDSM ?) Mais surtout, il a découvert qu’il y a « un lien entre l’outil et le rythme de l’écriture ». Quésaco ? Quand il veut ralentir le rythme, lors de longs passages de narration, il passe à la machine à écrire. C’est pour lui, « une façon agréable de sculpter la matière ». (et vlan, vas-y que je te glisse une 2e référence au monde artistique)

- Dernier détail croustillant : le reporter clôt son sujet en notant que « le bureau de MachinChose* est baigné de lumière », puis croit bon de préciser : « En période d'écriture, c'est la nuit qu'il y passe le plus de temps ». (on voit, là, combien l'info est capitale. Moi, ça me renvoie une image peu flatteuse de l'auteur : celle d'un type blindé aux as, qui dépenserait un fric monstre dans un super bolide de course qu'il utiliserait uniquement pour aller chercher son pain le matin)

On n’en saura pas plus (ooooufffff!) : à sa question, « Avez-vous autre chose à partager ? », le pauvre journaliste se verra rétorquer un « Non, c'est déjà pas mal  » sans appel. Et effectivement, c'est déjà pas mal. C'en est même déjà trop, en fait.



Je sais qu’il n’est jamais évident de faire de la promo sous couvert d’information, mais là, on a décroché la palme. (alors même que la compétition du Festival de Cannes vient tout juste de commencer)
Le nouveau livre de MachinChose* qui sort ce même jour vaut-il la peine qu’on dépense plus de 20 € ? Qu’attendre du style ? Comment ce nouveau roman s’inscrit-il dans le catalogue de l’auteur (ooops, pardon : l’œuvre de l'artiste) ? Pour le savoir, il faudra aller chercher de la vraie info ailleurs (sur les blogs, par exemple ?)
De toute évidence, pas sur Europe 1 qui sert la soupe. La descente aux enfers de la station n’en finit plus : des audiences au plus bas, sous la barre des 6 points, plus d'un million et demi d'auditeurs perdus en 5 ans... (non pas que ça me chagrine plus que ça, je ne suis pas de leurs auditeurs) Ce n’est certainement pas avec ce genre de « reportage » que la situation risque d’évoluer pour le mieux.

* Les nom et prénom de l'auteur, ainsi que le titre de son nouveau roman, 
ont été modifiés pour préserver son anonymat  
(le pauvre n'y est pour rien, et en plus, contrairement à Europe 1,
 je ne suis pas obligé de faire sa promo alors que je n'en ai pas envie)

Commentaires

  1. Merci, tu m'as bien fait rire (même si c'est finalement plutôt triste...) !

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  2. Je devine en gros de qui il s'agit (si ce n'est lui, c'est l'autre). Et je demeure fidèle à France Inter (même si on fait de la promo aussi, par exemple de 11 à 12, mais pas grave, hier c'était Dugain, j'aime bien.)
    Sinon, t'a France musique...

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    1. Qu'il s'agisse d'untel ou d'untel n'est pas la question ici (quoique des auteurs moins marquetés que MachinChose auraient peut-être refusé de jouer le jeu de ce genre de promo).
      Ce qui m'attriste, pour ne pas dire me consterne, c'est la multiplication de cette communication par le vide. Comment faire du vent à partir de rien et faire passer le tout pour de l'information.

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  3. Héhé, excellent ! Merci de nous apporter toutes ces informations hautement importantes qui manquaient à notre culture... ;-)
    La télé n'est pas mal non plus dans le genre degré zéro de l'information, avec des émissions qui ne font que servir la soupe aux auteurs, précisément les plus connus et médiatisés, ceux qui ont déjà des piles énormes qui bouchent la vue sur les autres livres dans les supermarchés. (je ne parle pas de la Grande Librairie)
    Heureusement que la presse écrite et les blogs mettent en avant d'autres titres !

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    1. Bien entendu, la télé n'est pas immunisée, bien au contraire. Je pense même qu'elle a été la première atteinte par ce virus.
      En fait, je pense que ce billet d'humeur est le résultat de la prise de conscience que j'ai eue que la radio, que je pensais encore crédible, soucieuse de la qualité de ses contenus, ne l'était plus, ou en tout cas, pas plus que la télé ou internet.

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  4. Je ne fréquente pas ce genre de radio, mais je me souviens de mon effroi pendant la longue grève des radios publiques il y a deux-trois ans en allant explorer ailleurs. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point on été tombés bas .. très bas. De quoi te dégoûter d'à peu près tous les sujets. En tout cas, tu m'as bien fait rire aujourd'hui, tu devrais faire ce genre de billet plus souvent :-) (Aifelle)

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    1. Le temps de cerveau humain disponible, cher à Le Lay, ne cesse de se réduire comme peau de chagrin.
      Je n'écoute pas la radio, de façon générale même s'il m'arrive parfois d'écouter quelques podcasts ici et là, mais rien de plus.

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  5. Merci pour cette chronique humoristique matinale. Je sais bien qu'il n'y a pas de quoi rire, mais vraiment on dirait un pastiche. Je pensais que le degré zéro de l'info avec tartine d'enfumage et de trémolos était réservé à la télévision ( Grande librairie comprise. Les sélections me laissent toujours dubitativesvet qd cette émission se mêle de littérature jeunesse, c'est au- delà du scandaleux ).

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    1. Avec l'écoute "sauvage" de ce podcast, je viens de perdre mes dernières illusions quant à la probité de la radio. On peut se consoler/se rassurer en se disant qu'il ne s'agit là que d'une "sorte" de radio... Sans faire dans l'élitisme et l'intello indigeste, il y a certainement moyen de tirer tout ça un peu vers le haut.

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  6. Je me suis bien marrée merci :-) Tout ça participe à une mise en scène de l'écrivain bien inutile. Je réalise que trouve toutes les informations dont j'ai besoin sur les blogs pour me faire une idée :-)

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