L’aîné, lui, tient ses promesses

Into the wild. 1971 (The Anonymous Project)


Dans l’ombre de cette famille, il y a donc Brenda Cox qui accomplit sa tâche depuis toujours avec un air contrit, secondée par sa fille avec laquelle elle partage une connivence pudique et entendue. Brenda Cox ne cesse jamais de vaquer, même quand tout est prêt et qu’il n’y a plus qu’à profiter. À un moment donné, sur ordre de son mari qui s’agace de la voir tourbillonner, elle accepte de venir trinquer mais reste de bout. Elle dit alors d’un air sinistre : « On est bien là », et repart aussitôt. (p. 13)

Ce jour-là, je pose à côté de grand-père et du bar qu’il vient de pêcher, mais le sourire est faux. La vérité, c’est que je me suis incroyablement emmerdé (je me jure de ne plus jamais accepter la moindre partie de pêche) et j’ai laissé échapper plusieurs proies, par maladresse ou mauvaise volonté. Alors pourquoi grand-père tient-il à me faire croire que j’ai joué un rôle déterminant dans cette prise ? Pourquoi fabriquer de toutes pièces un trophée dont je ne veux pas, sinon pour détromper mon père qui, de jour en jour, me découvre si peu doué ? Je veux dire : si peu son fils. Heureusement, il y a l’ainé.
L’aîné, lui, tient ses promesses.
(p. 25)

En quelques mois, Spike prend place dans notre quotidien. Les voisins l’adoptent, il fait partie de la bande. Les allusions racistes, qui couraient les rues jusque-là, ne sont plus de mise. Je m’en enorgueillis. Je veux que mes parents invitent la mère de Spike à l’apéritif. Spike affirme qu’elle termine trop tard le soir. Ma mère semble soulagée. Mes bonnes intentions me font peut-être oublier qu’elle se sentirait mal  l’aise chez nous. Mais non, je ne crois pas. Spike me l’a décrite comme une forte tête. Je suis certain qu’elle pourrait rencontrer les Tucker. Cela ne se fera jamais. (p. 55)

L’été, nos parents n’estiment pas indispensable d’aller à la mer que nous avons déjà pour nous toute l’année ; ils lui préfèrent la tournée des grands espaces et, bien sûr, des Grands Lacs. Nous quittons Santa Monica par la Route 66. Nos grands-parents Cox suivent. Il est sept heures du matin et mon père allume sa première cigarette de la journée, fenêtres fermées. Nous n’avons même pas quitté L.A. que l’équipée doit stationner sur le bord de la route pour me laisser vomir. « Il a toujours eu le mal des transports », constate ma mère. Puis on repart, eux guillerets (ce qui est fait n’est plus à faire), moi gris. Les vacances peuvent commencer. (p. 56)

Ma mère décida d’introduire dans la maison un Boston terrier, prénommé Franklin, en hommage à Roosevelt (« notre sauveur »), pour qui elle nourrissait un regret que même Kennedy ne déboulonnerait jamais. […] La bête était attachante. Surtout son regard de con. Mon frère et moi nous prîmes d’affection pour lui […] détricotant en somme l’éducation stricte que ma mère avait à cœur de lui donner. (p. 77)

Il dit : « Nous vieillirons ensemble. Que faire d’autre ? » Il dit aussi que c’en est fini du grand n’importe quoi : « Les garçons qui t’ont précédé n’étaient que des brouillons. Tu es mon histoire au propre. » J’ai du mal à le croire. Comment pourrait-il avoir épuisé la sensualité vorace de sa jeunesse ? Mais il faut bien reconnaître que Stephen sait ce qu’il dit. De mon côté, je suis prêt ; c’est peut-être là mon côté très conformiste de bonne famille : deux ans à m’envoyer en l’air, à prendre toutes les drogues qui me passaient sous le nez et je suis déjà rassasié. J’ai déjà des rêves de domesticité asse banals, sinon qu’ils entendent s’incarner dans le compagnonnage amoureux d’un garçon. Marché conclu : vieillissons ensemble, mon amour (j’ai vingt ans). (p. 138)

Que faire de ce paradoxe : notre père a renié l’un de ses fils, il a fort mal aimé sa femme (peut-être même pas du tout) et moi, je l’ai pourtant adoré. (p 165)


Arnaud Cathrine & The Anonymous Project - Andrew est plus beau que toi (Flammarion, 2019)

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