Un très beau métier, le mien, pour qui sait regarder
Pieter Bruegel the Elder - Massacre of the Innocents (Version in the Royal Collection) |
Ils étaient déçus. Elle l'avait senti, tout de suite. Ils voulaient du sang, il n'y en avait pas. Ils voulaient que la souffrance saute aux yeux, qu'elle les aveugle.
Mis à part la neige, rien d'aveuglant. (p. 17)
Quand on achète par amour, ce n'est jamais le bon moment. [...] Une œuvre d'art n'est pas chose vaine. (p. 30)
Avant la guerre, il se disait parfois que le conflit pouvait encore être évité, ou alors qu'il leur passerait juste à côté. Que la Belgique serait occupée à la fin, après la France et non pas avant. Comme un ouragan qui déferlerait sur le pays voisin et s'arrêterait tout net, à la frontière.
Mais non. Il n'en a pas été ainsi.
Il y a un moment où l'engrenage est mu de l'intérieur. Inexorablement. C'est vrai de tous temps. à l'époque de Brueghel, aussi, se dit-il.
Faire semblant de ne pas voir est un crime. De la lâcheté plus que de l'aveuglement, reconnaît-il pour l'avoir vu de près.
Il sait désormais que ce n'est pas la dernière fois qu'un carnage de la sorte sera perpétré.
La prochaine fois, se dit-il, avec un peu de chance je ne serai plus là pour le voir. Maigre consolation. Et pourtant. (pp. 47-48)
Cécilia s’interrompt. Elle regarde les visages devant elle, ces femmes qui, pour la plupart, croient tout ce qu’elle dit. Ça lui donne plus de pouvoir qu’elle n’en demande. C’est enivrant. Elle n’aime pas être ivre. Elle aimerait qu’une historienne, un médecin, un paysan réagisse, la sorte de sa tour d’ivoire. Lui fasse voir les choses autrement. La questionne. Mais non, la mer est d'huile (p. 69)
Il rêve d’une place restée libre en son absence. Une place imprenable. Comme celle d’un enfant. Un enfant n’en remplace pas un autre. (p. 95)
J’ai vu beaucoup de peinture mais c‘est la première fois que je m’en laisse imprégner à ce point par l’imaginaire d’un peintre, son monde, sa palette, son langage. Déstabiliser aussi par tout ce qui y est attaché. […] Brueghel m’est devenu très proche. J’aime ses couleurs, sa discrétion, sa patience, sa façon de dénoncer sans hurler, d’être lucide sans tout casser. Un très beau métier, le mien, pour qui sait regarder. (p. 261)
Il y a un moment où l'engrenage est mu de l'intérieur. Inexorablement. C'est vrai de tous temps. à l'époque de Brueghel, aussi, se dit-il.
Faire semblant de ne pas voir est un crime. De la lâcheté plus que de l'aveuglement, reconnaît-il pour l'avoir vu de près.
Il sait désormais que ce n'est pas la dernière fois qu'un carnage de la sorte sera perpétré.
La prochaine fois, se dit-il, avec un peu de chance je ne serai plus là pour le voir. Maigre consolation. Et pourtant. (pp. 47-48)
Cécilia s’interrompt. Elle regarde les visages devant elle, ces femmes qui, pour la plupart, croient tout ce qu’elle dit. Ça lui donne plus de pouvoir qu’elle n’en demande. C’est enivrant. Elle n’aime pas être ivre. Elle aimerait qu’une historienne, un médecin, un paysan réagisse, la sorte de sa tour d’ivoire. Lui fasse voir les choses autrement. La questionne. Mais non, la mer est d'huile (p. 69)
Il rêve d’une place restée libre en son absence. Une place imprenable. Comme celle d’un enfant. Un enfant n’en remplace pas un autre. (p. 95)
J’ai vu beaucoup de peinture mais c‘est la première fois que je m’en laisse imprégner à ce point par l’imaginaire d’un peintre, son monde, sa palette, son langage. Déstabiliser aussi par tout ce qui y est attaché. […] Brueghel m’est devenu très proche. J’aime ses couleurs, sa discrétion, sa patience, sa façon de dénoncer sans hurler, d’être lucide sans tout casser. Un très beau métier, le mien, pour qui sait regarder. (p. 261)
Patricia Emsens -
Histoires d’un Massacre (Les Busclats, 2019)
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