Hold the Dark, William Gilardi
Chacun de nous a cru, un jour ou l’autre, avoir atteint le trou du cul du monde. Mais qui n’a jamais mis les pieds à Keelut, Alaska, ne connait pas le trou du cul du monde.
Expert du Canis Lupus et de son comportement, Russell Core a rencontré le succès avec le livre qu’il leur a consacré il y a déjà plusieurs années. C’est même la raison pour laquelle il se retrouve en plein décembre dans ce village coupé du monde, perdu au milieu de nulle part, en pleine toundra enneigée.
Voilà plusieurs semaines, les loups affamés, en quête de nourriture, sont descendus des collines puis y sont retournés, emportant par trois fois avec eux un des enfants du village. Le dernier en date est le petit Bailey, six ans, le fils de Medora Slone.
Cette femme, dont le mari, Vernon, combat dans l’armée américaine quelque part au Moyen-Orient, n’a trouvé que le spécialiste du loup pour lui venir en aide. Si elle n’espère pas retrouver son fils en vie, elle veut au moins récupérer ce qui restera de sa dépouille pour l’inhumer, et aussi, au passage, que Core élimine les prédateurs.
Malgré l’inhospitalité des lieux et des quelques rares autochtones, le vieux Core, séduit par la jeune femme, accepte la mission qu’elle lui confie et part à la recherche du garçon, même s’il sait déjà que les loups ne sont pour rien dans la disparition de Bailey. Ça ne peut pas être pire que de se retrouver seul chez lui, avec sa femme mourante qui ne quitte plus son lit, à ressasser l’absence de sa fille qu’il ne voit que très rarement.
Mais sa traque à peine commencée, il va rapidement réaliser que, tout compte fait, il aurait bien mieux fait de rester chez lui. Surtout quand Vernon, blessé et rapatrié, rentre au village.
Comme souvent quand je sors de ma pàl un roman qui y a mijoté un certain temps, je n’avais plus aucune idée de ce qui m’attendait en ouvrant le roman de William Giraldi. Mis à part qu’à sa sortie les lecteurs/trices étaient plus qu’enthousiastes, je ne me souvenais plus de rien.
Pas même que ça se passait en Alaska ! J’ai donc débarqué à Keelut, dans les mêmes dispositions que le vieux Russell Core, sans savoir ce qui m’attendait, ni où je mettais les pieds.
Bien plus que ses habitants, le véritable personnage de l’histoire, le cœur même du roman, est cet endroit, à la fois magique et maléfique. Situé au nord de l’Alaska, Keelut est un lieu tellement hors du monde, hors du temps, qu’il pourrait aussi bien être situé sur une autre planète, être habité par une civilisation inconnue, exister à une époque préhistorique ou post-nucléaire...
Quelques cahutes rudimentaires disséminées en pleine désolation, pas âme qui vive à l’horizon, comme si l’endroit avait été déserté depuis des lustres pour échapper à la fermeture des mines et à la précarité économique qui n’a cessé de le gangrener depuis. Ajoutez à ce tableau un ciel bas et lourd (comme un couvercle), et un épais manteau neigeux qui étouffe le paysage et assourdi le moindre bruit. Ici, l’enfer blanc a un nom.
On ne choisit pas de vivre à Keelut, on lui appartient. On est de Keelut, on naît à Keelut.
Ce bled coupé du monde possède ses propres lois, ses propres croyances, mélange de mythes et légendes ancestraux. Il y règne une solidarité sans faille et une omerta tout aussi impénétrable : tout ce qui se passe à Keelut, reste à Keelut, et se règle selon les codes en rigueur. Les habitants, qui ont tous des liens de parenté plus ou moins étroits, font bloc contre les conditions de vie extrêmes, l’isolement, mais aussi contre tout ce qui est n’est pas du village.
Au cœur de ce monde clos et sauvage, soumis à la toute-puissance des éléments, la nature humaine est prompte à capituler face à ses instincts les plus primaires. De l’homme et du loup, le plus bestial n’est pas celui que l’on croit.
