Bridge of sighs, Richard Russo
Bridge of Sighs (Le Pont des Soupirs, in French, chez 10/18) aurait pu s’intituler Ikey’s.
Ikey’s c’est une petite épicerie de proximité à Thomaston, bourgade qui subit le contrecoup de la fermeture de l’unique la tannerie dont dépendaient, d’une façon ou d’une autre, tous les hommes du coin. Quand l’occasion se présente, Louis P. Lynch, dit Lou, en devient propriétaire contre l’avis (tonitruant) de sa femme, Tessa.
Dès lors, Ikey’s va devenir le cœur battant de la famille Lynch… et celui du roman.
Lou y passe des journées et des nuits entières pour ne rater aucune vente qui puisse mettre l’affaire en péril alors que le premier supermarché vient d’ouvrir. Après avoir refusé catégoriquement d’y poser ne serait-ce qu’un pied, Tessa va participer à l’aventure d’abord en s’occupant de la comptabilité, puis en mettant en place un salad-bar et un coin boucherie tenu par Doc, le frère de Lou.
Leur fils unique, Lucy (sobriquet qui lui est resté attaché depuis ce jour malencontreux où l’instituteur a prononcé trop rapidement son nom, Louis C. Lynch, lors de l’appel) y passera lui-même ses vacances et une partie de ses week-ends, pour finalement reprendre l’épicerie après son père, la faire prospérer et finir par en gérer deux autres supplémentaires.
Arrivée la soixantaine, Lucy s’apprête à quitter sa ville natale pour la première fois de sa vie. Un « exploit » auquel il consent par amour pour Sarah, sa femme depuis une quarantaine d’années, qui a décidé de longue date ce voyage à Venise.
Pourquoi Venise ? Pour le romantisme de la ville, peut-être. Mais avant tout pour y retrouver Bobby, l’ami d’enfance de Lucy, qu’ils n’ont pas revu après qu’il a quitté la ville alors qu’ils n’étaient pas encore mariés, et devenu peintre reconnu depuis.
Première chose à faire si vous souhaitez attaquer ce Bridge of Sighs / Le Pont des Soupirs : laissez-les gondoles à Venise ! Car si de Venise, il sera effectivement question dans ce roman de Richard Russo, ce ne sera que de façon accessoire, voire anecdotique.
Dans ce roman-fresque qui court sur une cinquantaine d'années, on retrouve les ingrédients chers à Russo : une petite ville de la côte Est de États-Unis, le déclin industriel et les conséquences sociales que cela implique, l’American Dream en panne, une communauté où chacun connait tout le monde ou presque, des femmes fortes au caractère bien trempé.
Des histoires d’amitié, de familles, de rêves enfouis, de regrets, de racines, de filiation et de transmission.
Comme dans ses autres romans, Russo porte un regard attendri sur ses personnages, des gens lambda, à la vie modeste. Il dit leurs bonheurs et dénonce leurs malheurs. La tannerie à la fois source d’emplois, et donc de prospérité, et pollution industrielle à l’origine du taux élevé de cancers dans le coin. Les quartiers où vivent séparées les différentes classes sociales qui ne se mélangent pas ; les plus riches (et blancs) dans le Borough, les plus pauvres (et noirs) sur The Hill, dans le West End, tandis que la lower middle class occupe l’Est End. La ségrégation encore très présente, les lynchages et le racisme.
Et pourtant…
Et pourtant, sur ce Bridge of Sighs, des soupirs, j’en ai poussé pas mal.
Au départ, j’ai mis ça sur le compte d’une lecture hachée par manque de temps à cause du boulot. Quand est venu le confinement, je me suis dit que c’était à cause de l’atmosphère anxiogène créée par le virus… Je n'étais pas aussi désespéré que les condamnés à mort qui traversaient ce fameux pont vénitien, je ne m’ennuyais pas non plus vraiment, mais le cœur n’y était pas.
Une fois passées les 200 et quelques premières pages (ça peut paraître beaucoup mais sur le nombre total de pages, finalement, ça reste correct), je me suis laissé embarquer avec un certain plaisir. Mais, sans que je parvienne à savoir pourquoi, je ne retrouvais pas cette euphorie gourmande avec laquelle j’avais précédemment dévoré les romans de l’auteur.
Et c’est au détour d’un échange avec Ingannmic, à l’origine de cette lecture commune, que j’ai identifié ce qui clochait : l’absence de cette touche d’humour propre à l’auteur, « entre cynisme et tendresse », pour la plagier.
Comme souvent chez Russo, ce sont surtout les personnages féminins qui m’ont intéressé, plus particulièrement ici : Tessa, son indéfectible lucidité et son franc-parler ; Sarah sa sensibilité artistique et son esprit libre.
Côté personnages masculins, mention spéciale au père de Sarah, le professeur Berg dont les cours sont pour le moins…déstabilisants, et dont la personnalité contraste fortement avec les ravis de la crèche que sont les hommes de la lignée Lynch.
