Tell the wolves I'm home, Carol Rifka Brunt
Aux États-Unis, les années 80 sont fortement marquées par les deux mandats de l’administration conservatrice Reagan. Après son cri de ralliement Let’s Make America Great Again en 1981, (même pour son slogan de campagne, Trump n’est pas allé chercher bien loin !) l’ancien acteur hollywoodien a voulu rendre son pays "Prouder, Stronger, Better" ainsi que le clamait en 1984 son clip de campagne It's morning again in America.
Ces 8 années Reagan se résument sommairement en une expansion de l’économie néo-libérale et une croisade contre l' "Empire du Mal", j'ai nommé : l’URSS et le communisme.
Alors, quand au tout début de ces années 80 sont apparus les premiers cas de ce qu’on nommera « peste rose », « cancer gay », avant que l’épidémie soit identifiée officiellement sous le nom de SIDA, le gouvernement Reagan a bien d’autres préoccupations que cette maladie des 4H (homosexuels, héroïnomanes, hémophiles et Haïtiens).
Act Up (Aids Coalition To Unleash Power), qui ne verra le jour qu'en juin 1987, va alerter l'opinion et finira par obliger les responsables politiques à s’impliquer dans la gestion de cette crise sanitaire.
C’est dans ce contexte social que disparait Finn Weiss, artiste peintre new-yorkais de renom.
Mais aux yeux de June, jeune ado réservée et solitaire de 13 ans, passionnée par le Moyen-Âge, Finn est avant tout son oncle vénéré, un parrain complice et confident, son seul véritable ami. Avec lui disparaît la seule personne qui semblait la comprendre. En sa compagnie, June se sentait importante et à part. Tout le contraire de ce que ses camarades d’école et sa sœur Greta, de deux ans son ainée, lui font sentir.
Autrefois proches, les deux sœurs ne cessent de se chamailler. Plus brillante et charismatique, Greta, qui répète pour le rôle vedette de la comédie musicale de son école, prend plaisir à rabaisser sa sœur et à la bombarder de piques acerbes à la moindre occasion.
Déjà extrêmement affaibli par la maladie, Finn a mis ses dernières forces dans la réalisation d’un portrait grand format pour lequel June et Greta sont venues plusieurs fois à New York, depuis leur banlieue du New Jersey, poser pour leur oncle.
Le jour des funérailles de son oncle, June découvre accidentellement l’existence de Toby, compagnon de longue date de Finn, que sa mère accuse d’avoir transmis à son frère le VIH responsable de sa mort.
Seul avec sa peine, envers et contre toute la famille de Finn, Toby tente d’entrer en contact avec June afin qu'ils partagent leur chagrin et des anecdotes sur la personne qui a le plus compté dans leur vie.
Après avoir vaincu sa méfiance et sa jalousie, June, en cachette de sa famille, va prendre de plus en plus de plaisir à ces rendez-vous secrets.
Roman de littérature générale ou jeunes adultes ? La frontière est ténue quand on lit Tell the Wolves I’m Home. Si on peut déplorer quelques longueurs ici et là et des situations parfois un peu trop attendues, ce roman ne manque pourtant pas de qualités.
Adolescente parmis tant d'autres, June vit dans l’ombre de la personnalité flamboyante de sa sœur. Transparente pour ses parents peu attentifs et peu présents, il n’y a qu’aux yeux de Finn qu’elle se sentait importante, écoutée, aimée.
Elle qui se croyait être la confidente privilégiée (voire unique) de son oncle, la seule avec qui il partageait ses virées aux musées, aux expos, au cinéma..., sa déception est immense quand elle découvre l’existence de Toby. Elle est blessée au fond d’elle-même que Finn lui ait caché cette relation et l’ait tenue à l’écart. Le connaissait-elle aussi bien qu’elle le pensait ?