Amateurs d’ambiance lourde et oppressante, qui ne craignez pas vous mesurer à la noirceur des hommes, bon voyage au cœur de l'âme humaine !
Aucun homme ni dieu (Traduction : Mathilde Bach) - Autrement, 2015/ J'Ai Lu, 2016
(pour une fois, je trouve le titre français bien plus fort que l'original)
Hold the Dark - Extraits
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« C'est un roman dur et sauvage qui bouscule, mais ce que j'en retiens c'est surtout l'étrange beauté et la force. » Aifelle
« Si j’ai apprécié que les débuts du roman m’emmènent sur des chemins inattendus, la suite m’a bien moins convaincue. [...] Mais ce récit noir à l’excès m’a laissée aussi froide que le paysage dans lequel il se déroule. Tout au plus y ai-je trouvé un intérêt géographique (le décor est planté efficacement et l’immersion dans un climat polaire garantie) et sociologique : il nous donne un aperçu des vies de ceux qui parviennent à y subsister, aux marges de la civilisation et de leurs semblables, qui les y ont oubliés. » Brize
« Un roman où la noirceur est contrebalancée et par l'écriture épurée, par ces paysages sublimes où le calme règne, par l'amour qui surgit en fin de ce roman et qui nous laisse sans voix... Un roman absolument maîtrisé, implacable. » Clara
« Un roman très réussi, ambitieux, efficace et dont l’issue est surprenante. L’écriture sert parfaitement le propos. Un nord très très inquiétant. » Dominique
« Un roman épique, brutal, bestial, primitif. Un roman qui se transforme en polar, une chasse à l’homme qui ne ressemble à aucune autre. Car le seul juge de l’homme n’est-il pas la nature ? Le lecteur est donc entraîné loin de tous ses repères. La rencontre entre l’homme et l’animal peut avoir lieu… » Electra
« Aucun homme ni dieu laisse finalement en suspens plus de questions qu'il n'en résout, aussi bien en ce qui concerne les motivations profondes de ses héros, que les réflexions plus vastes qu'il suscite. C'est en tous cas un roman très réussi, à l'atmosphère prégnante, et qui vous tient en haleine jusqu'à sa dernière page. » Ingannmic
« C’est rude, angoissant, glaçant, et ça ne ressemble à aucun autre roman déjà lu, sauf peut-être Au nord du monde de Marcel Theroux… ceux qui l’ont lu sauront que c’est la meilleure référence qui soit ! » Kathel
« Entre thriller et ouvrage de nature writing, une lecture coup de poing, une confrontation entre l’homme et la nature mais surtout entre l’homme et l’homme. La comparaison avec Sukkwan Island de David Vann est évidente mais serait vraiment réductrice tant William Giraldi, auteur dont on n’a pas fini d’entendre parler, livre une œuvre à part entière, puissante et marquante. Une construction maîtrisée au service d’un suspens diabolique, un énorme coup de cœur en ce qui me concerne ! » ManU
« Aucun homme ni dieu tranche avec les intrigues routinières de certains romans sur le grand Nord. Il présente quelques familiarités avec le Sukkwan Island de David Vann: une intrigue envoûtante et brutale. Un roman d'une rare intensité, servi par une écriture tout en retenue, aride, sèche. La traduction de Mathilde Bach rend perceptible l'atmosphère sombre et obsédante qui sourd du texte de Giraldi. Aucun homme ni dieu montre à quel point la limite entre humanité et sauvagerie peut être ténue. » Marie-Claude
« Un roman impitoyable et beau, habité par la magie, qui n’est dénué ni de grâce, ni de beauté, ni d’amour. » Papillon
« Avec une grande économie de mots, William Giraldi va droit à l’essentiel. Il est probable qu’il ira loin. » Sandrine
« Si vous ouvrez ce livre, vous éprouverez la curiosité, l’inquiétude et puis l’angoisse, ensuite l’oppression, puis la peur viendra. Vous endurerez la fatigue des jours sans fin, des nuits trop longues, vous souffrirez du froid et des silences, l’isolement sapera vos nerfs comme la pluie érode la roche. Mais vous ferez un sacré voyage sans avoir rempli une seule valise. L’Alaska, le Denali, les loups, les hommes, les armes, la nature sans pitié, l’immensité des terres et la profondeur abyssale du mal. Oui, vous aurez tout cela, et peut-être plus encore… » Seb
William Gilardi - Hold the dark (Liveright, 2014)
Danse de la joie! Enfin un titre alléchant que tu as lu en anglais et que j'ai lu en français avant toi!
