A Ladder to the Sky, John Boyne



À qui appartient l’histoire une fois qu’elle vous a été racontée ? A-t-on le droit d’emprunter des éléments biographiques d’une vie qui n’est pas la sienne ? De s’emparer de la vie d’un autre pour en faire œuvre de fiction en la réécrivant selon son bon-vouloir ?
Qu’est-ce qui fait un écrivain ? Le style, le talent de conteur, l’idée de départ ?
Jusqu’où est-on prêt à aller pour trouver l’inspiration, un peu de gloire et de célébrité ?

Autant de questions, cruciales pour certains, que le jeune Maurice Swift ne se pose pas. Autant de cas de conscience dont il ne s’embarrasse pas.
Printemps 1988. Alors qu’il travaille comme serveur au bar de l'Hôtel Savoy de Berlin, il fait la connaissance d’Erich Ackerman, gloire des lettres allemandes, voire internationales. Alors que le romancier se prend d’amitié pour le jeune homme, Maurice, lui, se flatte de l’intérêt que lui porte le vieil homme et du prestige qui rejaillit ainsi indirectement sur lui. Lui dont les deux seules aspirations sont de devenir écrivain, au plus vite, et père, un jour, voit là un de ses rêves à sa portée. Au fil de leurs rencontres, Ackerman va se confier toujours plus à ce garçon qui lui en rappelle un autre qu’il a connu dans sa prime jeunesse.

Ce qu’Ackerman oublie, soulagé par sa confession et charmé par la gueule d’ange de son confesseur, c’est qu’il est des secrets qu’il vaut mieux ne jamais dévoiler. Surtout à des arrivistes tels que Maurice Swift.
Voyant dans les confidences d’Ackerman le moyen d’atteindre la gloire dont il rêve depuis toujours, Maurice va les prendre à son compte. Insoucieux des terribles conséquences pour Ackerman.
D’ailleurs peu lui chaut le sort du teuton, il a réussi : Deux Allemands, son premier roman, est un best-seller ; il est désormais, lui aussi, à même pas 25 ans, une gloire de la littérature.

Deux ans plus tard, si Maurice Swift jouit toujours de la belle réputation acquise avec son premier roman, son éditeur et ses lecteurs commencent à s’impatienter : toujours pas de nouveau roman en vue.
Le problème, pour Maurice, n’est pas de raconter une histoire. Il le fait avec facilité, et le fait même plutôt bien, si on en croit son succès. Non, ce sont justement les histoires qui lui font défaut, ou plus exactement les éléments déclencheurs qui vont lui permettre de développer une nouvelle intrigue.

On ne change pas une méthode qui gagne.
Pour se sortir de l’impasse et satisfaire son ambition dévorante, le romancier en mal d’inspiration va à nouveau devoir voler l’histoire d’un(e) autre, quel qu’en soit le prix à payer.



A Ladder to the Sky (du proverbe "Ambition is putting a ladder to the sky") est le roman de l'ascension vertigineuse, puis de la chute tout aussi brutale, d’un spécialiste de la séduction et de la manipulation.
L'Audacieux Monsieur Swift, traduction du titre en français, judicieuse allusion au Talentueux Monsieur Ripley, est une âme perverse à la gueule d’ange, à laquelle on donnerait le bon dieu sans confession. Un homme dénué du plus infime scrupule, cynique et déloyal, prêt à tout (et surtout au pire) pour concrétiser ses ambitions.

Ah, quel plaisir coupable, mais ô combien jubilatoire, j’ai pris à tourner les pages de ce nouveau roman de John Boyne, vénéneux à souhait et tout autant envoûtant ! Un roman plus noir, plus caustique, que ce à quoi l’auteur m’avait habitué précédemment. Et ça n’a pas été pour me déplaire, bien au contraire.
Au portrait impeccable de son Rastignac aux prises avec son ambition, Boyne combine une narration fort habilement menée, alternant les époques, les points de vue et les perspectives. Le rythme est enlevé, la plume ciselée et l’ensemble m’a emporté sans mal jusqu’au dernier chapitre qui, comme un écho au premier, vient boucler la boucle.
Ce qui ne gâche rien, Boyne égratigne le milieu littéraire avec une délectation non dissimulée, l’entre soi du monde de l’édition avec, au programme, jalousies, manœuvres et coups fourrés (toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est certainement pas fortuite).