(j’ai lu plusieurs chroniques dont les auteurs s’offusquent de la nature glauque et supposément contre-nature de l’amour de June pour Finn. Personnellement, je n’y ai rien vu d’autre que l’adoration d’une ado perdue pour un adulte qui la considère comme une personne à part entière. Et même s’il s’avérait qu’elle confonde cette affection pour de l’amour, cela reste toujours du domaine du platonique)
Si elle accepte avec réluctance de se rapprocher de Toby, c’est d’abord pour se mesurer à lui, comparer le volume de moments passés, d’anecdotes partagées, savoir lequel des deux « possède » le plus de morceaux de la vie de Finn... Finalement, c’est leur amour commun pour Finn qui va rapprocher Toby et June de façon beaucoup plus sereine
Toby m'a beaucoup ému. C'est une belle âme, vouée aux gémonies par les membres de la famille de Finn qui trouvent beaucoup plus confortable de rejeter sur lui leur culpabilité et leurs remords. Mais quitte à subir injustement l’opprobre des bien-pensants, il aura à cœur jusqu’au bout de tenir la promesse qu’il a faite à son homme, quel qu’en soit le prix à payer.
À bien des égards, Toby et Finn, ainsi que le regard porté par la société sur leur relation et l’épidémie de SIDA en général, m’a rappelé Longtime Companion (Un compagnon de longue date), de Norman René. (Un excellent film que j’ai justement vu pour la première fois dans un cinéma du NYC de ces années sombres, qui m’avait fait pleurer à chaudes larmes sur mon fauteuil.)
Enfin, j’ai également beaucoup aimé toute la trame du roman en rapport avec le dernier tableau peint par Finn, Dites aux loups que je suis chez moi, qui donne son titre au roman ; la façon dont Finn, lors de ses derniers jours, a cherché à réconcilier les deux sœurs auparavant inséparables, mais aussi comment, à travers son tableau, il va devenir un médiateur d’outre-tombe entre une mère (sa sœur) et ses deux filles (ses nièces), les rapprocher et leur permettre de renouer un dialogue interrompu depuis trop longtemps.
Aux accords de The Cure, Simon and Garfunkel, Depeche Mode, U2..., tou(te)s celleux qui comme moi étaient ados dans les années 80 replongeront dans cette époque trouble et peu joyeuse où, alors qu’on découvrait tout juste l’amour et la sexualité, il a fallu se résoudre à l’idée qu’aimer pouvait condamner à mort.
Avec pour toile de fond le deuil et le SIDA, Tell the Wolves I’m Home est un beau roman d’amourS : filial, sororal, maternel, adolescent, gay...
Tell the Wolves I’m Home est paru en 2015 chez Buchet-Chastel et en 2016 en 10/18, sous le titre Dites aux loups que je suis chez moi.
Tell the Wolves I’m Home - Extraits
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« Avec ce premier texte, Carol Rifka Brunt nous propose un roman d'apprentissage sensible et prenant qui évoque de manière très fine les relations fraternelles et sororales, à l'adolescence, mais aussi à l'âge adulte. Elle crée une atmosphère particulière, ouatée, évoquant le monde secret de June qu’elle s'est créé dans un bois où l'on entend hurler des loups, les secrets des adolescentes, délaissées par des parents aimants mais trop pris par leur travail, et aussi, par petites touches la honte et les peurs qui entachent le sida. Un texte qui vous prend tout de suite par la main et qu'on ne peut lâcher. » Cathulu
« C’est un premier roman qui a le don d’étudier à la loupe les relations intra-familiales et qui réussit à pointer du doigt ces silences, ces non-dits, ces secrets qui viennent mettre à mal la famille. La romancière gratte le vernis, comme celui du portrait des deux sœurs, réalisés par leur oncle avant sa mort. Au final, j’ai découvert un style fluide, plaisant et une auteure prometteuse, “à la plume sensible et puissante”, même si j’ai ressenti à plusieurs reprises quelques longueurs et que je n’ai rien éprouvé pour l’oncle ou pour Toby, ce que je trouve fort dommage. Malgré tout, je n’hésiterai pas à lire son prochain roman » Electra