Une lecture en demi-teinte, donc, qui, pourtant loin d’être désagréable, ne m’a pas apporté un plaisir égal à celui auquel Richard Russo m’a habitué et auquel je m’attendais après que ce titre m’ait été maintes fois recommandé.
Dans quel état d'esprit mes comparses de LC ont-elles traversé ce Pont des Soupirs ?
Si vous voulez le savoir, rendez-vous ici.
Bridge of Sighs - Extraits 1 / Extraits 2
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« Il y a la vie, celle de chacun de nous, avec ses erreurs et ses actes manqués. Un très bon roman, dont je conserverai un souvenir tendre. » Antigone
« "Le pont des soupirs" est une chronique sociale à la Dickens mais pas que... c'est SURTOUT une étude psychanalytique à la Stefan Zweig avec une multitude de sujets de réflexion. C'est mon cinquième livre de Richard Russo et, à mon avis, son CHEF-D'OEUVRE. » BonoChamrousse
« Un roman empreint de nostalgie où les personnages font la paix avec certains épisodes de leur vie… près de 40 ans après. Un deuil du « ce qui aurait pu être si… », en quelque sorte. J’ai bien aimé la balade et j’ai été touchée à plusieurs reprises. Beaucoup de petits moments d’émotion mais pas vraiment de grand « coup au cœur » qui aurait pu me submerger. » Karine
« Richard Russo est à son meilleur quand il s'agit de brosser la vie d'une petite ville de l'est des Etats-Unis, au cours des cinquante dernières années, vues par deux gamins, Lou Lynch et Bobby Marconi, puis Sarah. Franchement mon cœur s'est souvent serré. C'est moins foufou que les deux se déroulant à Bath, mais d'une profondeur qui retourne. » Keisha
Richard Russo - Bridge of Sighs (Knopf, 2007)
moi j'ai abandonné à force de soupirer .. le personnage de Bobby ne m'intéressait absolument pas et je trouvais des longueurs et l'ensemble poussif... je ne suis pas allée jusqu'à la rencontre avec Sara..
RépondreSupprimerune grosse déception alors que j'avais adoré le précédent, il sait parfaitement décrire les petites villes, les histoires entre voisins .. mais là non. Et depuis j'ai enchainé les lectures, je vois donc que c'était bien ce livre qui clochait !
C'est dommage, tu as presque jeté l'éponge trop tôt. Sarah est un personnage très intéressant aussi et elle aide à donner un peu de consistance à Lucy... et à Bobby. Si Tessa est un personnage de maîtresse-femme (pas toujours aussi solide qu'elle voudrait le faire croire), celui de Sarah est un peu portrait de femme qui aurait pu te plaire....
SupprimerAu mois, tu sais que tu peux te frotter à un autre roman de Russo quand le cœur t'en dira.
Et bien, moi, pour mon premier Russo, j'ai été complètement emballée ! Va savoir pourquoi... Je me suis glissée dans ce livre avec une certaine volupté. Par conséquent, je vais bien vite lire ceux qui ont reçu une approbation quasi générale !
RépondreSupprimerÇa, c'est une super nouvelle, car logiquement tu devrais aller de belles lectures en plus belles lectures encore... C'est tout ce que je te souhaite, en tout cas et je surveillerai ça de près 🤗
SupprimerJ'ai abandonné ce livre il y a fort longtemps, depuis je ne suis pas revenue à l'auteur. Vos déceptions avec ce titre sont plutôt rassurantes, cela veut dire que je peux tenter un autre...
RépondreSupprimerIl semblerait en effet qu'il y ait quelque chose avec ce titre-là plus particulièrement, alors même qu'il m'avait été chaudement recommandé par Bono et Jérôme, entre autres.
SupprimerEn même temps, j'ai le sentiment que les romans de Russo ne sont pas suffisamment compliqués/ambitieux pour te satisfaire...
Je savais plus ou moins à quoi m'attendre, suite au bref échange que nous avions eu, en effet, à son sujet... Dommage parce qu'il plante bien tous les ingrédients qui lui permettent, dans d'autres titres, de nous séduire : une belle poignée de personnages très différents, la morne décrépitude d'une province où, comme tu le dis si justement, le rêve américain est en panne.. mais bon, il m'a manqué le "ton Russo", et ce Lucy était décidément trop gentil pour moi ! Sans doute qu'en centrant davantage son récit sur Tessa, par exemple, il m'aurait davantage intéressée...
RépondreSupprimerMerci en tous cas pour ta participation !
C'est toi qui a mis le doigt sur ce qui me gênait mais que je n'arrivais pas à identifier.
SupprimerLe fait que la lignée mâle des Lynch soit si "passive" n'aide pas à dynamiser l'intérêt du lecteur. C'est clair qu'un personnage comme Tessa, plus complexe qu'il n'y paraît derrière ses apparences brusques, a plus d'attrait.