Bref (au cas où je n'aurais pas été suffisamment clair), je me suis ré-ga-lé.


A Ladder to the Sky - Extraits

Les premières pages de L'Audacieux Monsieur Swift, dans la traduction de Sophie Aslanides, sont à déguster ici

*   *   *   *   *   *
« J’ai détesté ce Maurice Swift, dans sa flamboyance, sa perfidie, son arrivisme, sa séduction, ses manipulations […] C’était quelque chose, cette lecture. Une sacrée épopée, beaucoup d’émotions contradictoires, de la tendresse comme de l’aversion, un roman incroyablement riche et bien écrit qui m’a tenu en haleine d’un bout à l’autre et dont j’ai savouré le dernier chapitre avec la concupiscence sadique des victimes enfin vengées. »   Brice

« Après le merveilleux Les fureurs invisibles du cœur, John Boyne nous prouve une nouvelle fois qu’il est un remarquable conteur et nous transporte avec talent dans le monde de l’écriture et de l’édition. Les personnages sont complexes, l’intrigue brillante et les dialogues font mouches. Une lecture qui m’a tour à tour passionnée, stupéfaite et glacée. Un page-turner d’une grande efficacité. Un roman sombre et captivant doté d’un personnage principal diabolique vraiment inoubliable. »   Céline

« La tension monte d’un cran à chaque chapitre, au fur et à mesure que Maurice Swift dévoile son jeu. Sa noirceur, ou son pragmatisme selon le point de vue, se fait jour, et on oscille en permanence entre le magnétisme dégagé par ce personnage, et un malaise grandissant, confinant parfois à une horreur telle que la lecture en devient difficile. »    Charlotte

« […] un roman fort prenant et sacrément bien ficelé qu’on a bien du mal à lâcher jusqu’à sa pirouette finale. Peut-être, pour donner plus de force à son roman, aurait-il pu davantage soigner ses personnages secondaires dont, pour au moins l’un d’entre eux, on ne comprend pas très bien pourquoi il les rend aussi abjects... »    Delphine-Olympe

John Boyne - A Ladder to the Sky (Doubleday, 2018)

Commentaires

  1. Hé hé, il est déjà noté depuis quelques temps, j'avais tellement aimé Les fureurs invisibles du coeur (il ne faut pas s'arrêter à son titre).

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    1. Personnellement, je l'ai préféré aux Fureurs invisibles du cœur que j'avais pourtant beaucoup aimé. Je l'ai trouvé plus retors et donc moins "lisse".

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  2. Vu comme ça, j'ai bien envie, dis donc (voir avec les bibli, comme d''hab)

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  3. Rhôô mais non, j'ai dit "pas de nouveau titre sur ma pile" avant au moins la rentrée !! Mais comment résister quand je lis "caustique", "plaisir coupable", "noir", "vénéneux", "envoûtant" ?? !!

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    1. Houlààà, je ne m'étais pas rendu compte que j'avais à ce point abusé de qualificatifs. Il va falloir que je me ressaisisse pour les prochaines fois, au risque d'engendrer trop d'attentes... et autant de risques de déceptions.

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  4. Mes échappées livresques24 juillet 2020 à 14:00

    Tu n'es pas le seul à t'être régalé. Quel roman!

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  5. je l'ai dans ma PAL avec un autre de ses romans, je ne cesse de reporter ma lecture du coup là je fais exprès de ne pas te lire et me dire : je le lis en août.

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    1. Je suis comme toi, je ne lis généralement pas les chroniques sur un bouquin que j'ai l'intention de lire sous peu...
      Sinon, quel est l'autre titre de Boyne qui attend dans ta PAL ?

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  6. Je me réjouis d'avance de ce nouveau John Boyne, surtout qu'il aborde des thématiques qui me sont assez irrésistibles (milieu littéraire en particulier^^).

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    1. J'espère que tu prendras autant de plaisir que moi à détester cet arriviste sans morale 😏

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  7. il me faisait de l'oeil...grâce à toi, je n'ai plus qu'à me le procurer !

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