Lot, Bryan Washington
Houston, TX.
Son pétrole, son Space Center... C’est bien tout ce que cette ville m’évoquait jusque-là. (excepté peut-être le nom du héros d’une vieille série TV pourrie des années 80)
Heureusement, entre-temps, Bryan Washington est passé par-là.
Houstonian de cœur, ce jeune auteur de 26 ans a dédié son premier livre à sa ville, baptisant même chacune de ses 13 nouvelles du nom d’une des rues ou d’un de ses quartiers de prédilection : Lockwood, Alief, 610 North 610 West, Bayou, Peggy Park, Waugh...
Mais, le Houston de Washington, plus que les lieux, ce sont surtout leurs habitants, et plus particulièrement les immigrants mexicains, jamaïcains... qui peuplent les quartiers multi ethniques, avec tout ce que cela sous-entend de solidarité entre les différentes communautés, mais aussi de pauvreté, de problèmes de visas expirés, d’identité, de racisme, d’amour, de sexe, de familles dysfonctionnelles, d’addictions, de combines pour survivre...
Près de la moitié des nouvelles de Lot s’intéresse à une même famille, et plus spécifiquement au plus jeune des fils, un narrateur dont on ne connaitra le nom qu’en fin de recueil.
Enfant d’une mère noire et d’un père Latino, il travaille avec sa mère dans le restaurant familial. Son père, coureur de jupons invétéré, a déserté sa famille depuis belle lurette, sa grande sœur s'est éloignée pour se créer une vie de famille dans un climat qu’elle espère moins toxique, tandis que son grand frère, petit trafiquant de drogue, se la joue mâle alpha en le frappant à tour de bras.
Dans les autres textes du recueil, on fait connaissance avec certains personnages de ce quartier de l’East End de Houston, la plupart marginaux parmi les marginaux : une femme mariée venue de Jamaïque qui entretient une liaison torride avec un jeune blanc ; un groupe de jeunes prostitués qui doit gérer l’annonce de l’infection de son souteneur par le VIH ; un ado guatémaltèque paumé qui devient le chauffeur du dealer du quartier, qui le prend sous sa protection ; mais aussi des réfugiés, survivants de l’ouragan Harvey (qui a frappé le Texas fin août 2017), une équipe de baseball amateur pour le moins hétéroclite... sans oublier ces deux gamins qui s’imaginent devenir stars de la télé locale grâce à leur fabuleuse découverte : un chupacabra.
Voilà un magnifique recueil de nouvelles, toutes connectées entre elles. Lot, Stories peut donc se lire comme le récit d’apprentissage du narrateur principal, jeune métis à la recherche de son identité, sociale, raciale et sexuelle.
Bryan Washington nous plonge dans un monde grouillant de vie, de sons, d’odeurs (il y est beaucoup question de cuisine). Les conditions de vie n’y sont pas les plus favorables, mais les personnages font du mieux qu’ils peuvent pour s’en sortir et se créer un semblant de « chez eux ». Il évoque aussi le phénomène galopant de la gentrification de ces quartiers peu à peu colonisés par une population blanche plus huppée, et de la hausse des loyers qui s'ensuit, chassant les habitants d'origine qui n’ont plus les moyens de rester.
Observateur perspicace, l’auteur pose sur ses personnages un regard franc et honnête, se montrant indifféremment critique ou compatissant, sans en faire trop dans le pathos, la victimisation, ou la carte postale "exotique".
Il donne corps à des gens authentiques (et donc imparfaits), des laissés pour compte, et fait entendre leurs voix souvent inaudibles. Ces voix, Washington les reproduit telles quelles, ainsi qu’on pourrait les entendre au détour d’une rue, usant pour cela d’un argot mâtiné d’espagnol (ce qui lui vaut d’être souvent comparé à Junot Diaz) qui confère une rythmique particulière à son style.
Les histoires sont poignantes mais jamais désespérées, drôles parfois et toujours pleines d’espoir. Il s’en dégage une sorte d’urgence, comme si Bryan Washington nous livrait ses textes encore fumants, tout juste sortis de ses tripes. Mais sous leurs dehors brut de décoffrage, on devine tout le soin qui leur a été apporté. Sobres, ils disent beaucoup avec une économie d’effets.
Pour un coup d’essai, Lot, Stories est un coup de maître. J’attends avec impatience le prochain roman de ce jeune auteur plus que prometteur.
Lot, Stories - Extraits
Lot, Stories signe ma deuxième contribution au Mai en Nouvelles 2019,
initié par le duo franco-québécois de choc Electra/Marie-Claude.
Bryan Washington - Lot, Stories (Riverhead Books, 2019)
Et quand on ne lit pas l'anglais ? Comment fait-on pour découvrir ce petit génie ? Parce que, quand même, tu nous mets bien l'eau à la bouche.
RépondreSupprimerSoit on apprend l'anglais, soit on prie pour qu'un éditeur français ait la bonne idée de le faire traduire ;D
SupprimerPlus sérieusement, ce livre a toutes les qualités pour être traduit. Malheureusement, comme les Français sont peu friands de nouvelles, il se peut qu'il passe à la trappe (à moins que Terres d'Amérique...).
Mais si jamais le prochain livre de B. Washington est un roman qui cartonne, tu peux parier qu'il sera traduit en français et il est aussi fort probable que ce recueil de nouvelles le soit par la suite si le public français a plébiscité le roman. C'est un cas de figure qu'on a déjà vu.
Comment ça une vieille série TV pourrie ! D'abord, l'acteur était très mignon. Ensuite, je ne me souviens pas des histoires. Mais l'acteur était très mignon. Et pour Houston, tu n'as pas vu l'excellent film de François Reichenbach intitulé Houston, Texas ? Sinon, d'après ton billet, le livre est aussi super qu'il en a l'air.
RépondreSupprimerMignon ?!!! Nan, pas toi, tu ne peux pas me faire ça !!! Évidemment, il est très typé 80s, mais en plus il est d'un fadasse, je trouve...
SupprimerSinon, je ne connais pas Houston, Texas de Reichenbach. Je suis allé lire le synopsis et ça a l'air pas mal (précurseur de ces émissions de crimes et faits divers qui envahissent les chaînes TV ?)
Non mais, tu arrêtes?! Electra et toi n'arrêtez pas de me tenter avec des titres non traduits.
RépondreSupprimerDis donc, toi. Tu casses un mythe que je m'étais forgé : j'étais persuadé que 99,99 % des Québécois étaient bilingues... A moins que tu ne fasses partie des 0,01 % ;-)
SupprimerSinon, je peux copier/coller la réponse que j'ai faite plus haut à Krol :D
Tu es à fond dans les recueils de nouvelles, dis donc ! Ne connaissant pratiquement rien de Houston non plus, il pourrait m'intéresser, surtout si les nouvelles sont reliées entre elles.
RépondreSupprimerLe fait qu'on retrouve les personnages principaux d'une nouvelle sur l'autre (au moins pour la moitié) donne plus de cohésion au recueil qui s'apparente alors plus à un roman. En général, cette forme de recueil plait à un plus grands nombre de lecteurs, notamment sont qui n'aiment pas les nouvelles en général.
SupprimerEn fait, j'ai lu ces recueils le mois dernier en prévision du Mai en Nouvelles de Marie-Claude et Electra. Donc, je m'évertue à rédiger/publier mes billets tant que le challenge est actif :-)
Pour le moment, je fais une pause : je prends un peu d'avance et je lis un roman qui sera une LC à la mi-juin.