« L'histoire est simple - comme souvent dans les excellents livres qui au lieu de multiplier les effets, se concentrent sur l'essentiel : la justesse et émotion. [...] De nombreux thèmes sont abordés avec une immense subtilité : l'adolescence, la place de l'art et la manière de se l'approprier, les liens familiaux, le regard de la société sur les êtres différents. » Élodie Kretz
« Il y a beaucoup d’amour dans ce roman. [...] Et ce portrait de June et Greta, qui sera la dernière peinture de Finn, comme une dernière volonté de rapprocher les deux sœurs, lui qui indirectement aura fissuré leur relation, et de recréer une unité familiale – ce portrait que la mère et les deux filles s’approprieront à leur manière, d’une façon originale et touchante. Dites aux loups que je suis chez moi est donc une très belle surprise, un livre que j’ai dévoré et qui évoque des thèmes forts, sans pathos mais avec beaucoup de tendresse et de pudeur. » Eva
« Si j’ai été touchée et agréablement surprise par la représentation de l’arrivée du sida dans les années 80, et des images erronées qu’elle véhiculaient, qui sont très justes, d’autres épisodes entre June et sa sœur, ou entre June et Toby, m’ont semblé répétitifs, et sans grand intérêt. Quant à la fin, elle ne m’a rien apporté de plus. C’est dommage, parce que, bien que transcrivant les pensées de l’adolescente, l’écriture n’est pas mièvre, et touche souvent son but » Kathel
« Un premier roman doté d’une magnifique plume parfaitement maîtrisée et pleine de sensibilité. Un récit d’apprentissage écrit par une auteure très prometteuse et qui nous donne une belle leçon de tolérance. » Mes Échappées Livresques
« J'ai découvert une héroïne attachante, bouleversante, confrontée à un deuil difficile, et qui, face à la solitude et à la violence perverse du monde qui l'entoure, est à la fois forte et fragile, et va donner à sa famille une belle preuve d'amour, renforcer les liens avec sa mère et sa sœur, pardonner...
Bref, un roman lumineux, vivant qui se lit d'une traite ! Je vais attendre le prochain livre de Carol Rifka Brunt dont la plume, juste et sensible, m'a charmée ! » Mes Miscellanées
Carol Rifka Brunt - Tell the wolves I'm home (Dial Press, 2012)
J'ai été quelque peu déçue par ce roman et j'ai plus remarqué ses défauts que ses qualités (et maintenant, si je le compare à N'essuie jamais de larmes sans gants, ça ne joue pas non plus en sa faveur). Je pense que c'est un bon roman pour jeunes ou jeunes adultes, et que je n'étais pas du tout le lectorat visé...
RépondreSupprimerOn ne peut le comparer à N'essuie jamais de larmes sans gants, ils ne jouent pas dans la même catégorie ;-)
SupprimerLe défaut de ce roman est d'hésiter entre plusieurs publics. Ça m'a fait l'effet d'un auteur qui aurait écrit un livre pour jeunes adultes à qui l'éditeur aurait dit qu'il y avait de quoi faire un livre tout public... sans que le travail d'adaptation ait été fait. Ça manque parfois de profondeur. Mais si on le lit avec les yeux d'un lecteur de 12/16 ans, ça aborde intelligemment de nombreuses thématiques et ça véhicule de belles émotions.
Je me souviens avoir apprécié ce roman, tout en restant un peu sur la touche. Il m'a moins touchée et instruite que d'autres lectures sur le sujet ou l'époque. Mais je comprends mieux à la lecture de ta chronique, le roman hésite en effet entre plusieurs publics et m'aurais très certainement beaucoup marquée ado. J'ai aussi trouvé Toby très émouvant.
RépondreSupprimerLa "théorie" de l'auteur/éditeur indécis sur le lectorat m'est toute personnelle. Mais elle pourrait expliquer les défauts du roman. Je suis d'accord avec toi, il devrait être beaucoup plus apprécié et beaucoup impactant pour des ados.
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