C'est d'ailleurs comme ça que m'est venue la réflexion que j'ai exposée chez toi comme quoi une série de romans (moins touffus que celui-ci), chacun centré sur un "couple" (Bobby/ses parents, Lou/Tessa, Lucy/Sarah, Sarah/Bobby, Les Berg/Harold), aurait à la fois permis de jouer encore plus sur les ellipses et les divergences de points de vue, et aurait peut-être été plus "digeste".
Hé bé, pas le meilleur de Russo visiblement, surtout si on a goûté à ses précédents romans. Heureusement qu'il m'en reste d'autres à découvrir, dont Un homme parfait que je devais lire pour cette LC mais les biblis étant fermées, je n'ai pas pu me joindre à vous. Une autre fois.
RépondreSupprimerOui, ne te laisse pas décourager par les retours pour le moins mitigés du Pont des soupirs. Jusqu'ici, j'ai pris grand plaisir à parcourir l'univers de Russo et je suis persuadé qu'il y a dans son œuvre plus d'un titres qui saurait te plaire.
SupprimerDécidément, ce Pont des Soupirs n'a pas trop la cote auprès des fans de Richard Russo. Comme j'ai quasiment tout à découvrir de lui, je le mets de côté pour le moment. C'est vrai que dans le titre que j'ai lu (un homme presque parfait) l'humour est une composante importante qui change beaucoup la perception que l'on peut avoir de l'histoire.
RépondreSupprimerL'humour présent dans le duo Un homme presque parfait / A malin, malin et demi est particulièrement savoureux, c'est vrai. Pour autant, je n'ai pas souvenir que Le Déclin de l'empire Whiting ait été particulièrement drôle et pourtant j'en garde un excellent souvenir. Comme quoi...
SupprimerTu l'as lu en VO, comme moi? Très faisable, n'est ce pas!
RépondreSupprimerTu as aussi remarqué le cours du père de Tessa... ^_^
Ah, mais c'est un fou furieux ce Professeur Berg ! Le genre de prof que j'aurais adoré avoir aujourd'hui mais qui m'aurait complètement tétanisé quand j'étais étudiant !!! 😵
SupprimerRusso n'a pas un style très compliqué et son vocabulaire reste basique, ce qui fait qu'il est effectivement abordable même si on a un niveau d'anglais remarquable.
C'est bien vu, ce doit être aussi ce manque d'humour qui me l'a fait abandonner il y a quelques années... Tous vos billets ont eu du bon puisque j'ai repris Un homme presque parfait que j'avais laissé de côté depuis quelques semaines. Pourtant j'aime beaucoup cet auteur, mais là, je ne devais pas voir la tête à cette lecture.
RépondreSupprimerSinon, merci pour les photos qui illustrent tes billets d'extraits, je viens de découvrir un site ET des photographes ! Génial !
Ah mais tu sais que tu me fais doublement plaisir ?! 🥰
SupprimerC'est cool que tu aies eu envie de reprendre Un homme presque parfait. Il faut dire que le climat actuel n'est pas propice à la lecture "en pleine conscience" qui permet de s'immerger complètement dans un livre.
Je suis content aussi que mes recherches d’iconographie pour les billets d'extraits servent quelque chose et qu'elles donnent envie à certain(e)s d'aller découvrir des artistes qu'ils ne connaissaient pas. Trop bien !!
L'absence de cynisme et de tendresse gâche la sauce! C'est ce mélange unique qui rend Russo unique dans son genre. Tu m'enlèves l'envie de le lire et ce n'est pas plus mal. Pavé pour pavé, je vais foncer sur d'autres!
RépondreSupprimerMets-le de côté pour le moment. Si un jour tu es à sec de Russo parce que tu les auras tous lus, ne te défends pas de le lire. Ça serait quand même dommage.
SupprimerDommage car effectivement l'humour un brin cynique est une des marques de l'auteur
RépondreSupprimerJ'imagine que ce doit être moins "déstabilisant" quand on n'a jamais lu l'auteur auparavant...
SupprimerJ'ai jamais lu Russo. Et j'ai l'impression que ce n'est pas avec ce roman-ci que je vais débuter l'exploration.
RépondreSupprimerA priori, je déconseillerais de découvrir l'auteur en commençant par ce roman... et en même temps, Krol qui était dans ce cas a été plus qu'emballée par ce titre. Donc, je n'ai pas de position bien tranchée.
SupprimerJ'avais adoré celui-là... contrairement à toi, je ne me suis pas du tout ennuyée et j'aime beaucoup la lente construction de l'atmosphère. Et bon, ses ratés sympathiques me plaisent.
RépondreSupprimerD'une manière générale, moi aussi, j'aime beaucoup les loosers sympathiques de Russo mais ici, il m'a manqué ce qui les rend particulièrement attachants dans les autres romans que j'ai lus.
SupprimerJe veux d’abord lire « le déclin de l’empire.. »
RépondreSupprimerJ’ai lu « les sortilèges de cap cod » et j’avais aimé !
Le Déclin de l'empire Whiting a été ma première incursion (réussie) chez Russo. Pour le prochain, je crois que je me laisserai tenter par Ailleurs.
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