RépondreSupprimerNon mais, quel dommage que Gilardi n'ait rien écrit depuis... Il a l'art de créer des atmosphères glaciales (dans tous les sens du terme).
Une danse de la joie s'impose dans un tel contexte ! Je compte sur toi pour me montrer les pas à faire car je ne suis pas doué pour la danse quelle qu'elle soit.
SupprimerEn ce qui me concerne, je vais pouvoir patienter que Giraldi écrive un nouveau roman en lisant les deux premiers qu'il a publiés avant celui-là.
Gros coup de cœur en 2015 pour moi ! Par contre, le suivant ne m'a pas vraiment tenté...
RépondreSupprimerIl y a un suivant?
SupprimerAvec "suivant", je suppose que manU sous-entend celui qui a été publié ensuite en France qui est, si je ne m'abuse : Le corps du héros, autobiographie à laquelle Electra fait référence plus loin dans les commentaires.
SupprimerJ'aime bien aussi débarquer dans les romans sans savoir ce qui m'attend !
RépondreSupprimerTrès bon souvenir de lecture que ce "Aucun homme, ni dieu", sombre mais prenant.
Re-découvrir un livre longtemps après que le "bruit" autour de sa sortie se soit tu, c'est à chaque fois comme si je me refaisais une "virginité du lecteur" qui me plaît beaucoup. La surprise, bonne ou mauvaise, est totale et les a priori évanouis.
SupprimerEvidemment, je ne l'ai toujours pas lu ;). Ton billet, après la déferlante, ce que tu dis de l'atmosphère, est motivant, possible que j'y vienne...
RépondreSupprimerSans que ça devienne un de tes futurs coups de cœur, je pense que ce roman pourrait tout de même te plaire.
SupprimerJe garde un excellent souvenir de cette lecture et j'aimerais bien lire l'auteur dans un autre titre.
RépondreSupprimerMDR en lisant le commentaire de Marie-Claude ! merci de me citer ! j'avais beaucoup aimé ce récit et je te conseille du coup très fortement son autobiographie (aussi traduite) il raconte sa jeunesse dans un monde très masculin, sa découverte de l'haltérophilie puis de la lecture ! un homme très intéressant !
RépondreSupprimerAh oui, ce bouquin... J'ai eu une bulle au cerveau. Je sais de quel livre tu parles!
Supprimer@ Marie-Claude : Une bulle au cerveau ! J'adore (tant que ça reste une expression, hein!).
Supprimer@ Electra : je te suis les yeux fermés sur Le corps du héros. Je ne vais probablement pas le lire tout de suite, mais j'y reviendrai, c'est certain.
Un beau roman d'ambiance, oui... moi non plus je n'étais pas très tentée par son autre titre, mais Electra est assez convaincante...
RépondreSupprimerMoi, en tout cas, elle m'a convaincu, la bougresse !!! ;)
SupprimerJe l'avais noté au moment de sa sortie française, tu penses bien. Et puis je suis passé à autre chose malheureusement. Merci pour la piqûre de rappel !
RépondreSupprimerL'avalanche incessante de nouveaux titres oblitère beaucoup de livres qui auraient pu me plaire. J'en ai redécouverts certains comme ça, grâce à des lecteurs/trices qui sont "revenus à la charge" plusieurs mois plus tard :)
SupprimerOh non pas de noirceur !
RépondreSupprimerAlors, il vaut mieux que tu prennes tes jambes à ton cou !! ;D
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